Voyage inter frontières à l’intérieur du Bloc de l’Est - 1984
Après notre départ de Berlin Est, nous nous mettons en route pour Bastei - DDR, région frontalière avec la Tchécoslovaquie. Nous avons rendez-vous avec des amis britanniques, Roger et Yvonne et leurs deux garçons Gareth et Alexander.
Bastei, la Suisse saxonne en DDR, est une région très pittoresque aux nombreuses formations rocheuses. Excellente raison pour laquelle nos amis ont fixé le rendez-vous en ces superbes lieux.
Roger et Yvonne ont un passager tchèque ou plutôt slovaque dirons-nous, qui les accompagne. Il a pris place dans leur véhicule. Le jeune Slovaque, a pour prénom Stano. Il a séjourné quelque temps en Grande Bretagne comme invité. Il s’en retourne chez lui et devient par le fait notre guide pour atteindre son domicile en Slovaquie, puis la Datcha dont profite papa dans les Hautes Tatras. Papa est le directeur d’une usine, complexe chimique ou métallurgique, la précision n’a pas été communiquée. Depuis son départ de Grande Bretagne Stano a décidé de n’effectuer sur sa personne aucun soin de toilette. Yvonne est obligée d’asperger de déodorant l’intérieur de la Rover, tellement l’odeur dégagée par leur passager les incommode. C’est ainsi, il n’y a rien d’autre à faire.
Nous longeons l’Elbe jusqu’à Schmilka puis nous entrons, par le poste de contrôle frontalier de Hrensko, dans ce qui deviendra en janvier 1993, la République Tchèque. Le passage inter frontières du bloc communiste est plutôt calme et détendu, nous sommes le 7 août 1984, Nous achetons immédiatement des devises. Compte tenu de la durée estimée du séjour dans ce pays, la somme d’argent changée, par chacune des familles, est assez rondelette. A partir de cet instant, c'est-à-dire après notre entrée en territoire tchèque, Stano n’a de cesse de nous montrer, en tant que Slovaque, combien il méprise les Tchèques. Ses invectives contre eux ont duré pendant tout le parcours jusqu’à notre entrée sur le territoire de l’actuel Slovaquie. En imaginant qu’une majorité des Slovaques éprouve cette même aversion pour les Tchèques, la scission qui s’en suivra, après l’effondrement du régime communiste, ne nous étonnera pas.
Arrêt déjeuné en pays Tchèque. Stano s’aère un peu.
Autre arrêt repas, Gareth rechigne à nous faire gouter sa réserve de fromage Cheddar.
Visite d’un château, durant notre trajet mais lequel et où !!
La route est longue dans cette partie nord du pays. En chemin, les Anglais font grande impression sur les enfants. La conduite à droite de la Rover laisse les mains libres à la passagère placée à gauche. Au cours des traversées de villages les enfants sont très attentifs au fait que cette dame conduit sans volant. La voiture est montrée du doigt avec étonnement, au grand plaisir d’Yvonne.
Nous faisons une halte dans la ville où demeure Stano. Le nom et l’endroit de cette cité ne me reviennent pas en mémoire. Il nous invite dans la maison de ses parents, absents à ce moment et nous propose de profiter de toutes les commodités qu’offrent ces lieux : Leur téléphone international, leur douche, de quoi se restaurer, leur confort en général. Les Anglais téléphonent en Angleterre tandis que les Français n’éprouvent pas la nécessité de joindre l’Hexagone. A la satisfaction générale, Stano est le premier à faire honneur à la douche. Des rafraîchissements sont servis, ici la pénurie n’a pas voix au chapitre.
Nous poursuivons notre périple en direction de la région des Hautes Tatras. En route nous prenons le temps de visiter d’exceptionnelles grottes ainsi que des châteaux.
Nous arrivons presque aux confins de la partie nord du pays, la Pologne n’est pas loin. Nous installons nos caravanes dans un camp de camping. La température n’est pas aussi clémente que nous l’imaginions, nous sommes dans les montagnes et il pleut par instants. Le camp de camping est infect, boueux, les sanitaires mal tenus comme d’ailleurs l’ensemble du camp. Yvonne pense qu’une réclamation auprès de la gardienne serait entendue. Peine perdue, elle s’adresse à un mur au visage qui ne reflète aucune expression. Normal de la part d’un mur !
Et je pensais « Chère Yvonne tu es bien naïve de réclamer ici …… mais tu es excusée car c’est ton premier voyage dans ce pays ».
Au camp de camping, le soir Stano fait la fête avec copains et copines. Je lui avais offert une première puis une seconde bouteille de ma réserve de bon vin. Il devient trop gourmand et je refuse de lui en donner une troisième. Yvonne me donne raison.
Le grand jour est arrivé nous allons rendre visite à Papa – Maman - Oncles – Tantes pour un déjeuner dans la Datcha située sur les hauteurs, à proximité de la frontière polonaise où, parait-il, des ours vivent encore naturellement en liberté. Nous n’en avons rencontrés aucun au cours de nos promenades.
Les convives sont nombreux autour de la table, la nourriture est excellente et abondante. Au début du repas une coutume locale appelle mon attention, elle veut que les femmes restent debout, derrière les hommes assis, afin de les servir, sans prendre aucunement part au repas. Une exception, cependant, une parente du maitre de maison, assise à nos cotés, nous précise qu’elle ne se pliera jamais à cette exécrable coutume. Partout, coutumes et religions sont ancrées d’une manière très forte, ils mettent souvent à mal, surtout en ces pays, les préceptes de la doctrine communiste. Au cours du repas je demande s'il est possible de visiter l'usine, le maître de maison me regarde d'un air soupçonneux et me demande pourquoi faire. Je sens alors qu'il est inutile d'insister.
