Le Blog de alberto
Des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, un tête pour comprendre
Résumé des aventures de mon père lors de sa participation en tant qu’appelé à la « WW II ».
Ces lignes sont extraites de ses mémoires qui fourmillent par ailleurs de mille anecdotes et détails annexes.


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Mon évasion

Lien permanentde alberto le 06 Juil 2015, 15:39

Fin juin, j'écrivis à mon père lui annonçant à mots couverts mon „auto libération“ prochaine.

MON EVASION

En tant que chef de camp, je n'étais pas très à l'aise d'envisager mon départ : on n'abandonne pas ses hommes !
Je fis le tour des baraques et demandais aux gars ce qu'ils en pensaient : ils furent unanimes.
Tous m'encourageaient au départ, certains me suppliant même de les emmener avec moi.
Je leur expliquais que j'avais décidé de partir en duo et que le choix de mon compagnon était déjà décidé avec son accord.
L'un d'eux m'offrit une boussole qu'il avait chipée aux feldgendarmen lors de la première fouille, d'autres m'offrirent spontanément des petites sommes d'argent français ou allemand disant ne savoir qu'en faire, n'étant pas candidats à l'évasion.
Puis une nouvelle information devait précipiter nos préparatifs : nous apprîmes par une corvée de prisonniers que notre camp devait être transplanté dans l'enceinte d'une immense usine, à Mannheim à 70 Km à l'est d'Hilsbach. Il était donc grand temps de prendre le large.

Mon acolyte pour ce départ était un petit gars nerveux, endurant, batelier de son état, aimant se donner des airs de „ dur“ genre mauvais garçon cachant bien en réalité un cœur d'or : je savais qu'avec lui on n'aurait pas de problème.

Je lui avais posé la question de confiance : si un schleu tente de nous arrêter que faisons-nous, on lève les bras et on se fait reconduire ici, ou bien… ? Sa réponse fut immédiate : ça sera „ou bien on lui règle son compte“. C'est d'accord, j'aime bien les gens résolus !

Le lendemain au départ pour les travaux (en priant le ciel pour qu'il n'y ait pas de fouille ce jour-là) j'emportais ma musette de masque à gaz garnie de rasoir, lames, savon, carte calquée, boussole, sucre, biscuits…

Dans les petites poches latérales, du poivre moulu (que j'avais réussi à me procurer après de nos précédents gardiens autrichiens) en guise de répulsif pour les chiens que les schleus emmenaient lors des chasses à l'homme. Vu mes rapports venimeux avec le Singer, nul doute que la nôtre sera spectaculaire : Il paraît qu'elle le fut vraiment !

Décidément, les circonstances devaient nous servir : ce jour-là, les camions nous emmenèrent assez loin en direction de Saint-Avold. Sur les rangs, on demanda des volontaires soudeurs ou serruriers. Après un signe avec mon compère, nous nous portâmes volontaires pour serruriers. Stupéfaction de mon gardien :“chef tu nous disais que tu étais dessinateur“ ? Oui, mais dessinateur en ferronnerie, lui répondis-je ! Il n'en fallu pas plus pour le laisser pantois ! De plus, j'étais satisfait de ne pas m'échapper sous sa garde, car il aurait été puni et comme c'était un brave type, je ne le souhaitais pas. Sur la lancée je lui dis „au revoir“ et sur le coup, il ne comprit pas pourquoi…

Dans ce lieu inhabituel régnait un grand remue-ménage : voitures de la Wehrmacht, motards, garde renforcée… Nous finîmes par apprendre que les schleus avaient bourré une casemate de la ligne Maginot d'explosifs pour la faire sauter et qu'ils avaient bloqué les routes et les chemins à deux Km à la ronde, les motards patrouillant pour s'assurer que nuls ne s'étaient aventurés dans le périmètre interdit.

