Le 16 décembre 1944, lorsque débute l'offensive allemande dans les Ardennes, la météo prive les Alliés de leur supériorité aérienne. Ce temps bouché était un des facteurs déterminant aux yeux des Allemands pour éviter de voir les
Panzer écrasés par l'aviation comme lors de l'été précédent.
Mais le 23 décembre, le temps change et un retour des conditions anticycloniques va permettre à l'aviation alliée d'entrer dans la bataille. Les bombardiers lourds de la
8th Air Force vont isoler le champ de bataille à l'ouest d'un arc de cercle Köln/Giessen/Frankfurt/Mannheim/Saarbrücken. Les bombardiers moyens de la
9th Air Force bombarderont systématiquement les ponts sur le Rhin en arrière du front (Bonn, Remagen, Koblenz ou Hildesheim) ainsi que les centres de communication et d'approvisionnement.
Malmedy, une petite ville belge, non loin de la ligne de front mais aux mains des Américains (et principalement de la
30th Infantry Dvision) va être bombardée erronément et par 3 fois dans le cadre de cette stratégie !
Hubert LABY, un historien belge et grand connaisseur de la Bataille des Ardennes a mené l'enquête, en Belgique et aux Etats-Unis, afin de tenter de faire la lumière sur les 3 bombardements de Malmedy par l'
US Army Air Force les 23, 24 et 25 décembre 1944.
Pour ce faire, Hubert LABY a su s'entourer d'experts et notamment d'officiers américains des
US Army et
US Army Air Forces. L'ensemble de ces recherches a été publié en 2007 dans la cinquième édition (complétée et augmentée) de son ouvrage "
Ardennes 44 – Stavelot et Malmedy dans la tourmente". Un ouvrage déjà présenté sur le forum en 2007 par notre ami Prosper (
viewtopic.php?f=21&t=15423&p=157586&hilit=Laby#p157586).
Je vous livre ci-dessous un condensé de ces recherches afin de compléter valablement le présent fil.
Malmedy est bombardée par erreur!Ce 23 décembre 1944 après-midi, 28 B26
Marauder du
322nd Bombardment Group (Beauvais/Tille dans l'Oise) prennent l'air pour bombarder Zülpich, une "tête de rail"(1) importante pour les Allemands alimenter leur offensive. Comme l'écrit Hubert LABY : "
Le plan de vol de cet après-midi prévoit le passage au sud de Verviers pour ensuite rejoindre l'Inital Point(2) à la verticale de la localité de Roetgen." L'objectif de Züllpich est à une trentaine de kilomètres de l'IP.
Le décollage a été anormalement long (50 minutes pour les 28 appareils) et le retard de 12 minutes pris par l'ensemble de la formation décide les 2
Pathfinders à faire demi-tour! Les 25 bombardiers (le 26e n'a pu rejoindre et a été détourné vers la base de Châteaudun) sont donc livrés à eux-mêmes pour trouver leur objectif! Le survol du bassin parisien est perturbé par une importante couverture nuageuse et la formation se disperse progressivement. Trop au sud, l'itinéraire survole des pointes de l'offensive allemande et va déclencher l'intervention de la
Flak augmentant ainsi la dispersion. D'autres aléas font qu'après une heure de vol, il n'y a plus que 6
Marauder en route vers l'objectif…
A 15h25, le Major WATSON qui mène l'attaque est perdu. Il aurait déjà dû atteindre l'objectif quand une ville apparaît à 6 ou 7 kilomètres. L'environnement ne correspond pas à Züllpich ni à ce qui a été décrit lors du
briefing et la
Flak rend périlleux un passage de reconnaissance. WATSON décide malgré tout de bombarder cette ville "assurément allemande".
Il est 15h26 lorsque les 86 bombes de 250 livres sont larguées.
En dessous, les habitants de Malmedy contemplent les bombardiers américains avec admiration. Il n'y a aucune inquiétude, Malmedy est toujours resté aux mains des Américains depuis le début de l'attaque allemande, 7 jours plus tôt.
C'est la consternation puis la panique lorsque les bombes tombent en plein centre de la petite ville. Les GI's qui tiennent Malmedy se mettent rapidement en branle pour venir au secours des sinistrés: les
Engineers du 105
th fournissent les citernes et les lances, ceux du 291
st ont des bulldozers et des autopompes. Les gars
120th Infantry Regiment (
30th Division) apportent toute leur aide et notamment déploient les panneaux d'identification orange sur les points les plus élevés de la ville.
A Beauvais, le
debriefing et l'analyse des photos révèlent la cruelle méprise… …et l'échec de la mission. Züllpich a été épargné, il faudra y retourner.
