Bonjoursoir Seb,
Ils sont pas taquins les anglais, ils ont juste un sens de l’humour doublé d’un sens du secret très british.
Avant moi, certains historiens de la WW2 que je cite dans mon livre avaient envisagé d’aborder dans leur travail le sujet des bombes en bois, tant ils avaient été confrontés au nombre incroyable d’anecdotes sur cette affaire. L’intransigeance des services officiels anglais sur le sujet (Ministry of Defence, Air Historical Branch) les en avait dissuadé. J’ai même rencontré un chercheur, devenu ami avec une responsable haut placée au Royal Air Force Museum de Hendon, qui m’affirma qu’il n’avait jamais réussi à aborder librement avec elle ce sujet « qui manifestement l’embarrassait » (ce sont ses termes). Personnellement mes nombreux courriers, mails, appels téléphoniques, voire interventions directes de David Whiting ou de Frances Harper (la traductrice du livre en anglais, fille de pilote de la RAF) n’ont rien donné ou alors des réponses complètement à côté du sujet.
La thèse des initiatives individuelles de pilotes (effectuant des largages de bombes en bois à l’insu de l’autorité hiérarchique) – piste la plus solide selon moi – n’est plus une théorie vraisemblable, mais un fait historique désormais établis avec les divers témoignages recueillis et rapportés dans mon livre. Dès lors qu’ils étaient interdis, ces actes isolés pouvant relever de l’insubordination (la guerre n’est pas un jeu ! les pilotes de la RAF ne sont pas des Monty Pithon ! etc), il paraissait logique que les ministères anglais concernés nient la réalité de ces faits après guerre.
L’exemple du lieutenant Stoddard est une merveilleuse illustration de ce propos. En pleine guerre du Vietnam, il avait décollé du porte-avions Saratoga aux commandes d’un Skyraider où il s’était fait fixer sous l’aile droite une cuvette de WC destiné à l’ennemi ! Ce geste de moquerie vis à vis de l’adversaire, fut bien plus audacieux qu’un petit largage, en passant, d’une bombe en bois sur un faux terrain d’aviation allemand –non défendu en 43-44- où des leurres en bois pourrissaient. Ce geste avait été rendu possible par une chaîne de complicités sans faille dans l’escadrille : les mécaniciens qui avaient conçu l’adaptation en acier pour fixer la cuvette sur le rack, les armuriers qui avaient chargé l’engin sur l’appareil, le personnel de piste qui n’a pas vendu la mèche au moment du décollage, jusqu’aux mariniers sur la passerelle de commandement qui firent « un mur » pour que l’amiral ne se rende pas compte du projet Stoddard au moment où l’appareil fut avancé sur le pont. Pire : comme le révéla le film tourné par un autre appareil au moment crucial, lorsque Stoddard largua sur la cible le « projectile bactériologique » (c’est le nom qu’il communiqua à l’appui au sol qui assistait médusé à la chute de l’objet), le vent relatif retourna violemment la cuvette qui frôla la carlingue de l’appareil, exposant le pilote à une dangereuse collision. S’il n’y avait eu de nombreuses photos prises pour attester de la chose, 40 ans plus tard, des « spécialistes » auraient nié la réalité d’un tel acte, invoquant l’impossibilité technique, la rigueur de la discipline militaire, le risque inconsidéré pour le pilote, l’absurdité militaire d’un tel geste ET l’absence d’archives sur ce fait. Cet acte occasionna une sanction pour l’intéressé, le film fut saisi, mais les nombreuses photos réalisées par les tiers s’exfiltrèrent de l’armée pour nous parvenir jusqu’à nous. La guerre terminée, Stoddard et ses complices, retirés de l’armée, ne cachèrent jamais leur haut fait d’armes… L’affaire des bombes en bois participe exactement de la même démarche que celle de Stoddard (De l’ironie élégante en pleine guerre) mais avec bien plus de facilités et moins de risques pour ces pilotes de 20 ans qui voulaient se payer la tête de l’ennemi à bon compte.
Concernant la thèse Benamou pour laquelle vous m’interpellez (largage opérationnel de bombes en bois par des services anglais dans le cadre de la Psywar), l’explication du mutisme anglais est un peu plus complexe à interpréter. Apparemment l’UPC (Underground Propaganda committee, branche du Political Warfare Executive qui avait en charge les mesures de guerre psychologique à Londre) avait avancé l’idée dès janvier 41 de propager cette rumeur des bombes en bois, mais cette option avait été abandonnée officiellement « pour ne pas exposer les sources » (ce qui veut donc bien dire : « Nous avions envisagé de larguer « concrètement » des bombes en bois sur des « sites précis » pour bien promulguer la rumeur, mais cette tactique exposerait dangereusement nos sources d’information » ). Cependant, cette même idée aurait été reprise à partir de 42/43 par le SOE (c’est ce qu’affirment mes témoins résistants et Jean-Pierre Benamou) tant il était patent qu’il n’y avait plus aucun risque pour les sources concernées. Pour autant cette reprise de propagation d’une rumeur sur les bombes en bois, appuyée bien évidemment par des largages réels, aurait occasionné un désaccord entre services au plus haut niveau, notamment entre le War Office et le SOE qui disposait d’une grande autonomie d’action. Le problème n’était plus d’ exposer les sources d’information, mais d’exposer l’image de marque de la RAF. La guerre n’est pas un jeu, on ne s’amuse pas à moquer l’ennemi quand il y a tant d’hommes qui exposent leur vie… Churchill qui avait créé le SOE, (et qui adorait d’ailleurs citer l’anecdote des bombes en bois !) n’aurait pas tranché le litige, laissant les uns agir à leur guise dans le droit fil d’une tradition très britannique où la main droite ignore ce que fait la main gauche, quand elle ne lutte pas contre. Quand en 1946, le SOE fut dissout et 90 % de ses archives détruites, il ne restait plus que la voix du War Office pour donner la version officielle du sujet.
Bien à vous tous. Cordialement
Pierre-Antoine Courouble