Le chauffeur du camion auquel nous avions été confiés nous expliqua que l'explosion était prévue pour douze heures trente et qu'ensuite les volontaires soudeurs et serruriers interviendraient pour couper les fers le plus ras possible, la casemate devant être parfaitement rasée. En attendant il nous fit signe de faire la pause. Sur le coup je lui demandais s'il n'avait pas une cotte pour éviter de ma salir et il m'indiqua la caisse à outils sur le marchepied du camion. Je l'enfilais mais trop grande, je dû faire plusieurs plis aux jambes et aux manches!

Je me tournais vers mon compagnon :“Marchand, chiche que dès que ça aura sauté, ils vont tous courir pour aller au résultat“ ! De plus, les rondes de motards cesseront, le danger passé.
“Oui, me répondit-il, ça sera le moment de filer, direction France“ !
Non, lui répondis-je : direction Allemagne, où ils n'auront pas l'idée de nous chercher !

J'avais remarqué sur le trajet qu'il y avait une Feldgendarmerie dans le village de Faulquemont : idéal pour s'y cacher, à condition de ne pas se faire repérer. Nous n'étions pas à quelques Km près, mais il fallait surtout éviter qu'ils nous reprennent. Nous ferons un crochet assez large avant de reprendre notre axe de marche vers Nancy.

Les prévisions étaient justes : à midi trente pile, tout sautait, l'énorme explosion faisait vibrer l'air et les allemands se précipitaient déjà pour aller constater les dégâts.

Quant à nous, nous nous défilions et prenions du champ. Au bout de dix minutes, voilà Marchand qui reste à terre, jambes coupées sans doute par l'émotion…
Il me priait de continuer sans l'attendre, il ne voulait pas risquer de rater mon évasion, etc.
Quand il eut cessé de geindre au bout de cinq (très) longues minutes, nous voilà repartis, mais après quelques centaines de mètres, ce fût à mon tour d'avoir les jambes coupées !
Énorme trouille à retardement ? Fatigue nerveuse accumulée nuits après nuits à préparer notre fuite ?

Dès que mes forces revinrent nous filâmes comme deux furets en direction d'un boqueteau, traversâmes un petit étang avec de l'eau jusqu'au genou. Arrivés au bosquet, nous nous débarrassâmes de nos bandes molletières trop typiquement signées “armée française“ !
De plus, avec ma cotte j'avais déjà l'air moins militaire.

Continuant notre chemin, nous dûmes traverser un fossé anti-char que de jeunes allemands de l'Arbeitdienst étaient occupés à reboucher à deux cents mètres de nous. Il fût franchi sans que nous ayions attiré l'attention. Il fallait maintenant trouver un endroit pour nous cacher jusqu'à la nuit en évitant d'emprunter les routes de crainte de voir surgir une auto ou un motard de la Wehrmacht.

La nuit fut courte et notre sommeil agité ! Mais nous reprîmes notre chemin au petit matin en évitant les "vraies" routes préférant les sentiers à travers bois. En abordant le village de Faulquemont, toujours à travers champs, nous décidâmes d'approcher une maison où nous avions aperçu une femme âgée retirer du linge de sa corde à sécher. Après que nous ayons frappé à la porte, elle nous demanda en dialecte, sans ouvrir, ce que nous voulions ? Une attente assez angoissante s'ensuivit...

Après quelques minutes ce fut un homme qui nous ouvrit accompagné d'un deuxième gaillard : deux armoires ! Nous leur dîmes la réalité : fraichement évadés nous cherchions un abri en attendant de reprendre notre marche la prochaine nuit. Sans un mot ils nous firent signe d'entrer dans une cave dont le soupirail était garni de barreaux, volets fermés et dont ils fermèrent la porte à double tour.

Dans quel traquenard venions-nous de nous fourrer ? Nous étions effondrés à l'idée de se faire ainsi piéger !

