Post Numéro: 52 de François Delpla 01 Sep 2011, 14:26
Bonne ou mauvaise, le stratégie de Hitler vis-à-vis du Royaume-Uni est claire depuis 1924 et ne varie jamais : favoriser la venue ou le maintien au pouvoir de conservateurs anticommunistes soucieux avant tout de l'Empire et disposés, par suite, à abandonner la politique d'équilibre européen, en tolérant l'avènement de l'Allemagne comme puissance dominante du continent. Cela passe par l'administration de coups plus ou moins durs aux alliés potentiels de Londres (France et Russie notamment) et aussi, en cas de besoin, à l'Angleterre elle-même.
Les bombardements, entre août 40 et mai 41, font partie du scénario, de même que les menaces et les coups de boutoir sur les intérêts anglais en Méditerranée et au Moyen-Orient. Pas moyen de décramponner le fruit Churchill sans secouer l'arbre : le tout est de doser, pour ne pas sembler en vouloir à l'arbre lui-même, ce qui le rendrait solidaire du fruit en question.
D'autre part on a beaucoup entendu dire, notamment par ceux qui recopient Kershaw les yeux fermés, que Hitler à la veille de Barbarossa ne voulait plus faire tomber Churchill et misait tout sur un succès contre les Russes en trois mois, y compris pour obtenir ce résultat.
Mon idée de la semaine dernière est tout inverse : rien n'indique nulle part qu'il n'ait pas fait dans sa tête de la chute de Churchill un préalable, avant de confirmer définitivement la directive Barbarossa. En d'autres termes, il est peut-être bien passé par un dur débat interne le 20 juin, dernier jour pour l'annuler.
Cette annulation aurait en effet fait jaser... puisque le 22 juin était la date même choisie par Napoléon pour faire la même chose. Le monde entier, plus ou moins alerté sur cette éventualité par des bruits croissants, aurait vite compris que Hitler laissait la saison s'avancer et l'occasion d'une attaque vers l'est passer. D'où tout de suite une question : va-t-il faire autre chose ?
Si la chute de Churchill est un préalable jugé indispensable pour se lancer vers l'est, l'annulation de Barbarossa peut être un puissant moyen de la favoriser : elle permet en effet au potentiel allemand de déferler vers le sud et d'y emporter en quelques semaines toutes les possessions britanniques, de Gibraltar à l'Irak, en faisant entrer dans la guerre et l'Espagne et la Turquie, alors aussi peu farouches l'une que l'autre devant les oeillades du Reich. Mais il y a de grandes chances que la menace suffise ! Et alors pourrait-on obtenir un vrai débat aux Communes sur le rapport qualité-prix de la guerre, dont Churchill sortirait simple député.
Considérons maintenant le télégramme Lequio et le chemin que ses informations ont fait dans l'esprit du Führer. Puyol, avant son "année sabbatique", nous a expliqué que, puisque Hoare n'avait pas renversé Churchill le 10 mai, ce télégramme n'avait joué aucun rôle dans le vol de Hess, Hitler ayant tout au plus attendu la chute de Churchill pendant quelques semaines et en ayant alors perdu tout espoir. Voilà qui est tout à fait illogique et, au contraire, l'inverse le serait, logique : que Hitler croie encore, en ce 20 juin où tout se décide, que Hoare s'active pour renverser Churchill.
Dans ces conditions, Barbarossa devient contre-productif ! Car il va entraîner un grand ouf de Gibraltar à Bagdad, en passant par la chambre des Communes, en même temps que Churchill va aller répétant, notamment à Roosevelt, que l'Allemagne veut conquérir le monde. Tandis que l'inconvénient de différer Barbarossa d'un an, si Churchill tombe, est tout à fait acceptable : les Russes auront un an de plus pour se préparer mais les Allemands aussi et pour eux, de surcroît, le commerce étant rétabli avec l'Occident, les questions logistiques s'allègeront d'autant.
Hitler est donc devant un choix cornélien... dans lequel les informations "Lequio" ont pu peser d'un grand poids. Car si Hoare est en train de rassembler une majorité contre Churchill, le fait de faire apparaître l'Allemagne (et le nazisme) comme une machine de guerre contre le communisme et les Slaves, et une vraie amie de l'Angleterre puisqu'elle ne l'a pas écrasée alors qu'elle aurait pu, pourrait constituer l'appoint qui manquait à Hoare pour décider ses camarades conservateurs à changer de pilote.