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Rawa-Ruska et mon grand-père Félix Le Corre


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Adoption d'une proposition de loi – séance du Sénat du 25 mai 19

Lien permanentde nyle le 11 Fév 2015, 10:05

Pour découvrir les difficiles conditions de vie au camp de Rawa-Ruska, le mieux est de prendre connaissance du rapport largement illustré de M. André Meric (ancien déporté de Rawa-Ruska), fait au nom de la commission des affaires sociales devant le Sénat en 1987, lors de la demande du statut de déporté de la Résistance pour les prisonniers de Rawa-Ruska.


Adoption d'une proposition de loi – séance du Sénat du 25 mai 1987

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. M. André Méric, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est avec une profonde émotion que je monte aujourd'hui à cette tribune ; plus l'heure de ce débat approchait et plus les souvenirs se bousculaient dans ma tête.
Avant toute chose, je voudrais exprimer ma reconnaissance à M. Fourcade, président de la commission des affaires sociales, et aux membres de cette commission qui ont bien voulu m'entendre, ainsi qu'à notre collègue, mon ami M. Rabineau, sénateur de l'Allier, déporté à Rawa-Ruska comme moi, qui a approuvé le rapport à la commission des affaires sociales.
Aujourd'hui, je voudrais en appeler à vous, monsieur le secrétaire d'Etat, et, à travers vous, au Gouvernement, ainsi et surtout qu'à vous tous, mes chers collègues, pour qu'enfin justice soit rendue à des milliers de prisonniers de guerre français, morts ou encore vivants, qui connurent les affres de la déportation au camp de Rawa-Ruska pour n'avoir jamais accepté de quelque façon que ce soit de servir l'ordre nazi.
J'agis ainsi, mes chers collègues, pour honorer la mémoire de ceux qui, dans ce camp d'extermination, moururent de faim, connurent les humiliations les plus dégradantes, furent roués de coups et souvent assassinés. Je le devais également aux quelques milliers de déportés à Rawa-Ruska encore vivants qui, victimes des conséquences de leur séjour dans ce camp et de ses kommandos, ne peuvent accomplir tous les actes de la vie. Je le devais encore à tous ces soldats français qui, quels que soient les dangers et les menaces qui planaient sur leur propre vie, n'ont jamais désespéré de la France, restant ainsi fidèles à l'honneur de la patrie.

J'ai pu établir ce rapport, après de légères modifications adoptées par la commission des affaires sociales unanime, grâce à celui qui a été rédigé par des médecins, officiers de l'armée française, déportés à Rawa-Ruska parce qu'ils étaient israélites et non pour soigner des malades internés dans ce camps d'extermination ; grâce aussi au travail important fait en collaboration avec mon excellent ami Clément Lucas, aujourd'hui invalide à 100%, sur les archives du tribunal militaire international de Nuremberg ; grâce enfin aux multiples recherches auxquelles je me suis livré.
En 1942, les armées du Reich nazi triomphent sur tous les fronts. Le drapeau rouge à croix gammée flotte sur tous les édifices des pays occupés. Les chefs hitlériens, encouragés par de tels succès, pour hâter, imposer et garantir leur triomphe, décident l'application formelle et implacable des thèses d'Adolph Hitler dans tous les pays occupés. C'est la mise en œuvre de ce qui a été appelé «la solution finale » qui ne repose - chacun le sait - sur aucun fondement scientifique et qui n'a été qu'un acte de barbarie démentiel. Pour imposer une telle inhumanité, tous les obstacles seront surmontés, tous les opposants exterminés.
Le 20 janvier 1942 avait lieu à Wansee, près de Potsdam, une réunion extraordinaire de l'élite SS, sous la présidence du général SS Reynard Heydrich, assisté de Frank, responsable du gouvernement général de Pologne et territoires occupés - et du général Keitel, de la Wehrmacht, pour la mise en place des moyens d'exécution de la solution finale du problème juif et des «races dites inférieures» auxquels furent intégrés les prisonniers de guerre évadés considérés comme « inassimilables » à l'ordre nazi, en refusant de donner leurs bras et leurs connaissances au développement du potentiel de guerre.
Récemment encore, à l'occasion du procès de Klaus Barbie , le témoin allemand a rappelé la conférence de Wansee du 20 janvier 1942. Il a révélé que c'étaient les ordres d'Hitler qui étaient appliqués aux juifs, aux inassimilables et aux prisonniers de guerre évadés. C'est en fonction des décisions prises à cette conférence que furent créés cinq Vernichtungskiger, ce qui, en français, signifie « camps d'extermination».
Dans le gouvernement général - Pologne et territoires occupés - celui de Rawa-Ruska, où avaient été tués et liquidés physiquement 12 000 prisonniers de guerre soviétiques, fut réservé aux prisonniers de guerre évadés français et belges.



Pourquoi une telle décision ?
Des milliers de prisonniers de guerre n'avaient pas accepté la défaite et à l'appel du général De Gaulle, résistaient partout où ils se trouvaient. Malgré les avertissements, les menaces de mort diffusées dans les stalags et les kommandos, le nombre de Français qui s'évadaient ne cessait d'augmenter.
Et c'est ainsi que, devant l'ampleur de cette forme de résistance, les prisonniers de guerre devenus « inassimilables » furent internés dans ce camp d'extermination. Le tribunal militaire international de Nuremberg s'est fortement intéressé aux traitements auxquels furent soumis ces prisonniers de guerre. Les archives du tribunal militaire international, contrairement à certaines informations, en font foi.
Pour déterminer si une suite favorable peut être donnée au rapport de la commission des affaires sociales, je crois qu'il faut répondre à trois interrogations : les conditions et le régime du camp, la perte du statut de prisonnier de guerre et l'acte de résistance.
Pour répondre au premier point, je crois qu'il est de mon devoir de rappeler le document rédigé - comme je l'ai déjà dit - par les médecins, officiers français du service de santé, eux-mêmes déportés à Rawa-Ruska pour des motifs disciplinaires et raciaux, sur la pathologie du camp de Rawa-Ruska.
Il peut paraître surprenant que les médecins, qui ont été déportés en 1942 et 1943 au camp de Rawa-Ruska et ses kommandos, aient attendus plusieurs décennies pour rédiger un rapport commun sur les lamentables conditions sanitaires, dont ils furent à la fois les victimes et les témoins impuissants, dans lesquelles ont vécu plusieurs milliers de prisonniers de guerre français et belges.
C'est parce qu'ils espéraient que les rapports individuels, rédigés par quelques-uns d'entre eux, selon les formes leur conférant valeur juridique, que les témoignages détaillés, les conclusions des commissions d'enquête russes sur le camp de Rawa-Ruska, versées au procès du tribunal militaire international de Nuremberg, suffisaient pour faire connaître la vérité sur le « Camp de la goutte d'eau » et la faire admettre. Je parle du « Camp de la goutte d'eau », car c'est Winston Churchill qui l'a appelé ainsi en effet, à une certaine époque, il n'y avait qu'un seul robinet d'eau potable pour les 17 000 personnes qui stationnaient dans ce camp, le « Camp de la goutte d'eau », où certains sont morts de soif.

