Post Numéro: 199 de François Delpla 10 Oct 2010, 15:22
Pétain, Laval, Alibert, Peyrouton, Baudouin, Huntziger, Bouthillier, Darlan, Belin, Caziot.
Premiers commentaires
Les quelques auteurs qui ont soutenu que ce texte n'avait pas été amendé dans le sens d'un durcissement, notamment parce que certaines modifications allaient dans l'autre sens, avaient tort. La seule modification apportée par Pétain (dont l'écriture, y compris pour les chiffres, est certifiée par deux experts) qui ne soit pas une franche et nette aggravation, consiste en la radiation de la phrase finale de l'article 7 : "En aucun cas cette durée ne pourra excéder quinze ans." Il s'agit de la durée pendant laquelle un fonctionnaire juif révoqué pourra toucher son traitement. La phrase précédente indique qu'elle sera fixée pour chaque catégorie par un règlement particulier. Ce butoir général de quinze ans a pu être rayé, soit parce que cette durée semblait trop courte... soit parce qu'elle semblait trop longue !
Dans mon hypothèse suivant laquelle ce statut est fait, au moins en partie, pour plaire à l'occupant et lui suggérer qu'il n'aurait rien à craindre de la France au cas où il lui accorderait un traité de paix avant la fin de la guerre, il a pu sembler au contraire incongru à Pétain de suggérer à Hitler que des Juifs pourraient y être payés à ne rien faire pendant quinze ans, et plus sage de laisser ce point dans le vague.
Les corrections sont effectivement minutieuses, et Pétain a bel et bien refait avec attention la numérotation pour tenir compte du fait qu'il avait supprimé un article (le troisième sur 10) en l'intégrant dans le précédent, soit six modifications de chiffres et même neuf, puisque trois renvois ont été corrigés.
Il ne faut toutefois pas exagérer cette minutie, qui laisse échapper quelques imperfections : un renvoi non corrigé, à l'article 6 devenu 5; une correction orthograhique fautive : Pétain ajoute des s à "aucun poste" - dans l'article 3 devenu 2; le mot "loi" remplacé par "décret" au dernier article; une énumération en "abcd" non corrigée alors que le "a" est supprimé - dans l'article 4 devenu 3.
Ces imperfections ne se retrouvent pas dans le texte imprimé au JO, ce qui s'inscrit en faux contre l'affirmation suivant laquelle toutes les modifications du maréchal ont été respectées -affirmation d'ailleurs corrigée en "la grande majorité" dans le texte de présentation du Mémorial.
Autre détail : alors que Pétain avait ajouté "tous membres du corps enseignant" à l'énumération des fonctions hiérachiques (inspecteurs, proviseurs etc.) du texte qu'il annotait, le texte définitif a, logiquement, supprimé la hiérarchie et mentionné seulement l'ensemble du corps.
On peut conclure de cet examen
* que Pétain n'a pas mis la toute dernière main au texte, mais que la mise au point finale de la loi a été effectuée dans le plus scrupuleux respect de ses indications, quant à leur esprit.
* que ces modifications consistent bien en un durcissement considérable,
-et dans le domaine de l'enseignement,
-et, surtout, par la radiation du paragraphe
"a) être descendant de juifs nés français ou naturalisés avant l'année 1860",
qui aurait réduit considérablement le champ d'application du statut, tout comme son sens symbolique, en dispensant pratiquement de ses interdictions les Juifs considérés comme "assimilés".
Il est donc vrai que ce document montre une implication précise du maréchal dans le durcissement du projet -durcissement et implication mentionnés dans l'entrée du 1er octobre du journal de Baudouin -lequel journal n'en reste pas moins éminemment suspect, dans ses affirmations comme dans ses datations -l'auteur alléguant, pour ne plus rien noter sur la question après le 3 octobre, d'une "pneumonie" que rien ne confirme, ni dans le rythme de son activité, ni dans les déclarations de ses collègues !
Ce document isolé, vestige d'un processus qui reste très mal connu parce que ses acteurs ont fait disparaître de leur mieux les pièces et truqué de leur mieux les faits, est néanmoins très insuffisant pour fonder le diagnostic, chez Philippe Pétain, d'un antisémitisme supérieur à celui de ses ministres, qu'il s'agisse d'Alibert ou de qui que ce soit d'autre. Une comparaison vient à l'esprit : les sondages électoraux, contre lesquels on met le public en garde en disant qu'il ne s'agit que d'"une photographie à un moment donné". Ici, un coup de projecteur éclaire brièvement la nuit. Mais quelle nuit... ou quel jour ? La date, en effet, manque fâcheusement et il est, pour les raisons que j'ai dites, très imprudent d'affirmer que le document était présent lors du conseil des ministres du 1er octobre, ou a été annoté à son issue. L'eau a encore coulé pendant 17 jours sous les ponts de l'Allier... et de la Seine, et de la Spree ! La mention d'un statut beaucoup moins sévère dans un télégramme d'Abetz à Ribbentrop le 8 octobre autorise encore toutes sortes de conjectures. Notamment l'hypothèse que Pétain ait tranché, en dernier ressort, non point du tout dans un accès de rancune contre le capitaine Dreyfus ou quelque autre Juif français, mais pour des raisons, présumées hautes, de politique extérieure.