Là-dessus nos deux costauds reviennent avec chacun un manche de pioche à la main et nous bombardent de questions :" Etiez-vous dans l'armée française ? Dans quel régiment ? Le 153 : parlons-en ! Dans quel bataillon ? Dans quelle compagnie ? Quels étaient les noms de vos officiers? De vos sous-officiers? Et l'adjudant ? Les questions fusent en dialecte que j'arrive encore à décoder ou en français avec ce fort accent que je connais si bien :" et le sergent-chef D*** vous le connaissiez ? Bien mais n'avait-il pas un surnom ?" . "Oui : Trompe-la mort !" répondis-je.

Ils se mettent alors à rire, nous donnent des tapes dans le dos en continuant de s'esclaffer :" vous avez de la chance, vous êtes dans la belle famille du sergent-chef D***! Excusez-nous pour l'accueil, mais nous devons être prudents, les "Verts" nous envoient parfois des provocateurs...

Reposez-vous, nous allons vous préparer un casse-croûte et un coup de pinard et vous repartirez à la nuit tombée.
Ouf, nous respirions. Mais qui avait eu le plus peur ? Je crois bien que ce furent nos paysans !

D'autre part, nous aurions pu remercier les schleus qui en nous emmenant en camions vers Saint-Avold, nous avaient épargné le chemin que nous aurions dû faire à pied depuis Hilsbach.

Partis de Faulquemont vers vingt-trois heures nous avons marché deux heures, toujours à travers champs et nous nous sommes cachés au creux d'un buisson. Recroquevillés sous des branchages, nous ne nous reposions pas vraiment. Ainsi, mieux valait de continuer à marcher de nuit quitte à nous cacher le jour pour se reposer...

Nous avions "décroché" le 18 juillet à midi trente et le 19 nous avions parcourus environ vingt-huit Km en tout terrain par Boustrof, Mathille, Bréhain, la forêt d'Armelécourt du flanc de laquelle nous apercevions la ville de Château-Salins dans la plaine.

Mais au cours de cette première nuit de cavale, que d'émotions : il nous fallut franchir un ruisseau assez large, profond au courant rapide. Nous grimpâmes à de forts arbustes suffisamment hauts, pour les faire plier afin d'atteindre l'autre rive. Pas facile, mais réussi !
Nous traversâmes par nuit noire, une lande parsemée de "gros rochers". Mais, à un moment, les "gros rochers" se mirent sur pattes ! Nous étions bel et bien au milieu d'un troupeau de vaches ! Et plus nous courions, plus les satanées bestioles voulaient nous voir de plus près ! A l'autre bout du champ, la clôture fut franchie "à la voltige" !

Phantasmes de la nuit, toujours sur le qui-vive, la fatigue, l'inquiétude...

Il nous fallut passer entre deux immenses feux de bergers éloignés d'environ trois cents mètres l'un de l'autre qui nous éclairaient bien trop tandis que de nombreux chiens aux voix caverneuses aboyaient furieusement sans interruption.

Nos bidons étant vides, la soif commençait à nous obséder : après le petit caillou qu'on suce, nous en arrivions au petit matin à lécher les feuilles couvertes de rosée. Il n'était pas question d'entrer dans une ferme pour nous ravitailler à la pompe ou au puits : nous n'aurions pas toujours la même chance qu'à Faulquemont !

Finalement, au lieu de marcher la nuit et de nous reposer le jour, nous finîmes par marcher nuit et jour !