Les synthèses des rapports médicaux s'avèrent nécessaires aussi pour répondre au rapport de la Croix-Rouge internationale que l'on a souvent présenté comme une opposition au régime du camp de Rawa-Ruska. Nous allons y revenir au cours de mon intervention.
C'est aussi après avoir pris connaissance du seul rapport médical officiel, émanant de la Croix-Rouge internationale, après la visite de ses délégués le 16 août 1942, rapport qui mérite d'être discuté et développé, car il ne traite que de l'état du camp central pour la seule période du 10 au 16 août 1942. Il ne peut pas traiter des quarante kommandos entourant le camp, car ces délégués n'y sont jamais allés.
C'est surtout, enfin, parce qu'ils ont été appelés, depuis des décennies, à constater les effets tardifs, à long terme, des épreuves subies à Rawa-Ruska sur la santé de ceux qui y furent détenus.
Ceux-ci s'adressent quotidiennement à eux pour les soigner et faire constater, en vue de leur droit à pension, l'aggravation de leurs infirmités et de leurs séquelles pathologiques, identiques à celles des maladies de la déportation.
Voilà donc les raisons de ce rapport : faire éclater la vérité sur le camp de Rawa-Ruska et ses kommandos, et répondre au rapport de la Croix-Rouge, dont nous avons cherché toutes les archives possibles et imaginables:
... Il n'y a pas eu d'archives. Il y a trop de faits ignorés.
... Ce rapport n'est que la synthèse établie après la confrontation des témoignages vécus des médecins-officiers français du service de santé, eux-mêmes déportés à Rawa-Ruska pour des motifs disciplinaires et raciaux, sur les Conditions d'hygiène et d'alimentation, sur la pathologie de Rawa-Ruska telle qu'ils ont pu la constater à l'époque, ainsi que sur les séquelles qu'ils ont reconnues et traitées chez leurs anciens camarades depuis la fin de la guerre jusqu'à ce jour.
En 1942, à Rawa-Ruska, les conditions matérielles d'existence sont inhumaines :
« ... Hygiène, prophylaxie, désinfection sont des termes inconnus des autorités responsables.
« ... Ces conditions lamentables » - contrairement à ce qu'il a été dit - « sont reconnues sans réserve par les délégués du comité international de la Croix-Rouge du 16 août 1942. » Il suffit de relire la page 10 de leur rapport : « L'hygiène ou plutôt le manque d'hygiène prime tout ».
Ses auteurs en ont rappelé les quelques éléments principaux:
« - climat rude, continental allant de – 30°c l'hiver à + 40°c l'été ;
« - logement inhabitable, soit dans d'anciennes écuries dépourvues d'eau, de lumière, de chauffage, de latrines et pleines de vermine, soit dans des blocs de maçonneries inachevés, dépourvus de fermeture, le tout équipé de bat-flanc inconfortables à trois étages superposés permettant de s'allonger mais non pas de s'asseoir ; ».
Il était en effet interdit à Rawa-Ruska de s'asseoir. Il fallait rester droit ou couché.
« - entassement des prisonniers, absence de paillasses, insuffisance de paille et de couvertures ;
« - état vestimentaire déplorable, chaussures remplacées par des sabots ou des claquettes, manque de récipients et d'ustensiles pour manger, pour boire et pour faire la toilette
« Moi-même, je mangeais dans une brique que j'avais creusée.
« - un robinet d'eau, non potable, pour la totalité du camp, absence de savon ;
« - alimentation au-dessous du minimum vital ;» - j'y reviendrai dans un instant.
« - mesures d'hygiène inexistantes, camp infesté de vermine, présence de cadavres de prisonniers russes morts du typhus ou d'autres affections contagieuses ;
« - absence totale de désinfection au début, désinfection partielle et inefficace par la suite ; le manque d'eau et la promiscuité des bat-flancs permettant le développement extraordinaire des parasites : poux, puces, sarcoptes ;
« - latrines constituées par de longues fosses à ciel ouvert au début, couvertes après quelques mois, situées dans la cour, infestées de mouches, " l'odeur qu'elles dégagent se répand assez loin ". »
Là, je lis le rapport de la Croix-Rouge française :
« ... Ces faits, bien établis, sont parfaitement confirmés par le rapport des délégués du comité international de la Croix- Rouge le 16 août 1942, quatre mois après l'occupation du camp par les prisonniers français, déportés, et après le passage de plus de 16 000 hommes.
« ... Ce qui nous paraît grave, c'est qu'il n'y eut aucune désinfection des locaux, infestés de vermine, occupés auparavant par des prisonniers russes décimés par la faim et le typhus.
« ... Les Français succédèrent aux Russes dans les mêmes conditions de logement, de nourriture et de travail.
Pas de désinfection des vêtements et des hommes, ce qui aggrave « le développement de la vermine et les risques de contagion.
« ... Pour qui a circulé dans les camps de prisonniers en Allemagne, ou la désinfection de chaque individu y arrivant ou en partant était une règle immuable, les Allemands paraissaient toujours, sur ce point, vouloir nous donner des leçons ; ce manque d'hygiène, cette absence de désinfection et de protection contre la contagion, inhabituelle même dans les camps de déportation, est un fait bien particulier au camp de Rawa-Ruska.
« ... Elle semble, comme d'ailleurs l'absence d'organisation sanitaire, avoir été délibérément voulue par les autorités allemandes dans le but de nous traiter- les prisonniers de guerre français et belges - comme les prisonniers russes auxquels nous succédions.
« ... Ces déplorables conditions d'hygiène étaient identiques dans les kommandos où furent répartis en 1942 et 1943 les milliers de déportés de Rawa-Ruska.
« ... Ces kommandos étaient installés de façon précaire dans des conditions d'hygiène encore pires qu'au camp même » - le camp central.
« ... Les prisonniers français, en effet, y furent mêlés, soit dans les cantonnements, parqués dans cette zone pénitentiaire; » - il faut relire, à ce sujet, le tome 7, page 199, du rapport du tribunal militaire international - « soit au travail, à des civils, juifs, déportés, pour la plupart, et beaucoup furent contaminés par les maladies contagieuses, typhus en particulier, qui sévissaient dans la région.
« ... Pendant l'hiver rigoureux qui sévit fin 1942 et début 1943, leurs conditions matérielles ne furent pas améliorées.
« ... Partout on doit signaler la pénurie de vêtements, les mauvaises conditions de logement, l'absence de chauffage et de désinfection, la vermine, les maladies infectieuses, les coups et blessures, à quoi il faut encore ajouter les conditions inhumaines de travail et surtout la sous-alimentation sur laquelle il nous faudra revenir.
« ... Le témoignage des premiers médecins arrivés à Rawa-Ruska, en avril 1942, quelques jours avant le premier convoi de prisonniers français, est formel : aucune organisation sanitaire n'avait été prévue par les autorités allemandes dans un camp où en quelques mois plus de 20 000 hommes allaient être déportés.
« ... Ces médecins eux-mêmes étaient déportés à Rawa-Ruska pour des raisons raciales ; ils subissaient au camp le même régime que les hommes.
« ... Leurs affectations ne suivirent aucune règle et semblèrent laissées à la fantaisie du commandant du camp.
« ... Notons qu'à certains moments les responsables de la surveillance des camps de prisonniers interdisaient aux médecins, frappés de mesures disciplinaires, le droit de pratiquer et que, d'une façon générale et dans les «Zweiglager » en particulier, l'autorité des médecins était absolument nulle auprès des surveillants malgré tous leurs efforts.
« ... Au regard de l'effectif du camp et des kommandos figurant en tête dudit compte rendu, on constate alors que 53% des détenus ne peuvent pas s'adresser à un médecin.
« ... Après le mois d'août 1942, 8 000 à 10 000 déportés arrivèrent encore à Rawa-Ruska, ou à la citadelle de Lemberg dès janvier 1943, et furent répartis dans les kommandos sans médecin.
« ... Le personnel sanitaire était aussi mal réparti.
« ... Parmi les déportés, il y avait pourtant de nombreux infirmiers. » Il leur était interdit d'accomplir leur mission.
« ... Finalement, avec l'afflux des malades, il y avait 400 à 500 « consultants » par jour, une infirmerie fut installée après l'arrivée des premiers convois.
« ... Elle était située au premier étage d'un des blocs de Rawa-Ruska, vaste salle non cloisonnée où les malades couchaient sur des paillasses installées sur des lits en planches à trois étages.
« ... Les paillasses étaient remplies de vermine, ils couchaient, en fait, à même les planches, une chambre plus petite avec lits et matelas était réservée aux plus grands malades.
« ... Cette infirmerie pouvait contenir, dans les conditions d'encombrement déjà décrites, au total une centaine d'hommes.
« ... L'électricité était coupée à 21 heures et, pendant toute la nuit, les malades devaient aller aux latrines, dans la cour, par n'importe quel temps.
« ... Dans le courant de l'été 1942, une annexe fut constituée à l'extrémité du camp pour l'isolement des contagieux, elle comprenait une trentaine de lits. Les médecins couchaient dans une chambre du bloc-infirmerie, ils ne pouvaient plus communiquer avec les contagieux après la tombée de la nuit.
« ... Mais le grand drame des médecins de Rawa-Ruska, ce fut leur impuissance.
« ... Pendant les premiers mois, l'absence totale de médicaments a laissé les médecins désarmés, en dehors de l'usage de charbon de bois de leur fabrication, d'un antiseptique appelé rivanol et de quelques comprimés d'aspirine.
« ... En raison de l'endémie de typhus dans cette contrée, l'apport de vaccin fut admis par les Allemands craignant la contagion pour eux-mêmes.
« ... C'est ainsi que le notent M. le professeur Richet et le docteur Mans dans la " pathologie de la déportation " page 103: « Soulignons la peur naturelle et parfaitement compréhensible que le typhus inspirait à tout le service allemand, qui craignait sa propagation à l'armée et à la population civile.
« ... Mais, c'est dans une proportion minime que des hommes purent être vaccinés au camp de Rawa-Ruska, et d'après les témoignages reçus, aucune vaccination n'eut lieu dans les kommandos.
« ... Pendant des mois, le rôle des médecins fut donc presque uniquement moral. Les autorités allemandes n'ayant donné aucun moyen de pratiquer les soins aux malades.
« ... Ce fait démontre bien que les médecins n'avaient pas été envoyés au camp de Rawa-Ruska dans ce but et qu'il y avait bien intention de laisser le camp sans organisation sanitaire.
On espérait ainsi l'anéantissement de ces résistants par la famine et le manque d'hygiène, comme cela a été cité au procès de Nuremberg - tome IV, page 352.
« ... Les médecins triaient les malades, les isolaient ou les gardaient à l'infirmerie, dans la mesure des places disponibles...
En effet, pour les Allemands, personne n'avait la tuberculose.
« Un grand nombre de malades restaient sur leur bat-flanc dans les mauvaises conditions d'hygiène que nous avons décrites, sans que soit envisagé leur rapatriement, comme le souligne le rapport de la Croix-Rouge.
« ... Au début de l'année 1943, le camp principal – effectif 600 hommes - fut transféré à la citadelle de Lemberg. « ... Mais, à la même époque, la situation des kommandos était bien plus critique.
Dans les « Zweiglager », l'autorité des médecins restait nulle. C'est ainsi qu'à Tarnopol le médecin allemand n'hésitait pas à expulser de l'infirmerie des malades graves que les médecins français y avaient admis. Et ce même médecin refusait toute ampoule de sérum face à une épidémie de diphtérie.


