Post Numéro: 16 de tagnon 28 Déc 2003, 17:46
Bonjour,
Voici quelques précisions et un complément de rectificatif.
Les sites d'extermination étaient au nombre de 4, tous dans l'Est de la Pologne: Chelmno, Belzec, Sobibor, et Treblinka. Il ne s'agissait pas de "camps", car ils étaient voués à la tuerie immédiate des déportés - juifs - qui y arrivaient quotidiennement. Rien n’était prévu pour les héberger, et seuls les y attendaient les chambres à gaz (sauf à Chelmno: camions à gaz) et les fours crématoires, très efficaces: de la descente du train (ou l'embarquement dans les camions) au déversement des cendres: 4-6 heures, parfois plus selon l'encombrement et la météo... C'était les usines de la mort, et n'y séjournaient que des gardes, des officiers, et les manutentionnaires eux-mêmes le plus souvent des déportés en sursis. Il ne reste rien des installations, que les nazis ont détruites après leurs 1ers revers à l'Est, vers 1942-3. Aujourd'hui, les sites, parcimonieusement signalisés, ne sont marqués que par un monument. La vision de ces lieux, au bout du monde (actuelle frontière Pologne-Ukraine et Belarus), désertiques et quasi à l'abandon, fréquentés par de rares pèlerins, porteurs de bougies commémoratives, muets et souvent en larmes, est insoutenable.
Auschwitz et Majdanek étaient des camps "mixtes", voués à l'extermination des Juifs, mais en les tuant par le travail, ou plutôt l'esclavage, par les mauvais traitements, et par les privations plutôt que par la liquidation d’emblée. Dés leur arrivée, les déportés étaient triés selon qu'ils étaient aptes au travail, qui séjournaient dans le camp jusqu'à ce que mort s'ensuive, ou inaptes (la grande majorité), qui étaient gazés et brûlés aussitôt. On connaît les images. Aujourd’hui les 2 sont devenus de gigantesques et atroces musées de l'Holocauste, à vocation - louable et nécessaire - d'éducation de masse, au prix d'une ertaine "aseptisation", si l'on veut bien me pardonner ce terme combien impropre mais qui se veut tout sauf irrespectueux.
S'agissant de Auschwitz, cette dénomination recouvre en fait un complexe de plusieurs dizaines de sites de déportation, regroupés autour de 3 installations principales à proximité de la petite ville industrielle de Oswiecim. Le 1er était Auschwitz I, construit dés mai 1940, à vocation carcérale et d'expérimentation pseudo-médicale. Ensuite (oct 1941) vint Auschwitz II ou Auschwitz-Birkenau, voué au travail forcé des déportés tant qu'ils pouvaient être utiles à l'effort de guerre du Reich, et à leur extermination ensuite. C'était le plus vaste des 3. Enfin, l'exigence de main d’œuvre de l'industrie allemande fit installer Auschwitz III, aussi appelé Buna, ou Monowitz, site de fabrication de carburant et caoutchouc synthétiques. Ces 3 sites n'étaient distants que de 4-10 km.
Enfin, les camps de concentration (Dachau, Buchenwald etc…) étaient destinés à rassembler les déportés politiques ou qualifiés de dangereux pour le Reich, ou simplement indésirables. Ils ont vu le jour dés les années 30, avaient une vocation carcérale et donnaient lieu à mauvais traitements, atrocités et tueries, mais ne faisaient pas directement partie de l'instrument d'extermination à grande échelle.
À côté de ces lieux tristement célèbres, il y avait les innombrables camps de prisonniers de guerre, dispersés dans la Grande-Allemagne. Pour les captifs Français, Anglo-Américains et d'Europe de l'Ouest, les conditions y étaient à moitié (par comparaison, et une toute petite moitié) vivables, tout en comportant cruauté, sévices et privations, surtout à la fin de la guerre. Par contre, le traitement réservé aux prisonniers Russes et sur le front de l'Est était abominable, et a constitué une forme d'extermination déguisée.
Je reviens à la question délicate de l’antisémitisme en Pologne occupée. Ce sujet mérite à lui seul un forum. Il est certain que cette forme de pensée est très ancienne, et qu'elle était très banale en début de siècle, particulièrement là où la population Juive était nombreuse (Europe Centrale mais aussi USA) et là où elle formait - ostracisme oblige - des communautés plus fermées et plus isolées. Le développement agressif - éliminationniste - de l'antisémitisme en Allemagne nazie, et son aboutissement à ce que nous appelons maintenant l'Holocauste reste unique et incompréhensible. Néanmoins, ce qui s'est passé dans d'autres pays ne peut être passé sous silence, et en Pologne, à côté d'actions charitables nombreuses mais isolées, il y a eu bien des complaisances vis-à-vis de l'entreprise nazie contre les Juifs. De plus, en détruisant les usines de la mort, les nazis ont non seulement voulu faire disparaître les preuves de leurs crimes, mais surtout effacer jusqu'à la trace des populations exterminées. Ils y ont bien réussi: il ne reste en Pologne que 5000 Juifs, et guère de témoins, architecturaux ou culturels, de leur présence passée. En 1945, la population, délivrée de l’occupant, a accepté sans sourciller et sans poser de questions – il y a eu de nombreuses exceptions individuelles, mais je parle du gros de la population et des autorités – que leurs concitoyens juifs avaient disparu à tout jamais. Après la libération du pays, l'antisémitisme y a connu une sorte de libre-cours quand des déportés ont tenté de regagner ou de reconstituer leurs communautés détruites, et de récupérer leurs biens, appropriés par leurs anciens voisins. Ces faits, honteux et inadmissibles, ont été passés sous silence pendant les années du communisme. La Pologne n’a rien fait, ou si peu, pour réhabiliter ni même dénoncer la destruction d'une communauté de 3.5 millions de personnes d’avant guerre, du moins jusqu'aux toutes dernières années, EC oblige. En même temps il faut se rappeler que l'occupation de la Pologne démembrée en 1939 a été des plus dures, et qu'après les Juifs, ce sont les Polonais qui ont le plus souffert du nazisme. A chacun donc de mettre en balance, avec objectivité et avec modestie, l'antisémitisme et les souffrances de la Pologne.
Pour ma part, je terminerai en citant – traduction libre – le commentaire d’une ancienne détenue, dans le registre des visiteurs (on n’oserait pas dire le livre d’or) d’Auschwitz: «Il y a tout de même une chose que j’ai en commun avec les nazis: eux comme moi faisons partie de la race humaine». Elle voulait dire que ce sont des hommes, et non des bêtes ou des machines, qui ont commis ces crimes innommables, et que rien ne permet de croire que d’autres hommes, ailleurs, dans d’autres circonstances, ne pourraient pas un jour faire la même chose. L’histoire récente, tout près de nous en Europe, et aussi dans d’autres continents, montre combien cette prophétie est tristement fondée, et combien le devoir de mémoire est un devoir concret.
Amicalement et en espérant des réactions
Alain