Nous arrivons au chalet de montagne de papa Stano, Yvonne à Gauche, Stano devant elle.
Importante réunion des représentants de l’entente cordiale que nous sommes. A l’ordre du jour. « Nous ne pouvons plus continuer à nous geler dans les brumes de cette région, il faudrait voir ailleurs ». Mais où ? Je propose d’aller en Hongrie. J’adore la Hongrie, je m’y suis déjà rendu trois fois en 1978,1979 et 1981. Yvonne s’inquiète pour nos devises, voudront-ils nous les changer et les visas, comment les obtenir ?
Malgré toutes ces questions restées sans réponse nous décidons d’emprunter la route dans le sens Nord Sud, celle qui nous emmène vers l’aventure. Nous nous dirigeons vers le point de passage ouvert, Samy en Slovaquie et Parassapustza en Hongrie. Nous sommes le 13 aout 1984. Nous franchissons la barrière qui nous sépare des deux pays, nous quittons la Slovaquie et pénétrons de quelques mètres en Hongrie. Un garde frontière, hongrois comme il se doit, d’un âge moyen, plus rondouillard que grand, nous accueille dans un espace assez désert. Il semble étonné en découvrant notre équipage. Il demande aimablement nos passeports, les consulte et ainsi commence pour nous, à cet instant précis, un long moment de suspense.
Il constate que nos passeports sont vierges de tous visas d’entrée en Hongrie, en conséquence, il nous informe qu’il ne pourra pas en être délivrer ici. Pour les obtenir il est indispensable de fournir des photos d’identité pour chacun d’entre nous, c'est-à-dire sept.
Devant nos mines déconfites et après quelques instants d’hésitation, il nous fait comprendre qu’il est toutefois possible d’obtenir des photos en ville mais ce sera long et cher. L’homme semble pourtant arrangeant, il se trouve sans doute devant une situation inhabituelle à gérer, son attitude le prouve. Roger me dit alors « Tu as un polaroïd Albert, utilisons le pour les photos ». Aussitôt dit, deux par deux, nous nous adossons devant la paroi claire d’une caravane, une paire de ciseaux pour la découpe et le tour est joué. Plus rien d’administratif ne s’oppose à la délivrance de visas. Véritablement notre sympathique Hongrois n’en croit pas ses yeux de voir un appareil à développement instantané, il vient d’assister à un spectacle de magie. Nous lui présentons alors nos passeports avec photos qu’il va remettre à d’autres fonctionnaires dans un bureau.
Le suspense n’est pas terminé, il faut maintenant obtenir le change de l’argent Tchèque. Si les pays du bloc de l’Est se délectent des devises occidentales par contre ils ne raffolent pas de celles des pays frères.
La question est posée à notre seul interlocuteur hongrois, la réponse est sans hésitation, impossible !
Yvonne et moi feignons de nous mettre en colère face un homme qui ne ressemble en rien à un Vopo. Nous lui demandons d’une manière polie mais ferme de nous permettre de téléphoner à nos ambassades respectives en insistant véritablement. On perçoit de la gène dans son attitude, il nous quitte alors pour consultation auprès de sa hiérarchie et revient peu après. Il nous demande de lui remettre l’argent à changer, s’en retourne et revient quelques temps après avec des devises du bon pays hongrois. Nous n’avons pas eu connaissance du taux de change mais gageons que la somme reçue correspond à un pouvoir d’achat en Hongrie nettement supérieur à celui dont nous aurions pu bénéficier, en couronnes, en Tchécoslovaquie.
Avant notre véritable entrée en Hongrie nos caravanes doivent être fouillées par deux fonctionnaires du sexe féminin. En fait, de fouille nos sympathiques dames effectuent un véritable parcours découverte. Elles s’extasient devant l’aménagement intérieur, elles ouvrent et ferment les portes des placards en ne dérangeant rien, elles apprécient le fonctionnement des fermetures automatiques, la qualité des menuiseries. Pour terminer cette visite elles s’installent sur une banquette et nous font comprendre qu’elles souhaiteraient bien nous accompagner dans notre voyage. En avant disent-elles en riant.
Notre douanier a rendu les passeports aux amis anglais mais tarde à me rendre les nôtres. Un peu inquiet, j’en fais part à Roger qui me répond « Tu n’as pas compris ? Je pense qu’il veut que tu le prennes en photo avec le polaroïd »
J’invite donc notre homme qui se place alors derrière une des deux caravanes, à l’abri du regard de collègues qui pourraient passer par là. Il adopte alors une pose avantageuse, la tête haute, le torse bombé, une main appuyée sur la hanche et le miracle pour lui se produit. Quand je lui remets la photo il est heureux presque émerveillé. Je récupère nos passeports, nous saluons et nous partons en direction de Budapest.
Rien n’est exagéré dans la description ainsi faite de ce passage en Hongrie, il fait partie d’un de mes meilleurs souvenirs. Les Hongrois sont de braves gens.
Nous traverserons Budapest….nous nous dirigerons vers Kekcemet… retour par Fertöd Palais d’Esterházy – Sopron ….un autre périple, la Hongrie est belle et douce en ces années quatre-vingts.
Albert René Gilmet