« ... Cependant, les kommandos restèrent toujours sans médecin, parfois sans aucun personnel infirmier. Les médecins de Rawa-Ruska en 1942, ceux de la citadelle de Lemberg en 1943, ne furent jamais autorisés à leur rendre visite.
« Or, c'est dans les kommandos que se trouvait toujours la majorité des prisonniers, la citadelle n'étant devenue qu'un camp de triage et de passage où étaient rassemblés les différents services du camp et dont l'effectif était beaucoup plus faible qu'à Rawa-Ruska.
« ... Nous pouvons rappeler que "beaucoup de membres du personnel sanitaire sont dans les détachements mais ils ne sont plus reconnus, ayant brûlé leurs papiers avant leur évasion. » C'est le compte rendu de la Croix -Rouge qui l'affirme, à la page 9.
... Les délégués de la Croix-Rouge ne les ont pas visités en août 1942, pas plus qu'en 1943 - à la demande de Churchill. Les détenus de ces kommandos y ont beaucoup souffert et ils ont maintenant d'énormes difficultés pour faire reconnaître leurs droits, ne pouvant demander à aucun médecin les attestations dont ils auraient besoin. Je voudrais parler pendant quelques instants du régime alimentaire.
Rawa-Ruska, le camp de la faim et du manque d’eau
« Rawa-Ruska fut un camp de famine et c'est de la sous-alimentation, sans aucun doute, que les déportés de Rawa- Ruska ont le plus souffert. C'est elle qui fut la cause des plus graves désordres pathologiques et des séquelles les plus fréquentes dont ils souffrent encore depuis leur retour. »
... Les rations alimentaires, toujours insuffisantes, ont cependant varié selon les moments : « du mois d'avril au mois d'août 1942 à Rawa-Ruska et dans les kommandos, c'est la famine organisée :
« - un litre, souvent un demi-litre de soupe » - il fallait voir quelle soupe - « le plus souvent à base de millet avec parfois des fanes de choux, des cosses de pois ou des pois chiches ;
« - une infusion de branches de sapin appelée " thé ", en quantité rationnée à un litre pour la boisson et aussi pour la toilette... ;
« - quelquefois des pommes de terre : elles provenaient, hélas ! d'un silo situé dans le camp et dans lequel furent découverts des cadavres de prisonniers russes ;
« - une boule de pain pour cinq à dix hommes, soit en moyenne 100 à 200 grammes par jour ; les jours de disette » - qui étaient les plus nombreux - « la part était moindre ; on a vu la boule de pain partagée à 35 ; » - cf Procès de Nuremberg, tome 2, page 59.
« - une petite ration de margarine ou de graisse synthétique, une cuillerée de marmelade » - j'y reviendrai dans un instant - « et quelquefois une mince tranche de pâte d'origine indéfinissable » - on ne savait pas ce que c'était, mais il fallait le manger obligatoirement ;
« - absence totale de légumes verts et de fruits frais.
« ... Pas de colis familiaux, pas de colis ni de vivres de la Croix-Rouge » - contrairement à ce qu'on a dit. « Dans le camp, les hommes, que tenaillait la faim, dévoraient les orties, les pissenlits et toutes herbes comestibles.
« ... Nous avons vu » - ce sont les docteurs - « chez des sujets robustes et endurcis, de véritables fontes musculaires, des états lipothymiques survenant au cours des rassemblements.
Nous fûmes appelés plusieurs fois dans les écuries pour constater le décès de prisonniers morts d'inanition sur leur bat-flanc.
« ... Estimer la valeur calorique d'une telle ration est difficile, ne connaissant pas exactement la teneur des aliments distribués :
« - parce qu'il fallait compter les irrégularités du ravitaillement, et il fut fréquent de partager le pain d'un kilo entre trente-cinq personnes ;
« - parce que la qualité des aliments était bien souvent déplorable.
« ... Les légumes secs étaient, trois fois par semaine, du millet décortiqué ou non.
« ... Les légumes verts, des feuilles de choux fanées, des cosses de petits pois et du rutabaga.» C'est là quelque chose de célèbre que tout le monde a connu, même en France.
« Mais il faut surtout souligner :
« - que les rations de légumes secs provenaient des stocks avariés de la Wehrmacht, jugés impropres à la consommation ... ;
« ... que la marmelade, inscrite parfois aux rations, n'était autre que des tourteaux de betterave destinés au bétail et des tourteaux fermentés retirés du circuit de distribution » par les autorités allemandes...
« - que l'eau rationnée à un litre ou un demi-litre par homme et par jour, pour la nourriture, la boisson et l'hygiène, parvenait au camp par pompage direct et sans filtrage préalable, puisée directement dans la Rata, petit affluent du Bug qui charriait des cadavres d'animaux ... », et d'hommes, ajouterai-je.
Rappelons en passant que le « thé » n'était qu'une infusion de branches de sapin et servait de boisson mais aussi d'eau pour la toilette. ,
« ... Ces rations dépassaient rarement 1 200 calories par jour. Nous pensons tous que les hommes soumis à un tel régime n'auraient pu survivre longtemps s'il n'y avait pas eu, pour soutenir les plus faibles, l'extraordinaire solidarité des camarades plus forts... »
En août 1942, les délégués de la Croix-Rouge visitèrent Rawa-Ruska. Cette visite était attendue. Depuis quelques semaines - il avait fallu « nettoyer » le camp - l'effectif était tombé de près de 16 000 à 3 356 hommes et les rations étaient distribuées avec assez de régularité. En effet, on avait fait partir près de 13 000 hommes ailleurs.
Le commandant allemand fournit aux délégués les chiffres officiels des rations délivrées du 10 au 16 août 1942. Nous les trouvons dans leur rapport avec le calcul de leur valeur calorique.
Pendant ces six jours la moyenne journalière théorique au camp principal a été de 1 490 calories. Et les délégués ajoutent : « Pour ceux qui restent au camp sans rien faire, ce serait juste suffisant, mais non pour les travailleurs qui, trop souvent encore, tombent de faiblesse pendant leur travail.
« Or, selon notre témoignage, les valeurs caloriques rapportées par la Croix-Rouge doivent être considérées comme surestimées :
« ... Ce sont des valeurs théoriques prises sur la base des correspondances « fortes ». Or, nous ne connaissions pas la quantité de cellulose dans le pain, ni de l'eau dans la margarine.
« Il est certain, par ailleurs, que certaines denrées sont comprises avec le poids de la « soupe » dans laquelle elles nagent, ainsi les 900 grammes d'épinards ! » Moi, ces épinards, je ne les ai jamais vus!
« ... La moyenne de 1 490 calories doit donc être ramenée à un nombre assez nettement inférieur.
« ... Ainsi, les chiffres officiels font apparaître une ration alimentaire d'une valeur calorique très inférieure à celle du métabolisme basal pour un sujet au repos : 1 500 calories par jour. Cette ration alimentaire est également inférieure à la ration moyenne des camps de concentration connus sur le territoire du « grand Reich ».
Pour la période du 17 août 1942 au 23 janvier 1943, après la visite de la commission de contrôle de la Croix-Rouge, le régime de famine reprit sa place comme aux jours de la première période, avec la même irrégularité, étant donné la chute des effectifs à 3 500 détenus environ.
« ... Après le transfert des services du camp principal de Rawa-Ruska à la citadelle de Lemberg, en plein hiver, les rations ne furent pas augmentées par les autorités allemandes.
« ... La situation des kommandos, pour des raisons déjà citées, restait lamentable.
« ... Selon le témoignage de l'un de nous, au kommando de Fliegerhorst , au printemps 1943, l'alimentation était surtout à base de rutabagas, ce qui aggravait les diarrhées déjà provoquées par l'eau non potable ; la ration de viande était touchée en principe sous forme de têtes de vaches - dont la plupart étaient en état de pourrissement - et cette ration était, de très loin, de moins de quinze grammes par jour».
Voilà comment nous avons eu de la viande à Rawa-Ruska !
« ... A Mielec » - autre kommando - « en été 1943, il n'y avait même pas un robinet d'eau à l'arrivée des premiers détachements, seulement une eau croupie dans un trou creusé au milieu du champ.
« Il fallut faire bouillir chaque jour une certaine quantité d'eau pour assurer la ration de 600 détenus.
« ... Et comme la quantité de combustible attribuée aux cuisines était trop peu importante, nous avons mangé très longtemps une cuisine à moitié cuite.

« ... Cette circonstance était d'autant plus grave que la ration était surtout constituée de millet, et qu'il était tout à fait impossible de digérer ce millet mal cuit qu'on retrouvait intact dans les selles des détenus.
« On peut considérer que la valeur de cet aliment préparé dans de telles conditions est pratiquement nulle.
« ... Cette situation était identique dans tous les kommandos.
« ... Ainsi, peut-on dire qu'aucun homme de Rawa-Ruska, quelle que soit l'époque de sa déportation, en 1942 ou en 1943, n'a échappé aux souffrances et aux effets pathologiques de la faim et de la sous-alimentation.
« ... En raison de la sous-alimentation, des conditions matérielles déplorables et du caractère pénible auxquels les déportés étaient astreints, la pathologie de Rawa-Ruska n'a rien eu de commun avec celle des camps de prisonniers en Allemagne.
« ... Elle portait en effet la marque de la dénutrition engendrée par la famine, le manque absolu de soins et d'hygiène, de l'angoisse morale des captifs due à la situation géographique du camp et aux exactions dont ils furent témoins.
« ... Ce chapitre sur la pathologie de Rawa-Ruska pourrait reprendre tout ce qui a été décrit sur la pathologie des déportés, car les mêmes causes ont produit les mêmes effets et principalement la famine, avec non seulement ses conséquences apparentes sur la panicule et la musculature, mais surtout ses conséquences profondes organiques : cœur, foie, reins, etc.
« ... Ces conséquences, qui furent parfois immédiates, mort subite par myocardite, sont à la base de nombreuses déficiences organiques dont la traduction clinique n'apparaîtra que beaucoup plus tard et continuera à apparaître au cours des années.
« ... Ce point n'étant jamais à perdre de vue, nous n'exposerons dans les quelques lignes qui suivent qu'une partie incomplète de la pathologie de Rawa-Ruska, qui n'est pas différente de celle des déportés et s'inscrit dans cette dernière.
« Cela ne figurait sur aucun document, et ils l'ont donc établi.
« ... Les maladies les plus couramment observées étaient constituées par la tuberculose et les affections aiguës de l'appareil respiratoire : angines, bronchites, pleurésies, pneumopathies aiguës.
« ... Plusieurs décès au printemps de 1942, par manque de sulfamides (anti-infectieux) et de médicaments efficaces, ont été provoqués par des affections pulmonaires aiguës.
« ... La tuberculose chez ces hommes affaiblis et dénutris avait trouvé un terrain de choix.
« ... une centaine de cas suspects mentionnés dans le rapport de la Croix-Rouge en août 1942.
« Malheureusement, il est impossible de radiographier les malades.
« ... Quelle fut la situation dans les kommandos ?
« Nous avons dit que la plupart avaient échappé au contrôle sanitaire des médecins français.
« ... Les maladies contagieuses ont été représentées, en dehors des affections aiguës grippales, par une petite épidémie de typhus exanthématique qui a pu être limitée grâce à un isolement rigoureux et à la généralisation de la vaccination.» Et ce devant la peur des Allemands.
« ... Cependant, à Tarnopol, les délégués de la Croix-Rouge trouvent, en février 1943, huit cas de typhus venant tous du détachement de Zloczow qui serait assez surpeuplé et dont les occupants étaient en contact étroit avec la population de l'endroit sujette d'une façon endémique au typhus exanthématique.
« ... Mais il faut signaler encore le développement de quelques cas de typhoïde à évolution classique chez des prisonniers qui n'avaient pu être protégés par une vaccination antérieure :... Nous avons surtout traité » - reconnaissent les médecins - « un nombre considérable d'entérites dysentériformes entretenues par la mauvaise qualité des aliments et le manque de désinfection.
« ... La dysenterie bacillaire sévissait en effet à l'état endémique...
« ... Bien particuliers à Rawa-Ruska furent les troubles de la dénutrition auxquels peu de détenus échappaient et qui furent à l'origine pour beaucoup de séquelles les plus graves.
La sous-alimentation entraînait rapidement amaigrissement et cachexie, troubles dyspeptiques et manifestations d'hypo protidémie ou d'avitaminoses.
« ... Pour tous les prisonniers, la détention de Rawa-Ruska s'est accompagnée d'une chute de poids très importante ... un amaigrissement de dix à quinze kilogrammes par rapport à leur poids en captivité en territoire allemand.
« ... L'amaigrissement et la faim entraînaient l'asthénie et l'inanition, dont certains détenus sont morts en juillet 1942, comme nous en avons été témoins. » Moi-même, je l'ai constaté.
« ... L'amaigrissement, la faim non assouvie, la carence protidique et la déshydratation étaient à l'origine de troubles digestifs graves ... » Je ne veux pas les énumérer ici, car il y en a une vingtaine. II y a même eu des cas d'ictère.
« Assez rares cas d'ictère plus probablement d'origine toxique qu'infectieuse ... Fréquence de gingivites ...
« ... Œdèmes des membres inférieurs souvent associés aux manifestations précédentes, contrastant avec la sécheresse de la peau, l'atonie des téguments squameux et grisâtres sur le reste du corps, manifestations habituelles d'une hypo protidémie avec déshydratation.
« ... Un tel état pathologique est bien particulier à Rawa-Ruska.
« On ne l'a pas observé en Allemagne dans les camps de prisonniers, car il fut l'apanage des camps où sévissait la famine ou la sous-alimentation associée au travail, comme les camps de déportation.
« ... Lorsqu'il n'entraîne pas la mort, il laisse des séquelles durables : asthénie physique et intellectuelle, troubles digestifs chroniques, tares viscérales diverses, que nous retrouvons, hélas ! Maintenant » - après leur libération -« chez nos anciens camarades d'infortune.
« ... Les affections rhumatismales et les traumatismes faisaient aussi partie des affections fréquemment observées à Rawa-Ruska...
« ... Quelques malades furent atteints de rhumatisme articulaire aigu...
« ... Très particulière à Rawa-Ruska, par suite du port des sabots, la fréquence des arthrites tibio-tarsiennes et métatarso-phalangiennes des pieds, des épines chaldéennes et des verrues plantaires. » En effet, nous marchions sur du bois !
« ... Nombreux cas de blessures plus ou moins graves, accidentelles au cours du travail ou de transports, brûlures étendues, gelures des pieds et des oreilles, entorses, etc. ou, du fait de l'irritabilité des sentinelles, coups de crosse, coups de baïonnette, coups de feu.
« Les troubles cardiaques, ... les troubles rénaux, ... les troubles psychiques... »
« ... L'un des malades se suicida, par pendaison, à la citadelle de Lemberg. Les troubles étaient des névroses, dépressions réactionnelles, névroses d'angoisse, instabilité, irritabilité du caractère, insomnies avec cauchemars et parfois des psychoses vraies, états schizophréniques, délires, nécessitant hospitalisation ou isolement. » L'hospitalisation ou l'isolement n'avait jamais lieu !
« ... A leur origine, il faut considérer l'angoisse morale des détenus, les stress répétés en raison
« - du lieu de détention et de l'incertitude du lendemain ;
« - de l'état des camarades rentrant de kommandos, malades ou blessés ;
« - de la proximité du camp de Belzec et de ses fours crématoires, camp d'anéantissement dont les déportés transitaient par la gare de Rawa-Ruska sous les yeux de nos camarades;
« - des pogroms du quartier juif de Rawa-Ruska et de Tarnopol en 1942 et de Lemberg en 1943 avec des milliers de morts ;
« - de l'attitude du chef de camp et des gardiens ;
« - de l'insuffisance d'informations générales ou personnelles, absence de courrier, absence de nouvelles, inquiétudes familiales, etc.
« ... Ces atteintes psychiques ont laissé des séquelles. Certaines, d'ailleurs, ne se sont manifestées qu'à retardement, engendrées cependant par les mêmes causes, développées sur les mêmes thèmes.
« ... Elles font partie des séquelles qui, là encore, apparentent Rawa-Ruska aux autres camps de déportation et le distinguent catégoriquement des autres camps de prisonniers de guerre en Allemagne.»
Ayant décrit les séquelles de la pathologie dans mon rapport écrit, je me contenterai de rappe1er les conclusions de la conférence internationale de La Haye, reprises en ces termes au congrès médical international de la fédération internationale des résistants à Bucarest, en 1964, sur l'éthiopathogénie et la thérapeutique des séquelles de la déportation, de l'internement et de la clandestinité :
« La conférence estime qu'il existe des affections et des infirmités d'apparition tardive chez les sujets ayant été internés ou détenus dans des camps de concentration.
« Ces séquelles peuvent se manifester à tout moment après la libération et il ne peut être fixé de limite de temps à leur apparition.
« Des séquelles analogues peuvent être constatées chez des personnes qui ont vécu dans des conditions dangereuses et éprouvantes du fait de leur lutte contre le nazisme.
« Elles peuvent également se rencontrer chez les anciens prisonniers de guerre ayant vécu dans des conditions exceptionnellement pénibles comme ceux du camp de Rawa-Ruska, par exemple. »
Au congrès médical international de la fédération internationale des résistants à Bucarest, on reconnaît donc et on dénonce la situation des prisonniers de guerre de Rawa-Ruska.
A la même conférence de La Haye, le rapport de M. Siardet, du comité international de la Croix-Rouge, déclare : « Dans l'Est européen, lors des hostilités entre la Pologne et l'U.R.S.S. en septembre 1939, durant la guerre soviéto-finlandaise de l'hiver 1939-1940, et surtout pendant tout le conflit entre les puissances de l'Axe et de l'U.R.S.S. de 1941 à 1945, le statut des prisonniers de guerre fut absolument lettre morte, parce que l'U.R.S.S. n'avait pas ratifié la convention de 1929 relative à ce statut.
« Aussi les prisonniers de guerre de toutes ces régions eurent-ils à souffrir cruellement de l'arbitraire de la puissance qui les détenait, arbitraire qu'aucune règle de droit ne venait limiter. »
« Notre rapport présent » - il s'agit de celui des médecins de Rawa-Ruska - « est le témoignage des conditions exceptionnellement pénibles dans lesquelles ont vécu les 23 000 détenus à Rawa-Ruska.
« Il est aussi le témoignage des conséquences médicales engendrées par cette détention et des séquelles pathologiques que notre profession nous amène chaque jour à constater sur les rescapés de notre association. »
Telles sont les raisons qui les ont conduits à rédiger un rapport dont je viens de vous lire un extrait. Ils le devaient, comme moi, à nos morts connus ou inconnus de Rawa-Ruska et à leurs familles.
« Nous le devions » - disaient-ils - « aussi aux rescapés prématurément vieillis par cette effroyable détention et que la santé de plus en plus chancelante ramène toujours plus nombreux vers ceux qui furent et qui restent les médecins de " ceux de Rawa-Ruska".
« Ce document apporte la preuve irréfutable que le camp de Rawa-Ruska requiert toutes les caractéristiques d'un camp de concentration. »
Permettez-moi, maintenant, de répondre à un certain nombre de propos.
Voilà peu de temps, un secrétaire d'Etat a déclaré à la tribune du Sénat : « Il est exact que deux camps existaient à Rawa-Ruska, un camp de prisonniers russes et un autre camp où étaient internés des Français et des alliés ... » Il avait redécouvert un continent !
Faisons un historique rapide. Depuis mai 1945, date de la fin des hostilités – guerre de 1939-1945 - la région de Rawa-Ruska est rattachée à la République socialiste soviétique d'Ukraine.
Cette région avait été annexée à la Pologne en 1921 par le traité de Riga. Le 28 septembre 1939, date de la chute de Varsovie, elle deviendra soviétique.
Dès le 1er février 1941, les autorités allemandes avaient envisagé la création de camps de prisonniers de guerre soviétiques en prévision d'une prochaine attaque contre l'U.R.S.S. C'est une des dépositions du général allemand Kurt von Oesterreich au procès de Nuremberg, tome VII, page 36. Le 22 juin 1941, l'Allemagne ouvre les hostilités contre l'U.R.S.S.
De violents combats se déroulent dans la région de Rawa-Ruska. Bousculée, l'armée soviétique bat en retraite en laissant sur le terrain des dizaines de milliers de morts et de prisonniers. Les décisions prises le 1er février 1942 au grand quartier général des forces allemandes à Berlin entrent en application.
Le stalag 325 Rawa-Ruska est créé en juin 1941. De cette date au 13 avril 1942, jour d'arrivée du premier convoi de prisonniers de guerre français, 12 000 prisonniers soviétiques décédèrent par manque d'hygiène, de nourriture, de maladie - le typhus en particulier - ou furent exterminés par leurs bourreaux.
Quelques centaines seulement survécurent.
Le 13 avril 1942, les Français succèdent aux Soviétiques dans les mêmes conditions. Ils occupent les mêmes locaux, qui n'ont pas été désinfectés après l'épidémie de typhus, et sont confrontés au manque d'hygiène, de nourriture, d'eau, aux durs travaux, aux sévices et aux assassinats.
Les premiers détenus français au camp participèrent à l'enlèvement des cadavres soviétiques. Pour survivre, ils volèrent des pommes de terre pourries dans un silo au milieu des cadavres russes et couchèrent sur des bat-flanc maculés de sang et de cheveux des Soviétiques, brutalisés et assassinés en ces lieux.