Le long d'un bois à flanc coteau, la chaleur était intense : tout bourdonnait sous le soleil ! Mais tout à coup, il me sembla ressentir une impression de fraicheur...Nous arrêtant aussitôt l'examen des lieux confirma ma prescience : herbes moins brûlées, arbustes plus feuillus. Toutes nos observations concouraient à penser qu'il y avait de l'eau dans ce coin. En écoutant, en cherchant bien, nous finîmes par découvrir un petit édifice en pierre, haut d'un mètre enseveli sous les ronces. Une porte en fer rouillée s'ouvrit assez facilement en grinçant et en se penchant on pouvait entendre un goute à goute régulier. Ayant laissé tomber quelques petits cailloux on présuma que le puits était assez profond et que l'eau devait se trouver à 6 ou 7 mètres. Même en la dédoublant, la courroie du bidon s'avéra trop courte. Des bandes molletières auraient pu faire l'affaire, mais nous les avions abandonnées ! L'esprit "scout" aidant, nous coupâmes quelques badines, les attachant ensemble avec nos lacets, le bidon au bout de la courroie, nous finîmes par remonter l'eau qui sur le coup nous sembla la plus délicieuse du monde ! La halte se prolongea avec toilette, détente et boisson. Ragaillardi par cet intermède, nous reprîmes notre route. Un cerisier griottes rencontré sur notre route fût maraudé sans vergogne.

Peu de temps après avoir quitté cet oasis, nous descendions vers la plaine et en longeant un champ de blé un bruit nous fit tourner la tête : un allemand casqué, mitraillette dans la saignée du bras, bandes de cartouches en sautoir arrivait vers notre direction ! Un rapide plongeon dans les blés puis nous y faufilant en zigzags nous éloigna de la vue de ce danger. Immobiles, le cœur battant, nous avons fini, au bout de quelques minutes par le voir disparaître sans qu'il nous ait aperçus.

A la nuit tombée, la traversé de la forêt de Grémecy dans le noir nous éprouva beaucoup. Il nous fallut marcher longtemps pour contourner des ronciers gigantesques. J'appris plus tard que cette forêt de Grémecy avait été déclarée "interdite" du fait des nombreuses mines et autant d'obus non explosés datant de la dernière guerre, qui s'y trouvaient ! Nous l'avons traversée la nuit noire, nous guidant à la boussole, nous déchirant aux ronces et aux épines.

Nous arrivâmes au pied d'un mur derrière lequel dépassaient des cimes d'arbres. A cause de l'obscurité, on ne pouvait pas en évaluer la hauteur. Je grimpais sur le haut du mur et arrivé de l'autre côté je me laissais choir à la grâce de Dieu. Heureusement j'atterris à peine un mètre et demi plus bas : ce qui nous avait semblé être de grands arbres n'étaient que de petits faux acacias.

Nous étions en bordure de voies ferrées que nous traversâmes avant de replonger dans la forêt. Après environ trois km nous arrivions au chemin où finissait mon calque de carte routière, à l'entrée du village de Moncel-sur-Seille, but numéro un de notre équipée, à 25 km de Nancy.

Nous étions le Dimanche 20 juillet au petit matin et nous prîmes un peu de repos dans un fourré derrière le talus bordant le chemin.

Un pas de cheval nous réveilla : un jeune garçon marchait vers nous tenant son cheval à la bride. Il eut très peur quand nous lui sautâmes dessus pour l'empêcher de crier. Nous le rassurâmes bien vite : nous avions voulu que l'arrêter, qu'il ne se sauve pas.
Il nous dit d'attendre, après qu'il aurait mis son cheval au pré, il nous conduirait à la ferme la plus proche. Mais nous conseilla de bien nous cacher, car il y avait beaucoup d'allemands dans le secteur !

Il revint un peu plus tard et s'assurant que la voie était libre, nous conduisit dans une cour de grande ferme où nous attendait un "gentleman-farmer" qui très sûr de lui nous posa les questions habituelles :
-- D'où venez-vous ? D'Allemagne.
-- Où allez-vous ? Nancy d'abord, Paris ensuite.
-- Que voulez-vous ? Nous reposer, nous laver...
-- Bon allez d'abord vous reposer dans le grenier, on vous réveillera dans trois heures.
Quand une jeune fille de ferme nous secoua nous dormions à poings fermés ! Après nos fatigues de la veille dormir dans la paille : c'était fantastique !
Elle nous conduisit à une buanderie où deux seaux d'eau chaude, savons et serviettes, évier et pompe nous attendaient. Me payant d'audace, je lui demandais s'il serait possible de réparer les déchirures de nos vêtements. Elle les prit en riant :" faites-vous beaux, c'est dimanche et le patron vous attend dans une heure".

