Je prendrais plus au sérieux mes contradicteurs de ce fil, et serais sinon ébranlé, du moins troublé par leur nombre, leur diversité et leur qualité, rares en ce lieu (
Non, TT très tronqueur, ce n'est pas un nouvel accès d'immodestie ! Je veux dire simplement que d'habitude on ne se met pas autant en frais ni en nombre pour me contredire), s'ils me reconnaissaient au moins un mérite : celui de poser la question d'une manipulation hitlérienne et de faire des couacs dans un concert qui a consisté pendant des décennies à prendre la parole nazie au premier degré pourvu qu'elle fût auto-accusatrice, ou présentable comme telle.
Car il y a tout de même une chose que personne ne pourra nier : c'est assez récent de présenter Hitler comme un acteur. Par exemple, des biographes les plus célèbres, Kershaw est le premier (mais il reste, à mon avis, au seuil des conséquences à en tirer).
Je signale aussi à toutes fins utiles que sur ce chapitre, depuis ma propre bio, j'ai bougé (mais si, mais si !). Dans ce livre -et dans l'élan de la découverte- je le présentais effectivement un peu trop comme "omniscient". L'étude de ses relations féminines, en 2003-2004, m'a rendu plus sensible à ses fragilités, son irrationalité, son mysticisme, son "contrat avec la Providence" -que tant de truchements féminins renouvellent à chaque pas- et son goût du pari. Mais il y a là plutôt un enrichissement de la palette qu'une incitation à le voir moins manipulateur.
Une fois de plus (ces temps-ci je le fais plutôt sur le fil ci-contre "pacte germano-soviétique", ou encore dans la défense de mon livre sur Mandel) je souhaiterais qu'on en finisse avec le culte exclusif de la trace écrite : "Il y a des témoins de sa colère à l'annonce de l'ultimatum anglais, il n'y en a pas de sa joie, pourquoi chercher plus loin?". Je répéterai ici, avec la vanité qui me caractérise, cette trouvaille ci-dessus : pourquoi faire profond quand on peut faire superficiel ?
Le temps travaille pour moi ! Essentiellement parce qu'un astre mort a travaillé et que sa lumière nous parvient maintenant, j'ai nommé Joseph Goebbels. Son immense journal, lentement lu et assimilé par les ténors de l'hitlérologie, montre à la fois des manips dont il est partie prenante... et d'autres dont il est victime -à commencer par l'incendie du Reichstag.
On élève aussi contre mon propos une autre digue, tout aussi fragile : la difficulté de prouver ce qu'il a pensé, et d'établir dans quelle mesure ses adversaires réagissent vraiment à ses impulsions, et non aux leurs. Certes, c'est là tout le problème ! Faut-il renoncer pour autant ? C'est bien le cas de citer l'adage suivant lequel les combats non livrés sont les plus sûrement perdus. Car enfin beaucoup d'objections se ramènent à dire que son intelligence aurait à être prouvée... mais sa connerie, non !
Après ces généralités, un exemple s'impose, non pas en soi, mais pour épargner une erreur à ceux qui seraient tentés d'arguer que je ne sais aligner que des généralités. Je prendrai celui de la différence entre 1938 et 1939, parce que justement il me paraît avoir une grande force de preuve de ce qu'il faut démontrer.
Hitler a dit à maintes reprises, et quasiment tout le monde l'a pris au premier degré (sans exception, je crois, jusqu'aux approches de la fin du siècle -y compris moi en 1993 dans
Churchill et les Français), qu'il regrettait que les lâches de Munich l'aient empêché de commencer la guerre en 1938. Si on admet cela, c'est vrai qu'ensuite on va avoir du mal à concevoir qu'il prépare son affaire méthodiquement depuis 1933, et on va avoir une fichue tendance à le prendre pour un brouillon, qui fonce à l'instinct. Car enfin il aurait risqué la guerre avec deux fois moins de divisions blindées, dix fois moins entraînées (et fort piteuses lors de l'Anschluss), une URSS hostile, une Tchécoslovaquie gonflée à bloc et consciente du caractère vital du soutien soviétique, une Belgique à la neutralité encore fragile (que Munich va ô combien renforcer), une Luftwaffe pas prête du tout, etc., etc. ...
... et pour cet abruti ce serait la même chose que de la faire contre une France et une Angleterre discréditées par Munich, détachées de l'URSS, avec des Tchèques non seulement réduits à l'impuissance mais produisant des chars pour lui, des Polonais aux dirigeants antisoviétiques et longtemps complices du nazisme, etc, etc !
Oui, la comparaison des deux situations a une forte valeur de preuve et invalide tous les discours nazis contraires, pris docilement au premier degré : dans un cas on ne cherche qu'à franchir une étape vers la guerre, en laissant soigneusement ouvertes les portes d'une négociation de dernière heure. Dans l'autre, on commence par verrouiller ces dernières en suscitant une garantie franco-anglaise à la Pologne.