Alors, comment peut-on faire état de deux camps à Rawa-Ruska, l'un pour les Soviétiques, l'autre pour les Français et les Belges ?
C'est une contrevérité !
A Rawa-Ruska, le même camp a d'abord été occupé par les Soviétiques, puis par les Français et les Belges. Toute autre affirmation n'est qu'ignorance.
On a même discuté sur le nombre de morts, sans tenir compte des documents existants.
Le même secrétaire d'Etat a fait état de 47 morts à Rawa-Ruska ; avant cette déclaration, son administration en avait trouvé 60 puis 69.
Or, le rapport, évoqué au tribunal militaire international de Nuremberg, des 24-30 septembre 1944 sur les atrocités hitlériennes commises dans le district de Rawa-Ruska, établi par la commission principale aux crimes hitlériens commis en Pologne, émanant du ministère public de l'U.R.S.S. ; cite le chiffre de 18 000 victimes dans le camp de prisonniers de guerre, stalag 325, secteur postal 08409, c'est-à-dire Rawa-Ruska.
Lorsque l'on sait que le nombre des victimes soviétiques s'élève à 12 000, que le camp n'a été occupé que par les Soviétiques, les Français et quelques centaines de Belges, il est simple de déterminer le nombre de victimes françaises : environ 6 000.
Le secrétaire d'Etat n'a voulu accorder aucun crédit au certificat de M. Emile Lege, évadé du camp de Rawa-Ruska le 21 juin 1942, engagé volontaire dans la Résistance polonaise et incorporé dans l'armée nationale du 22 juin 1942 jusqu'au 8 mai 1945.
Après avoir participé à de nombreux combats contre les forces nazies en qualité de commandant régional du secteur de Bika-Krolewska et Szalakewska, celui-ci a reçu du général en chef des forces polonaises de l'intérieur, Bor-Konnorowski, les plus hautes distinctions militaires de Virtuti Militari Walecznicki.

