INTRODUCTION

Cette recherche a pour objet de retracer le parcours du Capitaine Frédéric Lescure jusqu'à l'armistice de 1940.
En 1940, cet officier de réserve était lieutenant au 27e R.I. de la 15e D.I.M.

Je débutais cette étude en 1980.
C’était l’année du 40ème anniversaire de l’armistice de juin 1940. Le 10 mai 1940, à 04h00, les troupes allemandes envahissaient le Luxembourg, la Belgique et la Hollande. Les 2 et 3 septembre 1939, en réponse à l’invasion de la Pologne le 1er et conformément aux accords passés avec ce pays, la France et l’Angleterre entraient en guerre contre l’Allemagne. Jusqu’au 10 mai, c’était la « drôle de guerre ». A cette date commence la phase cruciale pour les Français de ce qui reste encore le dernier conflit s’étant déroulé sur le sol national. Bien sûr, la guerre continue partout ailleurs, bien sûr il y eu d’autres campagnes et l’on peut aujourd’hui lire sur bien des monuments la listes des victimes des conflits ultérieurs (Indochine, Algérie) (1).
Mais depuis le 15 Mai 1940, le sol de la France a été épargné. On a fait la guerre ailleurs. Bien sûr la paix des cœurs ne s’est pas installée depuis, mais cette situation a éloigné l’ennemi de nos jardins, nos villes et nos campagnes. Avec la victoire du 8 juin 1945, c’est la majorité des Français qui a oublié l’invasion et l’occupation qui suivit.

Dans l’enchaînement chronologique, on ne peut séparer les conflits. Le précédent porte en lui les germes du suivant. La violence n’est pas un germe que l’on éradique, même si l’on voulait, ce qui n’est pas forcément notre cas. En 1940, il est évident que le conflit de 14-18 a laissé un contentieux que le traité de Versailles (2) n’a pas su éviter : « Les chirurgiens de Versailles, ont cousu le ventre de l’Europe sans avoir vidé l’abcès (3) » Il instaura la république de Weimar, les réparations et indemnités de guerre (4) , l’occupation de territoires, la création d’états qui n’existent même plus de nos jours. Il ne faut pas attendre du règlement par les armes de solutions stables aux problèmes, les traités ne sont qu’illusoires et momentanés. Il suffit que subsiste un esprit de revanche se juxtaposant à des difficultés économiques mal comprises pour que se rallume la flamme de l’agression. Même constatation pour celui de 14-18 au regard de la guerre de 70. En 1871, par le traité de Francfort l’Allemagne annexe l’Alsace - Lorraine, isole momentanément la France qui se relève rapidement : « Ténacité passionnée du patriotisme français, la force de l’idée unitaire en France, l’importance des liens spirituels et des souvenirs qui depuis la révolution rattachaient l’Alsace et la Lorraine à la France (Bülow dans ses mémoires). Cette guerre et ces traités ne tinrent compte en rien de l’évolution prévisible de l’Europe et du monde à l’aube du XX siècle. L’enchaînement de situations non résolues, voilà le tableau laissé par les divers conflits qui conduisirent à l’état de fait de mai 1940.
En quelques jours, de mai 1940, tout s’est écroulé, pour certains, pour d’autres ce n’était qu’une tragédie depuis longtemps pressentie (5) . Le temps a passé, l’encre a coulé comme le sang sur ce désastre. Le hasard des rencontres littéraires conduisit un jour mes pensées vers un des nombreux acteurs de cette histoire si importante pour la fin du 20ème siècle. La mémoire n’a pas encore relégué cette catastrophe nationale et humaine au niveau des conflits antérieurs qui font figure à l’heure actuelle de grandes fresques historiques. Pour la deuxième guerre mondiale, beaucoup d’acteurs vivent encore.

Celui qui attira mon attention n’est plus de ce monde. Il n’était pas illustre, sauf pour la cuisson des légumes, il mériterait de l’être. Son destin, qu’il semble avoir toujours voulu maîtriser fut toutefois original et montre combien l’homme peut être le jouet des événements surtout quand ceux-ci revêtent une telle ampleur. Il traversa cette période en citoyen actif, un peu désorienté, manquant de recul, mais toujours guidé par une foi chrétienne et des convictions humanistes profondes. Il tira son épingle du jeu plus qu’honorablement, payant souvent de sa personne, c’est avec obstination qu’il poursuivit le chemin qu’il estimait juste.

Me voici donc plongé dans la lecture d’un des nombreux témoignages laissés sur ces jours sombres. Ce témoin n’est pas un historien, ni un homme d’état. S’il fait de la politique, et il en fera plus tard à un haut niveau régional, c’est toujours dans l’espoir de contribuer au bonheur de ces congénères. Meneur d’homme, endurant, tenace, enthousiaste, impliqué et engagé dans tout ce qu’il entreprend, il ne cessera de faire « fructifier ses talents ». S’il connaît la diplomatie, celle des affaires n’avait plus de secret pour lui, il se refusera à ce qu’elle devienne synonyme de compromission, de renoncement à ses convictions. Peut-être influencé par André Gide, il choisira souvent « la porte étroite ». Sa rectitude d’esprit et son franc parler seront des atouts à divers moments de son aventure. Ces mêmes qualités humaines qui lui vaudront bien des incompréhensions de la part du commun des mortels. C’est un récit au jour le jour qui commence, du moins pour les faits de guerre, un peu avant « ce » mois de mai 40. Et tout de suite l’envie m’est venue de dresser le plan du périple que Frédéric Lescure (6) a accompli entre le 23 novembre 1939 et le 21 juin 1940.