Lavés, rasés, nous avions meilleures mines pour nous présenter devant le "patron" : il nous dévisagea, parut satisfait et nous informa que nous serions ses invités pour le repas de midi !

A table nous étions une dizaine de personnes dont deux autres "invités" : une femme très élégante, avec qui le patron parla longuement à voix basse, (probablement une "passeuse") et un jeune lorrain frontalier qui dit avoir tout lâché précipitamment, n'emportant que son accordéon.

En effet, cette nuit-là, les allemands avaient raflé tous les jeunes frontaliers pour les enrôler dans la Wehrmacht. Ils avaient partout renforcé les gardes et multiplié les patrouilles pour ramasser les fuyards : ainsi nous avions traversé tout ce guêpier sans nous en apercevoir...sauf l'homme à la mitraillette !

Ayant perdu l'habitude du vin, nous n'en acceptâmes qu'un demi verre, mais la poule à la sauce blanche et le bon pain frai furent pour nous un vrai régal.

Ne nous attardant pas nous partîmes aussitôt après le repas après avoir chaleureusement remercier nos hôtes.

Ils nous avaient indiqué comment rejoindre la gare, l'heure du train et le prix du billet pour Nancy.

Nous y arrivâmes sans encombre dans la soirée, et trouvâmes facilement l'adresse de notre camarade Charmal notre cordonnier du camp d'Hilsbach qui nous avait précédé dans l'évasion. Nous fûmes accueillis chaleureusement. Nous n'étions pas les premiers à faire étape ici, les cinq évadés du premiers mai s'y étaient déjà réfugiés.

Nous y passâmes les deux nuits du 21 et 22 juillet 1941.

Un beau-frère de notre camarade vivait dans cette maison, il était chauffeur de camions et avait trouvé un emploi chez les allemands. Il nous donna d'utiles informations sur les conditions actuelles de vie que nous ignorions : l'existence de la zone interdite (Alsace et Lorraine) zone rouge, zone occupée et la zone dite libre, la nécessité de laissez-passer pour aller de l'une à l'autre, contrôle d'identités fréquents, etc...

Premier impératif : disposer d'une carte d'identité.

Il nous donna l'adresse d'un jeune abbé qui se fit un plaisir de nous fabriquer de fausses cartes d'identité où nous collâmes nos photos prises un peu plus tôt au photomaton local.
Il inscrivit de faux noms avec de fausses adresses, et surchargea les cartes d'un coup de tampon :"État-major de l'Armée" ! Il nous expliqua qu'au cours de la débâcle il avait trouvé ce tampon :"État-major de l'Armée Polonaise". Avec une lame de rasoir il avait ôté "Polonaise.
C'est ainsi que je me nommais Paul Babin demeurant rue des Quatre Piquets à Nancy : c'était une rue sans maison qui se perdait dans les champs.

Le beau-frère m'échangea ma cotte contre un pantalon plus "civil", ainsi que des chaussures.

Le mardi, nous étant imprudemment rendus à la gare pour nous renseigner sur les horaires des trains, il ne nous fallut pas longtemps pour constater que deux sbires aux longs imperméables nous suivaient.

Nous ne pouvions donc pas revenir chez Charmal. Mais en face se trouvait une "maison", fermée plus tard par Marthe Richard, et réservée aux officiers allemands. Nous y entrâmes sans hésitation et demandâmes à l’une des filles de bien vouloir aller chercher nos musettes en face chez Charmal. Après les avoir rapidement récupérées, une fille nous conduisit à une porte de derrière donnant sur une petite rue. Décidément, les évadés avait la cote dans cette région !

Il était exclus de retourner tel quel à la gare où d'autres sbires devaient être à l'affut.
Un nouveau problème en cours se présentait repéré par Marchand sous la forme d'une Traction-avant noire qui nous suivait s'arrêtant de temps en temps pour maintenir une distance suffisante.
Me souvenant de mes conversations avec mes collègues lorrains originaires de Nancy, ils nous parlaient aussi de" Champigneulles" .