Je vous donne lecture du certificat qu'il a déposé en qualité de représentant français à la commission d'enquête russe sur le bureau du tribunal de Nuremberg :
« Je soussigné Emile Lege, Louis, certifie :
« Au cours des années 1944 et 1945, alors que j'étais observateur et membre à titre français de la commission d'enquête soviétique sur la recherche des crimes nazis dans la province de Galicie, capitale Lwov - Lemberg - avoir personnellement identifié parmi les cadavres exhumés des fosses communes 673 prisonniers de guerre français. Ces fosses communes se trouvaient dans les forêts des environs de Rawa-Ruska, Lwov, Tarnopol - Ukraine soviétique.
« L'identification m'a été permise par les plaques, lambeaux d'uniformes avec restes de peinture rouge, pièces de monnaies françaises, restes d'écritures françaises, etc.
« Nous avons exhumé plusieurs centaines de milliers de cadavres dont, et seulement pour une faible partie, nous avons pu établir la nationalité formelle.
« En foi de quoi, je délivre le présent certificat pour servir et valoir ce que de droit.
« Signé : Emile Lege. »
Et il n'y aurait eu que soixante morts à Rawa-Ruska !
J'en viens au troisième point, le nombre de Français morts à Rawa-Ruska et ses kommandos : 47 décès survenus parmi les prisonniers de guerre de ce camp.
Lors de la visite des délégués de la Croix-Rouge internationale, le 16 août 1942, on a bien pu déclarer 47 décès issus du camp au cours de la période du 13 avril au 16 août 1942, et 22 décès dans les kommandos Tarnopol et Stryj - visites en septembre 1942.
Mais après le départ des délégués, il n'est plus fait état du nombre de morts du camp central jusqu'à sa dissolution le 19 janvier 1943, ainsi que des décès survenus dans les trente-deux kommandos disséminés, dont certains distants de 400 kilomètres, que les autorités allemandes avaient dissimulés à la Croix-Rouge.
Il faut encore rappeler que si le camp de Rawa-Ruska a été dissous le 19 janvier 1943, à cette date un grand nombre de prisonniers ont été transférés à la citadelle de Lemberg - pour y demeurer jusqu'à la fin du mois de septembre 1943 - ainsi que dans les nombreux kommandos jusqu'en 1944 au moment de l'avance des troupes soviétiques.
Là aussi, il n'est pas fait état du nombre de morts durant cette cruelle période.
Selon le rapport d'enquête soviétique, en 1944, 41 500 personnes civiles et militaires russes, françaises et belges ont disparu pour la seule ville de Rawa-Ruska.
Le témoignage authentique d'Emile Lege ne peut être contesté dans sa déclaration au procès de Nuremberg -audience du 13 février 1944, pages 394, 395 et 396.
Le camp de Rawa-Ruska, le stalag 325, est appelé « le camp de la mort lente » par le premier Britannique, M. Winston Churchill.
Comment peut-on avancer le témoignage de la Croix- Rouge internationale sur le nombre de morts à Rawa-Ruska sans tenir compte de deux lettres de M. Claude Pilloud, directeur adjoint des affaires générales directoriales de la Croix-Rouge, l'une du 26 juin 1964 et l'autre du 10 février 1966 ?
Voici ce qu'il a écrit le 26 juin 1964 :
« En ce qui concerne la mention de Rawa-Ruska dans le nouveau catalogue des camps qui est en voie d'établissement par le service international de recherches à Arolsen, nous pouvons vous indiquer qu'en principe aucun camp de prisonniers de guerre n'y figurera.
« Cependant, il a été prévu que pour les localités où se trouvaient un camp de concentration, un kommando ou ghetto, d'autres camps seraient brièvement mentionnées.
« C'est pourquoi Rawa-Ruska, où se trouvait un ghetto, le stalag 325 sera mentionné... »
Le 10 février 1966, M. Claude Pilloud écrivait encore :
« Les autorités allemandes nous ont généralement communiqué des listes de prisonniers de guerre transférés d'un camp à un autre.
« Cependant, après un premier examen, nous avons constaté que les autorités allemandes ne nous ont pas fourni la liste de prisonniers de guerre transférés au camp de Rawa-Ruska... »
Comment prendre en considération les propos du secrétaire d'Etat invoquant « quelques chiffres issus de rapports du comité international de la Croix-Rouge où il est fait état de 47 décès » alors que ce comité international n'a jamais eu à sa disposition des listes des prisonniers de guerre français déportés à Rawa-Ruska ?
De nombreux prisonniers de guerre déportés à Rawa-Ruska ont sollicité une attestation du Comité international de la Croix-Rouge ; sur aucune des attestations ne figure le séjour à Rawa-Ruska.
J'ai là une attestation que l'un de mes amis, M. Buchette, a obtenue du Comité international de la Croix-Rouge. Je peux vous la montrer : il n'y a pas la mention qu'il a été déporté à Rawa-Ruska. En effet, le comité ne peut la donner puisqu'il n'a pas eu la liste que devait remettre le gouvernement allemand.
Jamais les gouvernements successifs n'ont pris en considération les propos de M. Dubost, procureur général adjoint français au tribunal de Nuremberg.
Je citerai l'une de ses déclarations :
« Je reviens sur les atrocités des Allemands dans la région de Lwov, document déposé sous le numéro URSS 6. J'en lirai quelques extraits très courts, page 164, 2e colonne, 5e paragraphe :
« Sur l'ordre du ministre du Reich Himmler et du général de police SS Katzmann, des mesures spéciales furent prises en juin 1943 pour déterrer et brûler les cadavres de ceux qui avaient été torturés jusqu'à la mort et fusillés.
« A Lwov, les Allemands créèrent un kommando spécial, le Sonderkommando, dont la tâche consistait à déterrer et à brûler les cadavres de civils et de prisonniers de guerre assassinés par les Allemands ».
Je termine cette citation par les conclusions de l'expertise médico-légale :
« ... Dans la région de Lwov, les assassins employèrent les mêmes méthodes pour cacher les traces de leurs crimes et créèrent à Lwov, dans le camp de Lanov, une école particulière qui préparait les "cadres spécialisés". Cette école fut fréquentée par les commandants de tous les camps de concentration.»
Je vous citerai maintenant le chef d'accusation des crimes de guerre tiré des extraits du tribunal international de
Nuremberg, qui figurent d'ailleurs dans mon rapport écrit : « Le Gouvernement et le Haut Commandement allemands enfermèrent des prisonniers de guerre dans différents camps de concentration, où ils furent tués ou soumis à des traitements inhumains, au moyen de différentes méthodes exposées au paragraphe VIII A ...
« Des mesures bien plus graves furent prises contre nos prisonniers de guerre » - il parle alors des Français - par les autorités allemandes lorsque, par patriotisme, certains de nos prisonniers firent sentir aux Allemands qu'ils n'étaient pas décidés à entrer dans la voie de la collaboration avec l'Allemagne.
Les autorités allemandes les considéraient comme inassimilables et dangereux, leur courage et leur fermeté inquiétaient l'Allemagne, et ce furent de véritables assassinats qui furent prescrits à leur encontre. Nous connaissons de nombreux exemples d'assassinats de prisonniers de guerre ».
.Ne disons donc pas qu'il y a eu seulement 69 morts à Rawa-Ruska, le tribunal militaire a apporté la preuve que c'est un mensonge.
Dans ce même chef d'accusation relatif à Rawa-Ruska, où, comme je l'ai dit tout à l'heure, il n'y avait que des prisonniers de guerre évadés, il est écrit :
« Les prisonniers de guerre évadés qui étaient repris étaient envoyés par la Gestapo et le SD dans des camps de concentration et exécutés. Au camp de Rawa-Ruska, la nourriture était si insuffisante que les hommes perdaient plus de quinze kilos en quelques semaines. En mai 1942, une seule miche de pain était distribuée pour chaque groupe de trente-cinq hommes...
« Les exécutions ne doivent pas avoir lieu dans le camp ou environs immédiats du camp. Dans les camps du gouvernement général, les prisonniers qui doivent subir le traitement spécial doivent, autant que possible, être conduits en territoire anciennement soviétique. »
Je rappellerai également - je vous prie d'excuser la longueur de mon propos ; mais vous m'autoriserez à dire tout ce que j'ai à vous dire - le rapport établi, pour la ville de Rawa-Ruska par le tribunal international de Nuremberg, sur le rapport du colonel Max Gravilenko :
« La commission de district établie par le Soviet suprême, pour l'enquête sur les crimes commis par les envahisseurs germano-fascistes a inspecté le camp de déportation dans la commune de Rawa-Ruska, théâtre de cruels exploits, et a recueilli les témoignages de quarante-deux témoins oculaires des atrocités commises dans le district de Rawa-Ruska.
« Les autorités germano-fascistes organisèrent sur le territoire de Rawa-Ruska l'extermination massive de paisibles populations ainsi que des prisonniers de guerre soviétiques et français déportés dans ce camp.
« D'après l'enquête du commissaire du district de Rawa-Ruska, les principales découvertes de charniers furent faites dans les lieux suivants :
«Dans le cimetière juif, ont été retrouvés, dans quatre fosses, les corps de 5 000 personnes suppliciées, hommes, femmes et enfants ;
« Dans la forêt de Borowa, à 3 kilomètres du centre-ville, dans une fosse de 13 mètres sur 8 mètres, furent retrouvés les corps de 1 500 personnes ;
« A 1 000 mètres au Sud du centre-ville, dans les allées du cimetière juif, les cadavres de 4 000 personnes ont été exhumés ;
« Dans la forêt de Wolkowicky, à 3 kilomètres au sud de la ville, se trouve une fosse de 20 mètres sur 15 mètres, où reposent les corps de 8 000 prisonniers de guerre soviétiques ;
« Dans la même forêt de Wolkowicky, à 2 kilomètres au Sud-Est de la ville, dans une fosse de 10 mètres sur 15 mètres, se trouvent les restes de 7 000 prisonniers de guerre suppliciés et fusillés ; il n'est plus question de prisonniers soviétiques.
« Dans la forêt de Ledliska, en diverses fosses furent ensevelis les restes de 11 000 personnes.
« En 1944, à la suite de l'offensive soviétique, les germano-fascistes évacuèrent vers Cracovie les prisonniers français du camp de Rawa-Ruska.
« Le comité du district établit que, par divers moyens, les envahisseurs germano-fascistes massacrèrent, durant leur occupation du territoire de Rawa-Ruska, 17 500 civils et 24 000 prisonniers de guerre soviétiques et français :
« a) Population civile : 17 500 personnes ;
« b) Dans le camp de prisonniers de guerre : 18 000 personnes;
« c) Déportés du camp de Belzec de Rawa-Ruska à l'usine de mort : 6 000 personnes ;
« Total : 41 500 personnes. »
Comment peut-on soutenir qu'après tant de preuves officielles il soit possible d'affirmer qu'il n'y a eu que 47 morts à Rawa-Ruska ?
Ma réponse vaut pour le secrétaire d'Etat et aussi pour tous les ministres qui ont évoqué ce chiffre.
On nous a accusés de n'avoir pas perdu le statut de prisonnier de guerre, alors que nous l'avions perdu immédiatement, puisque selon la convention de Genève, un prisonnier de guerre doit être gardé sur le territoire du pays qui possède ledit prisonnier de guerre. Or, l'Allemagne nous avait déportés en Pologne ; donc, nous n'étions plus couverts par la convention internationale.
En fait, nous avions perdu ce statut dès le 9 avril 1942 et je vais vous lire ce qui fut affiché dans les camps de prisonniers de guerre. Il est question, dans ce document, des « mesures de sécurité à prendre après évasion et refus de travailler des prisonniers de guerre français et belges
« Pour sanctionner leur fuite, les prisonniers français et belges repris après une évasion seront, à partir du 1er avril 1942, transportés dans un camp du gouvernement général. Le camp devra le déclarer par O.K.W. avec l'ordre de transport des services de sécurité.
« Les mesures à prendre en cas de refus de travailler des Français et des Belges sont, à ce sujet, de découvrir à chaque fois par des pièges les meneurs. Après cela, pour l'instant l'arrestation est rapidement déclarée par compte rendu avec pour motif, refus d'obéissance.
« Par conséquent, sont à transférer :
a) Avant le 1er avril 1942, les évadés français ou belges militaires repris qui ne pourront être employés à nouveau à un travail, parce qu'ils sont particulièrement suspects d'évasion.
Avec les fugitifs sous-officiers, on procédera de la même façon.
b) Tous français, belges, sous-officiers et soldats repris après le 1er avril 1942 ;
c) Les prisonniers de guerre français, belges, n'acceptant pas tout de suite le travail qui leur est indiqué. »
Cela a été affiché dans tous les kommandos. Lorsque l'on déporte quelqu'un dans un camp de concentration, que devient le statut de prisonnier de guerre ? Il n'existe plus !
Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis intervenu presque tous les ans pour défendre mes camarades à cette tribune ; excusez-moi si mon propos est un peu long. Voici ce que l'on m'a écrit, le 29 mars 1985, au sujet des assassinats de prisonniers de guerre :
«Il en ressort que si plusieurs témoignages d'anciens de Rawa-Ruska ont fait état d'exécutions de prisonniers de guerre français, il n'en reste pas moins que M. Dubost, procureur général adjoint français à Nuremberg, ne cite pas explicitement le camp de Rawa-Ruska dans son réquisitoire contre les criminels de guerre. »
Tout à l'heure, j'ai fait la démonstration du contraire. Si M. Dubost ne cite pas explicitement le camp de Rawa-Ruska, il n'en appelle pas moins à la déportation et à l'internement.
Ce qu'il faut savoir, c'est que la déportation pour les prisonniers de guerre c'était Rawa-Ruska et ses kommandos. Cela a été volontairement ignoré- je me demande pourquoi – par l'administration des anciens combattants. Est-ce possible ? Je me pose des questions.
J'en terminerai par une déclaration de M. Quatré, substitut du procureur général français
« Ces violations flagrantes des conventions de La Haye et de Genève devaient s'accompagner de mesures inspirées ou autorisées par les accusés d'un caractère plus grave encore, en ce sens qu'elles ne touchaient plus seulement aux droits des prisonniers de guerre mais étaient susceptibles d'entraîner des atteintes à leur personne physique pouvant aller jusqu'à la mort.
« Ces violations portent tout d'abord sur le manquement à l'obligation de sécurité. »
Cela signifie bien que nous avions perdu le statut de prisonnier de guerre.
Je voudrais maintenant parler de l'acte de résistance. On nous a dit que l'évasion n'était pas un acte de résistance. Quand on était en Allemagne, qu'on s'évadait et que l'on était repris, on était condamné, en fonction de la convention internationale de Genève, à vingt et un jours de prison.
C'était la Strafkompanie. Je l'ai connue, puisque je compte neuf évasions. Mais à partir du moment où le prisonnier français qui s'évadait était transféré dans un camp de concentration, ce n'était plus la même méthode !
Il faut faire la différence et reconnaître que, lorsqu'un prisonnier de guerre français s'évadait et qu'il était transféré dans un camp de concentration, alors, là, il commettait un acte de résistance, car si l'Allemagne déportait ce prisonnier de guerre dans un camp de concentration, c'est qu'elle le considérait comme quelqu'un qui luttait contre elle. A partir de ce moment-là, il perdait son statut et ne relevait plus de la convention internationale de Genève. C'est pourquoi je me suis posé souvent la question.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez adressé, le 16 novembre 1986, à M. Prost, président national de l'Union autonome des déportés à Rawa-Ruska, une correspondance où il est indiqué : « La Haute Assemblée a préconisé que l'administration procède à un examen individuel de chaque cas, se refusant par-là à admettre que le titre puisse être accordé sans autre condition que celle d'un transfert à Rawa- Ruska ; une telle interprétation risquerait en effet de dénaturer le sens et la valeur morale de ce statut... »
Le général De Gaulle, Président de la République à l'époque, qui a été, pour moi comme pour tant de Français, le chef de la France libre - j'éprouve envers lui une profonde admiration pour cette époque de sa vie - parlant des prisonniers de guerre de Rawa-Ruska, ne disait-il pas : « Le général De Gaulle, Président de la République, n'oublie pas les souffrances endurées par les déportés de Rawa-Ruska et place leur sacrifice au premier rang de ceux consentis par le peuple français pour la libération du territoire. S'il y eut pour toute l'armée prisonnière un haut lieu de courage, un symbole de la Résistance et de la Déportation, ce fut Rawa-Ruska. »
Croyez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'adoption des propositions de loi en faveur des prisonniers de guerre déportés à Rawa-Ruska, salués, comme ils l'ont été, par le chef de la France libre, dénaturerait le sens et la valeur morale de ce statut ? Je ne le pense pas. On en a appelé au Conseil d'Etat contre Rawa-Ruska. Je me pose la question : le Conseil d'Etat a-t-il pris en considération la situation exacte du camp de Rawa-Ruska, camp de déportation et d'extermination, ou s'est-il prononcé en fonction des éléments anodins possédés par le Gouvernement ?
Je serais heureux de savoir si le Conseil d'Etat a pu avoir connaissance des débats du tribunal militaire international pour être véritablement informé. Peut-être s'en est-il tenu à la convention de Genève, qui considère que l'évasion est un devoir militaire réprimé par une peine de prison.
Les nazis, eux, avaient résolu le problème à leur manière, par la déportation, la famine, la mort. Dès lors, l'évasion devenait un acte de résistance.
Avec certains camarades prisonniers de guerre, j'ai, au début, commis des actes de sabotage. Nous étions obligés de nous évader, car si nous avions été repris immédiatement, nous aurions été fusillés. L'évasion à la suite d'un acte de sabotage ne devient-elle pas un acte de résistance ?
Je crois qu'il y a quelques points à changer dans la réglementation. A partir du moment où le régime nazi n'a plus respecté le statut des prisonniers de guerre, ces derniers n'avaient plus aucune garantie ; ils étaient à la merci de l'Allemagne nazie. Toutes les poursuites dirigées contre eux, les actes de représailles de la part de l'autorité allemande n'étaient-ils pas la conséquence d'une action contraire aux intérêts de l'Allemagne nazie? L'évasion ne devenait-elle pas, alors, un acte de résistance ?
Je voudrais en terminer - j'ai été trop long, veuillez m'en excuser, mes chers collègues - en vous citant quelques attendus du jugement qui a condamné à mort des hommes comme Goering, Keitel, Jodl, Kaltenbrunner et Bormann :
« De dire Goering, Keitel, Jodl, Kaltenbrunner et Bormann coupables d'avoir pris part à l'exécution de ce dessein en exposant la santé et la vie des prisonniers de guerre, notamment en les soumettant à des privations et à des sévices, en les exposant ou en tentant de les exposer à des bombardements ou à d'autres risques de guerre.
«De dire Goering, Keitel, Jodl, Kaltenbrunner et Bormann coupables d'avoir pris part... à l'assassinat terroriste ou à l'extermination lente de certaines catégories de prisonniers de guerre.
« De dire le gouvernement du Reich et le corps des chefs politiques du parti nazi coupables d'avoir, dans le but de dominer et l'Europe et le monde, conçu et préparé l'extermination de combattants réduits à merci, la démoralisation intensive et l'extermination de prisonniers de guerre et d'y avoir participé ».
C'est un acte d'accusation ; c'est pour ces raisons que le tribunal a prononcé les condamnations.
Je voudrais observer que les prisonniers de guerre déportés à Rawa-Ruska et dans ses kommandos désirent obtenir, non pas le titre de déportés, comme on l'a dit, mais à juste titre les avantages du statut des déportés de la Résistance.
En ces temps de rigueur économique et sociale, je ne viens pas solliciter, monsieur le secrétaire d'Etat, une réparation matérielle, je le dis très haut ; ce serait vain de ma part. Simplement, je vous demande une reconnaissance morale pour les morts, pour les veuves, pour ces hommes qui restèrent fidèles à la cause de notre patrie et des libertés malgré les actes de barbarie et la menace permanente de la mort.
Cette réparation morale pourrait leur donner droit aux avantages du statut des déportés de la Résistance. La matérialisation d'un tel engagement, ils sauront l'attendre.
N'attendent-ils pas depuis quarante-deux ans une reconnaissance morale ?
Alors que le titre de déporté est le seul conforme à la vérité historique et à la mesure de nos souffrances et de nos sacrifices, les anciens de Rawa-Ruska, éternels sacrifiés, conscients des difficultés actuelles que connaît notre pays et du partage de la rigueur imposée aux Français, ne sollicitent qu'une réparation morale.
Je vous le redis, monsieur le secrétaire d'Etat, ils sauront attendre une matérialisation de cet engagement et s'en remettent volontiers au Gouvernement pour assurer, dans l'avenir, la traduction financière de cet avantage moral. Celui-ci prendra, comme il l'entendra, ses responsabilités.
Dans cet esprit, notre commission des affaires sociales a supprimé l'article 5 de la proposition de loi n° 34 qui prévoyait un gage fiscal fondé sur une majoration des droits portant sur les tabacs et les alcools, et a décidé de s'en remettre au Gouvernement pour assurer le financement ultérieur des mesures dont elle réclame aujourd'hui le bénéfice moral pour les intéressés.
Mes chers collègues, ce nouveau sacrifice des anciens de Rawa-Ruska, ce renoncement, cette participation volontaire à l'effort de redressement, cette grandeur d'âme, vous permettront, je le crois, de prendre en considération leur civisme.
Le général De Gaulle a dit un jour, parlant de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui se sont battus pour que la France retrouve ses libertés : « Ils ont choisi librement de combattre et de mourir sans qu'aucune loi humaine les y contraignît. » Cela a été aussi le cas de ceux qui étaient avec moi à Rawa-Ruska et dont je salue ici le sacrifice. (Applaudissements prolongés sur toutes les travées.)
M. le président. Monsieur Méric, les applaudissements de vos collègues vous ont montré combien nous avons écouté avec émotion tout ce que vous avez révélé.

