Post Numéro: 5 de carcajou 15 Fév 2014, 13:00
Deux hommes et des monuments à la Berlinale
Martin Bilodeau
Le Devoir
13-02-2014
« Malgré le souhait exprimé par Hitler, Paris n'a pas été détruit à l'issue de la défaite allemande. Le bras de fer entre le général nazi Dietrich von Choltitz et le diplomate suédois Raoul Nordling, durant lequel celui-ci aurait tenté de convaincre le premier de ne pas activer les mines et les bombes posées aux pieds de tous les ponts et monuments de la Ville lumière, n'a pas eu lieu non plus. Du moins, pas dans la forme que lui donnait la pièce Diplomatie de Cyril Gély créée en 2011 avec Niels Arestrup et André Dussolier. Non plus dans celle que lui donne l'adaptation éponyme par le grand cinéaste allemand Volker Schlöndorff, présentée en première mondiale ici dans la section Belinale Special, et qui pourrait bien connaître une carrière aussi enviable dans le circuit art et essai que Hannah Arendt, incidemment réalisé par son ex-épouse Margarethe von Trotta.
«Les nazis et la Deuxième Guerre mondiale, j'ai déjà donné», avait répondu Volker Schlöndorff au producteur parisien qui lui proposait d'adapter Diplomatie. Le réalisateur du Tambour et des Désarrois de l'élève Torless n'avait pas vu la pièce et, à la lecture du texte, n'envisageait guère plus qu'un téléfilm. Les deux acteurs aussi semblaient perplexes à l'idée de porter au grand écran, sous la bannière de Gaumont, ce huis clos verbeux. Puis, durant un tête-à-tête avec Niels Arestrup, Schlöndorff décoince: « Niels m'a dit; «Au fond, cette pièce, c'est comme une médiation sur l'Histoire». Il n'en fallait pas plus pour actionner les mécanismes de son imagination, Ceux-ci se sont d'abord employés à ériger un quatrième mur absent au théâtre, puis à modifier la structure pour construire une tension cinématographique, enfin à dépouiller le texte des facéties qui lui déplaisaient. «C'était trop drôle», résume-t-il.
L'action de la pièce, comme celle du film modestement réussi, se déroule pour l'essentiel à l'intérieur de la suite de Von Choltitz à l'hôtel Meurisse, quelques heures avant l'entrée des troupes alliées dans Paris. Les deux hommes se connaissent pour avoir maintes fois discuté dans le passé, mais l'urgence de la situation, alors que le général se prépare à donner l'ordre de destruction, crée un climat de vive tension, exige un choix juste des gestes et des mots. Ce genre de précisions, le cinéma sait le rendre, et souvent mieux que la scène, de l'avis d'André Dussolier. «Au théâtre, il fallait projeter la voix pour être entendus par 700 personnes tous les soirs. Au cinéma, la proximité de la caméra permettait une intimité, un ton de confidence, à mots feutrés, qui convient bien au sujet», déclare ce «fana de sport» qui, accaparé dans la promotion de deux films à la Berlinale (l'autre étant le plus récent Resnais), monte à sa chambre dès qu'il a une minute pour aller regarder les Jeux olympiques: «Le Canada est en tête au tableau des médailles, tout va bien pour vous», me rassure-t-il. Diplomate, je m'en réjouis devant lui. Mais pas autant qu'en apprenant que la Berlinale vient d'inaugurer une version numérique restaurée de Baal, le film que Schlöndorff a réalisé en 1969 à partir de la pièce de Bertol tBrecht, avec Rainer Werner Fassbinder dans le rôle-titre.
Le film figure comme un des moments forts du nouveau cinéma allemand, mouvement artistique dont Schlöndorff et Fassbinder ont été les figures marquantes, avec entre autres Herzog, Klugge, Von Trotta et Wenders. Un cinéma perçu historiquement comme un filtre, ou un exutoire, de la mauvaise conscience allemande. Schlöndorff relativise: «Je ne pense pas qu'on ait pensé à la période nazie quand on a fait Baal. On voulait au contraire balayer tout ça, choquer le bourgeois et célébrer un texte qui datait de la Première Guerre mondiale. Cela dit, il est vrai que le nouveau cinéma allemand était imprégné de l'après-guerre, et donc de la question de la culpabilité. Mais avant tout, il était porté par de jeunes gens qui voulaient faire du cinéma et parler de leur présent. La mauvaise conscience, on ne peut pas s'en débarrasser, mais je ne crois pas qu'elle ait été le moteur des films.»
Diplomatie arrive à la Berlinale quelques jours après que George Clooney et son équipe eurent, sur un sujet très semblable (la sauvegarde des œuvres d'art pillées par les nazis), décoiffé la Postdamer Platz. Afin peut-être d'éviter un incident diplomatique, Dieter Kosslick, le directeur de la Berlinale, avait informé son invité de la parenté d'esprit des deux films, donnant du coup à ce dernier l'envie de la voir. «C'est moins bien que ce à quoi je m'attendais», reconnait-il. Mais il admire le jeu des acteurs, le comique des situations, et surtout, Schlöndorff endosse le message de Clooney: «Osez dire que des œuvres d'art peuvent être aussi importantes que des personnes vivantes, il fallait le faire.» Lui l'a dit. À sa manière bien allemande.»
Le Devoir. le jeudi 13 février 2014. section Culture. p. b-8.
``Aucun ``fils de p...``n'a jamais gagné une guerre en mourrant pour son pays. On gagne une guerre en faisant ce qu'il faut pour que ``le fils de p...`` d'en face meure pour son pays``. ( No son of a bitch ever won a war by dying for his country, you win a war by making what it needs so that the son of a bitch in front of you die for his country).- G.Patton.