24 décembre – Un nouveau bombardement!Le lendemain de la tragédie, dimanche 24 décembre, les sapeurs du génie américain sont à l'ouvrage dans le centre de Malmedy sinistrée.
Vers 14h30, ce sont 18 B24
Liberator qui s'approchent de Malmedy. Et comme la veille, les soutes à bombes s'ouvrent au-dessus de la petite cité ardennaise! L'Athénée (important bâtiment scolaire de l'enseignement public en Belgique) dont les solides caves abritent de nombreux civiles depuis le 16 décembre est touché de plein fouet! Rapidement, les
GI's s'activent à venir en aide aux victimes mais découvrent un carnage.
"
La nuit venue, le feu reprend avec violence dans les ailes nord et nord-ouest de la place Albert Ier […] Des centaines de rescapés des quartiers détruits errent désemparés dans les rues…" relate Hubert LABY qui passera plus d'un an à identifier le groupe de
Liberator qui bombarda Malmedy ce 24 décembre 1944. Son enquête le mènera à 18
Liberator du
458th Bombardment Group en route pour Wetteldorf, à 41 kilomètres au nord-ouest de Malmedy. Le rapport de mission fait état du bombardement "
d'une ville non identifiée".
25 décembre – Le troisième bombardementLe 23 décembre 1944, les Allemands s'emparent du carrefour stratégique de Saint-Vith après une défense américaine héroïque (elle se révèlera déterminante mais c'est une autre histoire). Aux mains des Allemands, Saint-Vith devient un objectif de choix pour la
9th Air Force.
Saint-Vith est l'objectif des B26
Marauder du
387th Bombardment Group (Chastre dans l'Aisne) pour cette après-midi de Noël. Il est 14h32 lorsque les 36
Marauder décollent avec leurs chargements de bombes de 250 et 100 livres temporisées pour obtenir un effet maximum contre les dépôts et les véhicules. L'
Initial Point est à la verticale de Verviers, l'approche de Saint-Vith doit passer à proximité de… Malmedy.
Peu après que le premier box rejoigne l'IP, le système
GEE du leader indique le largage des bombes à 3 minutes. Se profile alors une ville enfumée. Saint-Vith a été déjà bombardée le matin même par le
387th Group. La cible est donc identifiée. Il est 16h05 lorsque 64 bombes de 250 livres sont larguées… sur Malmedy!
Cette fois, c'est le quartier du pont de la Warche qui est touché.
Les ruines calcinées du Chemin Rue
Pour le troisième jour consécutif, les habitants de Malmedy sont durement bombardés. Les marquages de reconnaissance orange déployés sur la cathédrale, les clochers, l'Hôtel-de-Ville, la caserne et les hauteurs autour de la ville sont masqués par la fumée des incendies qui n'en finissent pas. Les rapports de la
30th Division signalant les bombardements des 2 jours précédents n'ont pas empêché cette troisième méprise.
Les bombes causent pour la troisième fois leur lot de souffrances. Les blessés les plus graves seront évacués vers les hôpitaux de Verviers et de Liège, voire de Bruxelles!
Un bilanHubert LABY cite entre 202 et 225 civils tués suivant que les sources englobent ou non les tirs de l'artillerie allemande lors des combats antérieurs au 23 décembre 1944. Sur cette base, on peut évaluer à un tiers le nombre de réfugiés qui trouvèrent la mort à Malmedy.
Dans les rangs de l'
US Army, ce sont les hommes du
120th Infantry Regiment qui souffrirent le plus du bombardement avec 37 tués. Les
After Action Reports du
291st Combat Engineer Battalion renseignent un unique tué. Déployés en périphérie de la ville, les
99thInfantry et
526th Armored Infantry Battalions n'eurent pas à souffrir des bombardements.
Les dégâts matériels sont les plus terribles! Plus de la moitié des habitations ont été détruites ou ruinées. Les réseaux électriques et de distribution d'eau sont détruits. Dans ces conditions, nombre de survivants seront évacués vers des régions épargnées.
La cathédrale émerge au milieu des ruines en ce dramatique jour de Noël 1944
(1) Une "
tête de rail" est le point d'arrivée au plus près du front d'une ou plusieurs lignes de chemin de fer à partir desquelles partent plusieurs lignes d'approvisionnement par route vers le front. C'est donc le point où se concentre le ravitaillement avant d'être dispatché vers les unités combattantes. La destruction de ces têtes de rail permet de ruiner la logistique adverse au plus près du front.
(2) L'
Initial Point (IP) est le point à partir duquel l'altitude, la vitesse et le cap renseignés lors du briefing doivent garantir la précision du bombardement. L'identification de l'IP par le navigateur est donc essentielle à la réussite de la mission.