Cet itinéraire, c’est celui de beaucoup d’hommes de troupes Français, Belges, Anglais et Allemands (7) . C’est celui de la bataille du nord, ce qui fut longtemps ressenti comme la réussite de la stratégie de la « guerre-éclair » déjà pressentie quelques mois plus tôt en Pologne.

Comme ce témoignage était parallèle à d’autres, je me suis appliqué à essayer de voir s’il était corroboré par ces autres récits historiques. Mais il me semble évident à l’heure actuelle que le plus souvent, l’histoire a oublié la première ligne. Pendant longtemps et en particulier dans l’histoire des conflits, le cas individuel ne fut pas assez pris en compte par les historiens qui se contentèrent bien souvent des cas généraux, des positions officielles et des compte rendu d’état-major ou du journal de marche des grandes unités. On se rappelle plus facilement le nom d’un général de corps d’armées que les noms des soldats qui les premiers, le 10 mai 1940 eurent à faire face à cette invasion. Je n’ai d’ailleurs pas croisé leur chemin pour l’instant.

Pourtant, ne sommes-nous pas tous des individus ? N’y a-t-il pas déshumanisation à parler d’Histoire à travers un groupe d’hommes qui représente certes la nation mais qui pour l’intérêt général sacrifie l’intérêt particulier. Le bonheur, la paix sont à tout le monde. Personne n’a le droit de disposer du bonheur d’autrui même si c’est pour le bien de la majorité. Le soldat de 1940 a-t-il démérité ? Comment peut-on faire payer à quelques-uns les fautes de tous ? Surtout quand la faute du peuple français fut d’être profondément et individuellement pacifique.
En fait, l’Histoire est un tableau qui est riche de détails. Chaque touche apporte à l’ensemble sa puissance, sa beauté et le respect qu’il inspire. Des hommes ont été, au mois de mai 1940, plongés dans une tourmente dont ils ne soupçonnaient pour la plupart ni l’ampleur ni les incidences sur le futur. Je vais leur expliquer ce qu’ils ne pouvaient savoir, je vais intégrer leurs aventures dans la grande bataille du nord et suivre le déplacement de Frédéric Lescure en tentants de recomposer ce qui manque, même si mon imagination est plus forte.

En 1940, je n’étais pas né. Comme bien d’autres personnes de ma génération, nées après-guerre, je me demande souvent qui aurais-je été en pareilles circonstances ? Un héros, un idiot, un naïf, un malin, un opportuniste, un profiteur ou bien simplement un monsieur tout le monde qui continue à vivre, travailler, dire mais ne pas faire, ni plus ni moins engagé que ne l’est son voisin ? Aurais-je traversé la France à bicyclette comme le capitaine de Hautecloque (8) ou comme Frédéric ? Aurais-je été militaire ou commerçant ?
Natif d’Algérie, j’aurais peut-être évité d’être pris dans l’encerclement de Lille et fait partie par la suite de l’armée d’armistice. Sauf bien sûr si, comme les combattants des divisions Nord-africaines, j’avais assuré la protection du périmètre de Dunkerque.
Les pieds noirs que j’ai connus se rappelaient surtout la campagne d’Italie, du Belvédère, mais c’est une autre histoire, d’autres souvenirs de guerre.
La campagne de mai-juin 1940 n’a fait que révéler la bravoure et l’honneur des uns, la lâcheté et la bassesse des autres. Ils étaient avant cela, ce qu’ils étaient. Aucun miracle ne s’est produit. « Guerrier Errant », Frédéric Lescure l’était avant 1940 et continuera de l’être même après la libération.

Notes :
1 - Pour se rendre compte de l’incessante participation de la France aux conflits permanents, il suffit de s’intéresser un peu aux commémorations et à leur tribu de décorations commémoratives. Que ce soit dans le cadre de l’ONU ou dans celui d’accords bilatéraux, le soldat français ne cesse d’être actif.
2 - 28 juin 1919.
3 - Jacques Bainville. - Les conséquences politiques de la paix.
4 - Autres mesures : réarmement limité, Neutralisation de la rive gauche du Rhin, la Sarre, le partage des colonies allemandes et le système des mandats, les revendications Italiennes, le problème des minorités. Le Traité de saint-germain (10 septembre 1919) pour l’Autriche créait la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie. Le traité de Trianon (4 juin 1920) réglait les problèmes avec la Hongrie et conduisait à la balkanisation de l’Europe.
5 - Voir ce qu’en disent les auteurs témoins et historiens.
6 - Lescure Frédéric. - Guerrier errant.- Edition France-Empire.-1963.
7 - Peut-on estimer officiellement combien d’hommes furent concerné par cet événement ?
8 - Références.