Post Numéro: 59 de François Delpla 24 Mar 2014, 18:14
Je ne comprends définitivement pas cette insistance, et parlerai donc d'autre chose : le livre d'André Brissaud sur Canaris (1970), qui fait encore impression à certains. Il est facile à trouver en poche (Pocket) et il est même intégralement en ligne (mais je ne retrouve pas le lien).
Je voudrais l'utiliser aujourd'hui pour clarifier autant que possible un point : le début de la résistance de Canaris... si résistance il y a.
Pour Brissaud, il commence à trouver les moeurs nazies inadmissibles à partir de l'exécution de Toukhatchevsky (juin 1937) car Heydrich, auquel il avait refusé de donner des documents permettant d'imiter la signature du maréchal, les lui avait volés à la faveur d'un incendie. Le bruit (p. 97) vient de Lahousen... ce qui n'en fait pas une information en béton ! (Lahousen n'est même pas allemand, mais autrichien, au moment des faits). Vient ensuite la fameuse réunion du 5 novembre, où Hitler dévoile des projets guerriers (d'une façon mensongère mais peu importe ici). C'est le général Beck, chef d'é-m de la Heer, qui affranchit Canaris, le 11, en lui montrant le p-v du colonel Hossbach. Sources ? néant !
Suit un récit banal, lui-même très peu sourcé, de la crise Blomberg-Fritsch, présentée comme une machination de Himmler et Göring mettant Hitler devant le fait accompli. Beck et Canaris décident alors de "précipiter la chute" du régime. C'est fort peu logique si Hitler n'était pas au courant : il n'y aurait qu'à élaguer les branches pourries.
Puis Brissaud raconte l'Anschluss, et les sentiments (sic) de Canaris, suivant lesquels cette conquête "facile" va faire croire à Hitler qu'on lui cédera toujours. Source : une confidence de Piekenbrock, collaborateur de Canaris, on ne sait quand ni à qui.
Vient alors le chapitre 14, qui raconte l'entrée de Lahousen à l'Abwehr et surtout la présentation qu'il a faite lui-même à Brissaud du service (il est mort le 24 février 1955). Il prétend qu'il y avait à la direction de l'Abwehr deux cercles, l'un autour de l'amiral, l'autre autour de Hans Oster; ce dernier conspirait au renversement de Hitler; Canaris était "moins en contact" avec lui, tout en "sachant à quoi s'en tenir". Quant à Lahousen lui-même, il était pour Canaris (p. 150) un "ami intime" mais non un "intime confident" et, en conséquence, n'était pas renseigné sur "ses mobiles ou ses desseins politiques" ! Les intimes étaient Oster et Piekenbrock.
Ce récit on ne peut plus imprécis de l'entrée en résistance de Canaris s'achève avec la narration d'un dûner avec son prédécesseur, le colonel Patzig, dans un restaurant berlinois (le Horcher) en décembre 37. Canaris dit que les dirigeants nazis sont "tous des criminels", en raison surtout de l'affaire Toukhatchevsky, Patzig lui conseille de démissionner en disant qu'il l'aidera à obtenir dans la marine un commandement important et Canaris refuse... au motif que Heydrich lui succéderait !
Voilà qui est à la fois aux antipodes de toute méthode historique, et tout de même très instructif : un auteur pour qui la résistance de Canaris ne fait aucun doute trouve tout de même le moyen de nous informer que rien ne la corrobore, sinon des récits intéressés. Ces informations sont, finalement, tout à fait compatibles avec le livre de Kerjean : l'amiral est fort au courant des activités de la résistance... et tout à fait en mesure
1) de la manipuler et
2) d'en rendre compte à une autorité supérieure.