La parole est à M. Garcia.
M. Jean Garcia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, présentant sa proposition de loi, notre collègue M. Méric, dans un exposé chargé d'émotion, nous a dit que, chaque année, depuis trente-neuf ans, il est monté à cette tribune pour demander à tous les ministres des anciens combattants d'inscrire le camp de Rawa-Ruska sur la liste des cent soixante camps de concentration.
Voici qu'enfin cette proposition est inscrite à l'ordre du jour complémentaire de nos travaux, et nous nous en félicitons.
Ce n'est pas nous, monsieur le rapporteur, qui vous reprocherons cette insistance à vouloir défendre cette proposition de loi, qui aurait dû effectivement être discutée et adoptée plus tôt.
A cet égard, monsieur le président, je regrette que la Haute Assemblée ne décide pas de retenir une des propositions déposées par mon groupe. Mais nous, communistes, savons qu'il ne suffit pas qu'une cause soit juste pour qu'elle aboutisse.
Encore faut-il assez de continuité, de ténacité et de conviction. Il est regrettable, monsieur le secrétaire d'Etat, d'avoir attendu si longtemps pour reconnaître les droits légitimes des prisonniers de guerre déportés à Rawa-Ruska.
En effet, le camp 325 à Rawa-Ruska était situé en Ukraine, non loin de Lwow, dans une zone d'extermination des juifs, jalonnée par les sinistres camps de Belzec, Sobibor, Treblinka et Majdanek. A Lemberg, plus de 700 000 personnes - hommes, femmes et enfants, - furent exterminées.
A Rawa-Ruska, sur 9 000 habitants, il n'en survivait que 3 000 en 1943. A quoi s'ajoute que cette région subit des hivers très froids et très longs - cinq mois de gel à moins 20°c et moins 30°C - et des étés très chauds, que le camp est environné de marécages et de tourbières infestés de moustiques.

Typhus, typhoïde, diphtérie, dysenterie, diarrhée cholériforme y règnent de façon endémique.
Créé dès juin 1941 pour les prisonniers russes qui connurent une mortalité de 20 000 hommes en cinq mois, le camp fut destiné aux prisonniers français et belges évadés et repris, ainsi qu'à ceux qui refusèrent de travailler ou qui étaient suspectés de préparer une évasion, à partir d'avril 1942. Ainsi, de 20 000 à 25 000 Français furent dirigés sur Rawa-Ruska.
La plupart des détenus sont logés dans six écuries en bois et des baraquements. Il n'y a ni paillasse ni paille ni couvertures. On couche à même le sol ou sur des bat-flancs à quatre étages. Un seul robinet d'eau, non potable, pour tout le camp. En fait de latrines, il n'y a que de grandes fosses à ciel ouvert.
A l'arrivée du premier convoi français, le 13 avril 1942, il faudra d'abord enlever les cadavres des derniers prisonniers soviétiques, comme l'a dit notre collègue M. Méric. La vermine abonde.
Le régime alimentaire était semblable à celui des camps de concentration : un litre de soupe par jour, une maigre ration d'un pain grossier, une tisane matin et soir, de temps à autre un peu de margarine et de marmelade ersatz, en tout moins de 1 200 calories.

