L'événement 2006 : Indigènes de Rachid Bouchareb
N’étaient que son ambition artistique et industrielle (un vrai "film de guerre", avec le budget correspondant) et son casting emblématique (Sami Bouajila, Jamel Debbouze, Samy Nacéri et Roschdy Zem, soit les quatre comédiens "beurs" les plus connus et reconnus du cinéma français) Indigènes de Rachid Bouchareb s’annoncerait déjà comme l’un des événements cinématographiques de l’année 2006.
Mais les enjeux de ce film semblent devoir échapper au périmètre des salles obscures, conformément d’ailleurs à l’ambition de Rachid Bouchareb : redonner une place dans la mémoire collective aux tirailleurs africains (en montrant leur participation héroïque aux combats de la Libération), c’est aussi réconcilier une partie de la jeunesse française avec l’histoire, la sienne et celle de son pays. Comme le résume très bien le comédien Jamel Debbouze, qui a fait de ce film et de son sujet un enjeu personnel (voir un article d’Altérités.org sur l'engagement du comédien) il ne s’agit de rien de moins que d’expliquer aux jeunes issus de l’immigration "qu’ils ne sont pas là par hasard".
Loin de la polémique ou de la victimisation, Rachid Bouchareb a voulu un film grand public, jouant la carte de l’épopée et de l’héroïsme à la manière des films de guerre américains (on pense au Soldat Ryan de Spielberg) :
« 1944-1945... Libération de l'Italie, de la Provence, des Alpes, de la vallée du Rhône, des Vosges, de l'Alsace (…) Cette remontée victorieuse et meurtrière vers l'Allemagne a été le fait de la 1ère Armée française (…) : 200 000 hommes, parmi eux 130 000 "indigènes" dont environ 110 000 Maghrébins et 20 000 Africains... (…) Le film raconte l'histoire oubliée des soldats dits "indigènes" à travers l'épopée de quatre d'entre eux. Abdelkader, Saïd, Messaoud et Yassir (le goumier) sont des voltigeurs. Réputés pour leur endurance, leur sens du terrain, leur courage dans le corps à corps, on les envoie en première ligne...» (extraits du synopsis officiel)
Mais il n’est pas sûr que la sortie du film s’inscrive dans un contexte aussi consensuel, tant tout ce qui touche à l’histoire et à l’enseignement du fait colonial (dont l’enrôlement de troupes indigènes dans l’armée française est un des aspects) est devenu sensible (voir cet article de l'Express intitulé La mémoire à vif et le récent dossier du Café pédagogique, Enseigner le fait colonial). Le titre même du film a pris une connotation polémique que n’imaginaient sans doute pas ses auteurs, depuis la publication au printemps dernier du Manifeste des Indigènes de la République qui fait du terme l’étendard d’une révolte contre la perpétuation des discriminations racistes et le "colonialisme post-colonial".
C’est dire si ce film, qui devrait susciter une très forte demande chez les élèves, est attendu avec intérêt et curiosité par les enseignants d’histoire-géographie. En attendant les premières images (dans un entretien à Libération du 21 septembre, Rachid Bouchareb parlait d’une sortie à la date —doublement— symbolique du 8 mai, mais le distributeur annonce plutôt septembre 2006), on pourra patienter avec L’ami Yabon, projet d’une toute autre ampleur mais au sujet parallèle.
Source
Un Soldat Ryan à la française ?