Champigneulles était le nom que je venais à l’instant de voir inscrit sur un tramway. La manœuvre était donc de prendre un billet pour Champigneulles et faire semblant de s'être trompé de direction. En effet après avoir expliqué au wattman que cherchions à rejoindre la gare, celui-ci nous déposa face à un tram allant dans le sens inverse que nous primes à la volée, comme les bus à Paris. Après vérification plus de voiture suiveuse en vue.
Arrivés à la gare, très méfiants après l'expérience de tout à l'heure, nous entrâmes dans le seul café du coin, le Café de la Gare (!) qui était rempli de soldats allemands. Ils étaient au repos, avaient ôtés leurs vareuses et débouclés leurs ceinturons. Nous mêlant aux groupes de buveurs, nous interceptâmes une serveuse en lui expliquant notre situation. Nous lui demandâmes de bien vouloir envoyer quelqu’un au guichet de la gare pour nous acheter deux billets pour la station précédant celle où avait lieu le contrôle d’identité pour le passage de zone interdite (Lorraine) à la zone rouge, de nous indiquer l’heure précise de départ du train et si possible de payer avec nos marks.

Après quelques minutes elle revint : « voici vos billets pour Venize. Le contrôle a lieu à Semaize, qui est la gare suivante. Le train s’arrête ici cinq minutes et repart à 17h15 précise. Et voici la monnaie de vos marks en argent français. Et bonne chance ! A nouveau beaucoup d’émotion dans nos bises de remerciements…

Nous avons attendu que le train entre en gare, puis rapidement, mais sans courir, avons traversés la place, nous sommes engouffrés dans la gare, rapidement fait poinçonner nos billets et montâmes dans le train dont on refermait déjà les portières. A peine installés dans un compartiment vide que le train s’ébranlait.
A Venize, nous sommes descendus très inquiets avant de constater qu’il n’y avait pas d’allemands dans le secteur. Alors nous prîmes la route pour en direction de Vitry le François. Aux abords de Semaize, un fermier nous offrit un casse-croute et nous dessina un petit plan des obstacles qu’il nous faudrait éviter. Il nous indiqua avec précision le petit pont sous lequel nous devrions nous blottir, jusqu’à ce que la patrouille passe au-dessus et ensuite direction Parny, soit une ballade de dix km depuis Semaize.

Direction Paris cette fois : il parait que les contrôles d’identités ne sont pas systématique dans cette portion de ligne, espérons, car nous avions une confiance très limité dans la valeur de nos fausses cartes d’identité !
Nous avions épuisé presque tout notre argent.
Et comment sortir de la gare de l’Est sans nous faire repérer ?
J’avais ma petite idée, mais nous n’y étions pas encore…
Cependant, le voyage qui nous paraissait interminable s’achevait : Noisy-le –Sec, Pantin, déjà le train ralentissait tandis que nos pulsations cardiaques s’accéléraient !
C’est juste avant le bout du quai que nous sautâmes en marche et que nous nous éloignâmes en enjambant les nombreuses voies et réseaux de fils en nous dirigeant vers les bâtiments de services situés en bordure du Faubourg Saint Martin.
Rencontrant une ouvrier graisseur nous lui demandâmes de nous indiquer une sortie de service : il dû aller chercher son responsable qui en avait la clef. Celui-ci nous fit sortir furtivement et nous nous retrouvâmes LIBRES dans Paris !
Nous nous assîmes sur un banc près d’une station d’autobus et attendîmes patiemment une vingtaine de minutes avant de s’apercevoir qu’il n’y avait plus d’autobus dans Paris ! Pas plus que d’autres véhicules, du reste : sans voiture, Paris nous paraissait vide.
C’est avec émotion que nous nous quittâmes, mon camarade Marchand et moi, lui allant vers la Porte d’Orléans et moi vers Pantin après toutes ces moments d'anxiétés partagés…

Nous étions le 24 juillet 1941 vers 20 heures !