Avec cela, un travail épuisant, aggravé par les brimades et les coups, terrassements, extraction de pierres, travaux forestiers, suivis d'interminables séances d'appel et de fouilles à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, par n'importe quel temps.
Un bon nombre des prisonniers de Rawa-Ruska furent dispersés dans des kommandos de 50 à 500 détenus. Les conditions de vie et de travail n'y étaient pas meilleures qu'à Rawa-Ruska. A la fin de 1942, la plupart des prisonniers furent transférés à la citadelle de Lemberg, où ils eurent à subir les mêmes brimades et le même régime de famine, de travail et la même absence d'hygiène. Nombre d'évadés réussirent à entrer en contact avec la résistance soviétique ou polonaise et à prendre le maquis.
Oui ! Les morts, les veuves, ces femmes, ces hommes qui restèrent fidèles à la cause de notre patrie et des libertés, malgré les actes de barbarie et la menace permanente de la mort, ont droit à la reconnaissance morale de la nation.
Je ne reviens pas sur les éléments contenus dans le rapport écrit de M. le rapporteur. Ils sont très complets. Le rapport reprend notamment des informations particulièrement intéressantes et poignantes, tirées d'un document rédigé par les médecins, officiers français du service de santé, eux-mêmes déportés à Rawa-Ruska, pour des motifs disciplinaires et raciaux. Ce document a été édité par l'amicale « Ceux de Rawa-Ruska».
Il apporte la preuve irréfutable que ce camp requiert toutes les caractéristiques d'un camp de concentration, comme vous l'écrivez dans votre rapport, monsieur Méric.
Vous relevez que 80% des survivants actuels, selon des sondages effectués, sont marqués par des séquelles pathologiques. Or ces névralgies diverses, ces décalcifications, ces atteintes rhumatismales sont précisément les manifestations du vieillissement prématuré des anciens de Rawa-Ruska, estimé à dix ans d'âge. Cette pathologie est identique à celle des déportés, telle qu'elle a été décrite par le professeur Richet et le docteur Mans dans un ouvrage désormais classique ainsi que dans le rapport publié à l'occasion de la conférence de La Haye, en novembre-décembre 1961, sous les auspices de la fédération mondiale des anciens combattants.
Les conclusions de La Haye ont d'ailleurs été reprises au congrès médical international de la fédération internationale de la Résistance à Bucarest, en 1964, sur l'étio-pathogénie et la thérapeutique des séquelles de la déportation, de l'internement et de la clandestinité.
En outre, la réglementation internationale n'a pas été respectée et les prisonniers de guerre déportés à Rawa-Ruska ont perdu leur statut. En témoignent notamment la correspondance du Comité international de la Croix-Rouge et les débats au tribunal militaire international du Nuremberg.
Enfin, comment pourrions-nous ne pas considérer l'évasion manquée d'un prisonnier de guerre, déporté dans un camp d'extermination, comme un acte de résistance ? Faut-il rappeler aussi que, par décret du 15 octobre 1954, publié par le Moniteur belge du 10 novembre 1954, le gouvernement belge a reconnu Rawa-Ruska comme camp de concentration ?
Autant de raisons qui, à elles seules, justifient que le Sénat adopte cette proposition de loi.
Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, d'en avancer une autre qui trouve son origine dans l'actualité récente. En effet, au moment où certains, à l'extrême droite, tentent de faire oublier à nos jeunes ce triste passé, sans parler de leurs amis, au premier rang desquels ce Faurisson , pour qui dans ces camps « les nazis n'auraient gazé que des poux »,
Et bien, il convient de ne pas oublier, de ne jamais oublier.
Après les déclarations faites ce week-end, permettez-moi de lire les pages 39 et 40 du rapport écrit : « Avant le transfert à Rawa-Ruska, une sélection s'opérait dans les centres choisis de Ludwigsburg, Arno Weiler, Mark-Pomgau, où le récidiviste de l'évasion était interrogé et condamné à la déportation par l'autorité militaire nazie. Les listes de départ à Rawa-Ruska étaient intitulées « listes des communistes et des gaullistes».
C'est une première réponse à certains propos scandaleux tenus hier déclarant que les communistes français seraient aussi dangereux que les extrémistes de droite. Eh bien ! Quarante-deux ans après notre retour à une vie libre et normalement humaine, quelles que soient les travées où nous siégeons, retenons la leçon de ces dures épreuves !
Au cours de ces années, Allemands juifs, communistes ou opposants au régime nazi, Anglais, Belges, Danois, Espagnols, Français, Grecs, Hollandais, Italiens, Luxembourgeois, Norvégiens, Polonais, Roumains, Soviétiques, Tchèques, Yougoslaves et d'autres encore ont connu un enfer, que Dante n'avait pas imaginé, mais que des hommes indignes de ce nom surent concevoir et réaliser non pas seulement pour détruire des vies humaines, mais pour les avilir et les dégrader moralement comme physiquement.
Malgré les tortures savamment appliquées, la constante obsession de la faim, le travail épuisant, les coups et les cris des SS ou des kapos, les plus heureux des rescapés des camps de la mort ont réussi non seulement à survivre, mais aussi à garder figure humaine. Ils le doivent d'abord à l'idéal qui les avait engagés dans la lutte contre la monstrueuse tyrannie du racisme et du nationalisme hitlériens.
Faute d'un idéal, jamais les déportés, internés et prisonniers de guerre n'auraient survécu à tant d'horreurs et de cruautés conjuguées pour les faire désespérer et disparaître.
Ils ne le doivent pas moins à la solidarité fraternelle de tous les hommes qui, sans distinction de race, de langue, de couleur ou de croyances, partagèrent les mêmes supplices, les mêmes humiliations, les mêmes souffrances, mais, plus encore, la même volonté de s'entraider pour leur commune libération.
Les communistes français s'honorent d'avoir pleinement contribué à cette solidarité. Il est bon aujourd'hui de s'en souvenir. Cela vaut notamment pour ceux qui évoquent si facilement les «extrêmes», comme ce fut le cas, ce matin, à la radio.
A tous, morts ou vivants, nous devons dire aujourd'hui plus que jamais notre reconnaissance et la fidélité de notre souvenir.
Voilà pourquoi les sénateurs communistes et apparenté voteront cette proposition de loi.
Je ne retiendrai qu'une petite divergence avec le rapport qui nous a été présenté. En effet, monsieur le rapporteur, vous nous dites que les anciens de Rawa-Ruska «sauront attendre la matérialisation de cet engagement et s'en remettent au Gouvernement pour assurer, dans l'avenir, la traduction financière de cet avantage moral».
Nous n'avons pas déposé d'amendement à cette proposition de loi mais, monsieur le secrétaire d'Etat, je me permets de vous demander de prendre l'engagement devant la Haute Assemblée que les dépenses afférentes aux réparations des préjudices des victimes de guerre, définies aux articles 1 à 3 de la présente proposition de loi, soient prévues sur les dotations budgétaires du secrétariat d'Etat aux anciens combattants dès le projet de loi de finances pour 1988.
Il n'est ni valable ni juste d'opposer à cette demande le partage de la rigueur imposée aux Français. Quel est le coût d'une telle mesure au regard de la nécessaire solidarité nationale, monsieur le secrétaire d'Etat ? Les anciens de Rawa-Ruska n'ont pas seulement droit à la réparation morale et au titre de déporté.
Il ne serait pas juste que le Gouvernement ne traduise pas, dès la prochaine loi de finances, cet avantage moral, comme le souhaitent les déportés et internés et leur association, la fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes.
L'article 40 de la Constitution ne nous permet pas d'amender l'article 4 de la proposition de loi en ce sens.
Mais, afin que cela soit possible d'ici à la session d'automne, et en souhaitant que vous répondiez favorablement à notre demande, monsieur le secrétaire d'Etat, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées communistes et socialistes, ainsi que sur les travées de l'union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Georges Fontes, secrétaire d'Etat aux anciens combattants.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai lu le rapport de M. Méric et je viens d'écouter ses propos très attentivement.
Avant de vous donner connaissance de l'aspect purement technique et de faire le point juridique de ce dossier, je tiens au préalable, très simplement et très modestement, à rendre hommage à votre personne, monsieur Méric, ainsi qu'à tous, ceux qui ont souffert à Rawa-Ruska.
Je suis sensible à ce que vous avez dépeint dans votre rapport et que vous vous êtes efforcé de relater à la tribune dans un exercice qui n'était absolument pas facile. Vous aviez beaucoup de choses à dire et j'ai le sentiment que vous n'avez pas tout dit, mais l'émotion que vous avez suscitée en nous par le langage du cœur méritait d'être soulignée.
Je vais donc, monsieur Méric, faire le point juridique de ce dossier.
Cette réparation morale que vous souhaitez, j'insiste bien sur le terme «morale», vous pouvez considérer que le Gouvernement ne vous la refuse pas et je suis sûr que la Haute Assemblée la votera dans quelques instants.
L'article L. 178, auquel vous faites référence, autorise, pour le calcul de la pension militaire d'invalidité, l'assimilation à des blessures « des maladies contractées ou présumées telles par les déportés résistants au cours de la déportation » ; il y est précisé qu'en cas « d'infirmités multiples résultant soit de blessures, soit de maladies, soit de blessures associées à des maladies contractées ou aggravées en déportation, l'ensemble des infirmités est considéré comme une seule blessure », notamment au regard du statut de grand mutilé et des allocations spéciales correspondantes et des décorations.
Cela est propre à la déportation puisque, normalement, l'attribution de ce statut et de ces allocations est réservée aux anciens combattants les plus grièvement atteints, soit d'infirmités nommément désignées, soit d'infirmités entraînant un degré élevé d'invalidité.
L'article L. 179 fixe les conditions de présomption d'imputabilité au service des blessures ou maladies ; il prévoit notamment que, « pour les maladies, les déportés résistants bénéficient de la présomption d'origine sans condition de délai ».
Examinée à la lumière des textes que je viens de rappeler, la proposition de loi, objet du débat, tend dans son article 2 à étendre aux anciens de Rawa-Ruska, titulaires de la carte d'interné résistant au titre de leur séjour dans ce camp, le bénéfice du statut et des allocations spéciales de grand mutilé dans les conditions de l'article L. 178.
Quant à l'article 3, il concerne les prisonniers de guerre à Rawa-Ruska qui n'ont pas obtenu la carte d'interné résistant, pour qui est demandé le bénéfice de la présomption d'origine sans condition de délai.
Or le deuxième alinéa de l'article L. 178 prévoit que les internés résistants, titulaires de la carte du combattant, bénéficient du statut de grand mutilé. Par ailleurs, le quatrième alinéa de cet article réserve aux déportés le droit à la prise en considération de l'ensemble des infirmités comme une seule blessure au regard de ce statut.
Actuellement, les anciens de Rawa-Ruska, reconnus internés résistants, ont droit au statut de grand mutilé et aux allocations correspondantes dans les conditions normales pour un certain nombre d'infirmités dénommées ou pour des infirmités d'une certaine gravité. Ils bénéficient de plus, aux termes de la loi du 26 décembre 1974, de la concession définitive au bout de trois ans de leur pension pour les infirmités résultant de maladies non incurables.
Ce qui est présentement demandé est, par conséquent, de leur étendre la mesure exceptionnelle réservée aux victimes de la déportation, qui consiste à assimiler l'ensemble des infirmités à une seule blessure.
Si mon devoir de ministre de tutelle de toutes les victimes de guerre m'impose de défendre leurs droits, il est aussi de tenir compte de l'œuvre du législateur, qui a établi pour les préjudices subis une sorte d'échelle des valeurs jusqu'à présent respectée, réservant l'assimilation des affections à une seule blessure et la présomption d'origine à vie aux seules victimes du régime concentrationnaire mis en œuvre par les nazis pour l'extermination de certains « indésirables ».
Vous avez rappelé tout à l'heure, monsieur Méric, quel fut l'avis émis par le Conseil d'Etat lorsqu'il a été consulté ; je n'y reviens donc pas.
C'est afin de prendre en compte les conditions exceptionnellement dures du régime des camps de représailles allemands que mes prédécesseurs ont pris, notamment par décret des 18 janvier 1973, 20 septembre 1977 et 6 avril 1981, des mesures exceptionnelles pour faciliter l'exercice du droit à pension pour les prisonniers de guerre incarcérés dans ces camps sans avoir à obtenir un autre titre statutaire prévu par le code des pensions militaires d'invalidité.
Plus précisément, a été ouvert par ces textes, comme vous le savez, le droit à la reconnaissance de l'imputabilité au service par preuve de certaines maladies, sous réserve d'un constat dans des délais s'échelonnant de 4 à 10 ans.
Quoi qu'il en soit, il est de fait que la dernière mesure prise en faveur des anciens prisonniers de guerre transférés en camps durs l'a été à mon initiative : il s'agit de la circulaire n° 702 A du 1er septembre 1986 ouvrant à tous les anciens captifs des camps durs la possibilité de faire examiner les propositions de pension des commissions de réforme locales les concernant par la commission spéciale de réforme des déportés et internés, dont l'accès était antérieurement limité aux déportés, aux internés et aux patriotes résistant à l'occupation des départements du Rhin et de la Moselle incarcérés en camps spéciaux.
Cette mesure n'entraîne certes pas de modification dans l'ensemble des dispositions législatives ou réglementaires applicables à ces prisonniers de guerre, mais elle leur permet, notamment aux anciens de Rawa-Ruska qui n'ont pas obtenu le titre d'interné résistant, de voir leurs préjudices physiques appréciés sur le plan médical comme s'ils avaient obtenu ce titre.
J'ai tenu, par cette mesure, à prendre en considération les vœux et propositions dont je suis saisi par les représentants des intéressés depuis mon arrivée rue de Bellechasse; ils viennent d'ailleurs de m'en exprimer leur satisfaction.
Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'historique et le point juridique de cette question.
En ce qui concerne la reconnaissance morale que les anciens de Rawa-Ruska appellent de tous leurs vœux, je ne doute pas un seul instant que tous les membres de cette Haute Assemblée soient disposés, comme moi-même, à la leur accorder.
Votre sens de l'Etat et votre réalisme font que, dans votre rapport, monsieur Méric, vous précisez : « En ces temps de rigueur économique et sociale » - le réalisme oblige effectivement à ne pas la perdre de vue - « je ne viens pas solliciter une réparation matérielle, ce serait vain de ma part, mais simplement vous demander une reconnaissance morale pour les morts, pour les veuves, pour ces hommes qui restèrent fidèles à la cause de notre patrie et des libertés malgré les actes de barbarie et la menace permanente de la mort.
«Cette réparation morale pourrait leur donner droit aux avantages du statut des déportés de la Résistance. La matérialisation d'un tel engagement, ils sauront l'attendre.
« N'attendent-ils pas depuis quarante-deux ans ?
« Alors que le titre de déporté est le seul conforme à la vérité historique et à la mesure de nos souffrances et de nos sacrifices, les anciens de Rawa-Ruska, éternels sacrifiés, conscients des difficultés actuelles que connaît notre pays et du partage de la rigueur imposée aux Français, ne sollicitent qu'une réparation morale. Ils sauront attendre la matérialisation de cet engagement et s'en remettent au Gouvernement pour assurer, dans l'avenir, la traduction financière de cet avantage moral. »
L'application de cette mesure représente, en année pleine, une somme supérieure à 90 millions de francs. Or, votre proposition de loi ne prenant pas en compte le report d'application, sur lequel vous vous êtes très clairement expliqué, l'article 40 devrait être invoqué. Je ne le ferai pas, m'en remettant à la sagesse de votre Haute Assemblée. Cette expression - je m'en rends compte - n'étant pas tellement claire, je précise que le Gouvernement ne s'oppose pas à ce que la proposition de loi soit votée- la reconnaissance morale est donc accordée immédiatement - à la condition toutefois, légitime et réaliste, que « la matérialisation », pour reprendre votre expression, se fasse lorsque les conditions du pays le permettront. (Applaudissements.)
M. André Méric, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour répondre au Gouvernement.