Quelle impatience de revoir ma famille, retrouver ma fiancée !

Par prudence, je marchais à ras des façades, mais dans un dernier réflex de méfiance je ne me rendais pas directement chez mon père, mais plutôt chez un de ses frères habitant dans le même quartier. En effet c’était l’adresse de mon père que j’avais déclarée sur mes papiers militaires, et les schleus devaient en avoir connaissance. Grand bien m’en pris, car deux jours plus tard, deux « souris grises » (femmes de la Wehrmacht, ainsi nommées du fait de la couleur de leur uniforme) se présentèrent chez mon père et me demandèrent. Mon père, déjà informé de mon retour, fit l’étonné en montant une de mes lettres datée 10 juillet, stalag XII B Hilsbach : elles s’en retournèrent sans insister. Il aurait été rageant de se faire pincer arrivé au but !

Mais ce dernier aléa me fit comprendre qu’il me faudrait dorénavant m’organiser pour évoluer en tant que proscrit dans ce monde dangereux pour moi : me faire établir des papiers d’identités décents, trouver un logement discret, et programmer les rencontres avec ma famille en minimisant les risques.

C’est ce à quoi je me préparais pour vivre dans la clandestinité jusqu’au mois d’août 1944 et que je raconterais dans le dernier épisode de ces mémoires de guerre : 1941- 1944, clandestinité !

Dernière édition par alberto le 23 Juil 2015, 20:17, édité 5 fois.

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Commentaires

Re: Mon évasion

Lien permanentde Aldebert le 06 Juil 2015, 16:14

Salut Alberto,
D'abord un grand merci pour ce récit, puis la question qui suit.
Ce texte si intéressant que tu nous présentes, a-t'il déjà paru qqpart ou édité d'une qqconque manière.
Amitiés
Albert
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RE: Mon évasion

Lien permanentde alberto le 06 Juil 2015, 18:17

Bonjour,

et merci Aldebert de t'intéresser aux retranscriptions des mémoires de mon père.

A part quelques (rares) échanges épistolaires avec certains de ses ex-compagnons d'armes et aussi avec des vétérans britanniques avec qui il était en relation (je n'ai jamais bien su comment ::dubitatif:: ) jamais l'intégralité de ses mémoires n'a jamais été publié ailleurs qu'ici : c'est de l'exclusif ! :)

Pour moi, c'est un travail un peu fastidieux, car je dois recouper ses manuscrits avec les quelques écrits qu'il avait commencé à enregistrer sur son ordinateur de façon un peu "pagailleuse" du fait de son inexpérience du rangement de ses dossiers informatiques !

J'espère avoir été précis à te questions.

Bien amicalement : Michel
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RE: Mon évasion

Lien permanentde Aldebert le 07 Juil 2015, 14:32

alberto a écrit:Bonjour,

et merci Aldebert de t'intéresser aux retranscriptions des mémoires de mon père.

J'espère avoir été précis à te questions.

Bien amicalement : Michel

Salut à toi.
Tu te trompes Michel, ce n'est pas le lecteur qui doit être remercié mais le travail de l'auteur des textes avec tout ce qu'ils apportent d''informations, de recoupements ou de confirmations possibles devant l'histoire (la petite c'est vrai mais elle nourrit la grande).
Pour le reste, tu réponds parfaitement à ma question. Je la posais parce que ce récit mériterait à mon sens d'être édité dans une brochure spécialisée dans le devoir de mémoire de la SGM pour les raisons dites ci-dessus.
Ne sois pas chiche de nous apporter d'autres lectures. :D
Amitiés
Albert
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Re: Mon évasion

Lien permanentde Anonymous le 12 Juil 2016, 16:44

je savoure également ce récit qui est une histoire dans l'histoire
merci de ce partage
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