M. André Méric, rapporteur. Je veux remercier M. le secrétaire d'Etat des propos qu'il vient de tenir à la tribune de notre Haute Assemblée.
C'est vrai, nous demandons une réparation morale. Le Gouvernement nous l'accorde et nous lui laissons le soin de la matérialiser lorsque les conditions le permettront.
Je suis très reconnaissant à M. le secrétaire d'Etat de ne pas avoir invoqué l'article 40. Le vieux sénateur que je suis savait qu'il s'appliquait. Ainsi, nous obtenons immédiatement cette réparation morale - je ne doute pas, en effet, que mes collègues voteront notre proposition de loi - à laquelle tous les anciens de Rawa-Ruska seront plus que sensibles.
J'ai oublié d'indiquer dans mon rapport - je dois à la vérité de l'histoire de le faire - que les autorités soviétiques ont construit à Rawa-Ruska un mausolée à la mémoire des prisonniers de guerre français assassinés dans ce camp. C'est dire que les Français qui ont souffert et sont morts dans les pays de l'Est ont reçu le témoignage de la gratitude d'un pays qui a sacrifié tant d'hommes et de femmes pour la victoire des alliés au cours de la Seconde Guerre mondiale.
…/…
Article 1er
M. le président. « Art. 1er. - Les anciens militaires résistants déportés au camp de Rawa-Ruska et ses annexes, titulaires de la carte de combattant volontaire de la Résistance, sont admis à faire valoir leurs droits à pension d'invalidité dans les conditions les plus favorables, telles qu'elles sont définies aux articles suivants de la présente loi. »
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Articles 2 à 4
M. le président. « Art. 2. - Les dispositions de l'article L. 178 du code des pensions militaires d'invalidité (alinéas 30 et 40) codifiant les lois des 3 février 1953 et 3 avril 1955 bénéficient aux internés résistants déportés au camp de Rawa-Ruska atteints d'infirmités multiples susceptibles d'ouvrir droit aux articles L. 36 à 40 du code. »
- (Adopté.)
« Art. 3. - Les dispositions de l'article L. 179 bénéficient à ceux qui, bien que n'étant pas titulaires de la carte d'interné résistant, justifient du dépôt d'un dossier réglementairement constitué, laissant apparaître la cause déterminante du transfert au camp de Rawa-Ruska liée à la résistance à l'ennemi (insubordinations, refus de travail et évasions notamment). »
- (Adopté.)
« Art. 4. - Les dépenses afférentes aux réparations de préjudices des victimes de guerre effectuées sans ordonnancement préalable et sur avances de trésorerie compensées, éventuellement sur le budget suivant, peuvent être admises sur les dotations budgétaires du ministère des anciens combattants. »
- (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Taittinger, pour explication de vote.
M. Pierre-Christian. Taittinger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, parce que nous comprenons les raisons qui ont guidé et inspiré le président Méric, parce que nous partageons l'émotion qu'il a su faire ressentir au Sénat, le groupe de l'union des républicains et des indépendants votera cette proposition de loi.
Lamennais écrivait : «Si l'on peut en finir du passé avec l'oubli, on n'en finit pas de l'avenir avec l'imprévoyance».
Nous n'entendons pas, mon cher collègue, en cet instant, être oublieux des souffrances que vous nous avez rappelées.
Nous n'entendons pas être oublieux des leçons que nous ont données les hommes qui ont souffert dans ce camp. Mais nous n'entendons pas non plus être imprévoyants à l'égard de la jeunesse qui, plus que jamais dans ces instants, a besoin d'exemples.
C'est pour toutes ces raisons que nous soutiendrons ce droit légitime à la réparation et à la reconnaissance. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Hamel.

M. Emmanuel Hamel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le silence presque religieux dans lequel fut écoutée l'intervention du président Méric, si émouvante parce qu'elle était le rappel d'un héroïsme qui fut vrai, de souffrances qui furent vécues, de la mort qui frappa, loin de leur terre natale, tant de ces prisonniers français qui, courageusement, avaient tenté de s'évader pour reprendre le combat, puis, après ce silence, les applaudissements qui s'élevèrent de toutes les travées pour saluer M. Méric et, à travers lui, tous ses camarades du camp de Rawa-Ruska, marqueront notre mémoire. Ils la marqueront d'autant plus que se déroule actuellement à Lyon un procès historique, qui impose à la France le devoir de se remémorer tant les épreuves qu'elle a connues que le terrible danger que fut pour l'Europe cette idéologie totalitaire, qui, en aucune circonstance, n'acceptait fondamentalement le respect de l'homme.
Monsieur le président Méric, au nom de tous vos camarades, vous avez plaidé devant M. le secrétaire d'Etat, qui vous a entendu et répondu, pour cette reconnaissance morale que vous attendez de la nation.
Le groupe du R.P.R. se joint à tous ceux qui témoigneront aujourd'hui, par le vote de cette proposition de loi, que c'est un devoir que de vous accorder cette reconnaissance morale.
S'agissant de la matérialisation de cette reconnaissance - vous avez vous-même indiqué, dans votre rapport, les conditions dans lesquelles vous acceptiez qu'elle vous soit un jour accordée- nous nous en remettons à M. le secrétaire d'Etat pour faire en sorte qu'elle intervienne le plus rapidement possible.
Nous avons confiance en lui puisque, comme il l'a rappelé, par sa circulaire du 1er septembre 1986 ouvrant à tous les anciens captifs des camps durs la possibilité de faire examiner les propositions de pension des commissions de réforme locales les concernant par la commission spéciale de réforme des déportés et internés, il a prouvé son intérêt pour vos camarades, monsieur le président Méric.
Merci d'avoir évoqué en termes si nobles et avec une émotion qui fut communicative ce que, au temps de votre jeunesse, vous avez vécu. C'est un souvenir qui ne se perd pas dans la mémoire du peuple français. Votre témoignage constituera une des heures importantes que, dans cet hémicycle marqué par tant de souvenirs historiques, le Sénat aura connues. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Machet.

M. Jacques Machet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les mots sont bien petits en face des souffrances vécues en cet enfer de Rawa-Ruska. Il n'y a rien à ajouter au vibrant exposé de notre collègue M. Méric, qui, pour les avoir vécues dans son corps, nous a décrit avec tant d'émotion les souffrances de ses camarades du camp de Rawa-Ruska. Je lui rends un solennel hommage.
C'est avec respect et dignité que le groupe de l'union centriste votera cette reconnaissance, ô combien méritée, qui devra être suivie d'une nécessaire solidarité. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Garcia.

M. Jean Garcia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, nous voterons cette proposition de loi, pour la reconnaissance morale des droits des internés de Rawa-Ruska. J'aurais évidemment souhaité que cette reconnaissance morale se traduise dans la prochaine loi de finances. Il n'est pas juste d'opposer à cette demande le partage de la rigueur imposée.
Il n'est pas juste de consacrer, comme le fait votre gouvernement, des milliards de francs aux œuvres de mort au lieu de les consacrer aux œuvres de vie.
Cela étant, nous voterons la proposition de loi. M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)


lire le texte d'origine : http://www.senat.fr/comptes-rendus-seances/5eme/pdf/1987/05/s19870525_1257_1271.pdf

ou aussi : http://www.senat.fr/rap/1986-1987/i1986_1987_0184.pdf

Dernière édition par nyle le 20 Fév 2015, 12:00, édité 1 fois.




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