Post Numéro: 10 de Vincent Dupont 04 Juin 2009, 15:20
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La formation des premières Brigades légères mécanisées…
Nous allons maintenant poursuivre le cheminement de la carrière de Touzet du Vigier, en abordant son passage à Reims, où il rejoint le 18ème Régiment de Dragons, commandé par le colonel Evain. Sa tâche va y être multiplée et nous allons donc étudier les principales fonctions qu’il est amené à occuper dans le cadre de cette affectation. Tout d’abord, il convient de préciser l’atmosphère qu’il règne alors dans la Cavalerie. Les brigades légères mécaniques commencent à se former, le concept de la Cavalerie mécanisée ayant pu percer, son utilisation en Grandes Unités devient possible à imposer, encore faut-il le prouver avant de les insérer dans la stratégie française, comme nous le verrons plus loin. Il faut également en faire une arme capable, avec des moyens et une tactique d’emploi qu’elle maîtrise. Du Vigier va s’attacher à répondre à toutes ces questions, à son niveau bien sûr, avec tous les penseurs de son époque. En effet, la mise en place des unités mécanisées au sein de la Cavalerie, nous avons commencé à le voir, est difficile. Les expérimentations auxquelles du Vigier participa en 1932, 1933, ont eu pour but de montrer la supériorité tactique d’une brigade motorisée dans les missions qui sont celles de Cavalerie, face à une brigade montée. Du Vigier fut le chef d’Etat-major de la brigade motorisée « d’essai » pour ainsi dire, durant ces manœuvres. La brigade qui était alors utilisée était celle entrant dans la composition de la division de Cavalerie mixte de type 1932 ; et cette brigade, c’était celle de Reims, que Du Vigier venait de rejoindre. Il ne faut donc pas que le lecteur s’étonne que, d’un parcours difficile où les chevaux sont encore très présents, du Vigier se retrouve à la tête d’une unité composée entièrement de chars. Cet exemple est alors unique en France et c’est ce qui fait sa particularité. Du Vigier prend donc la tête de deux escadrons, un de chars moyens et un autre de chars légers, cette composition ne variera presque pas dans l’organisation des régiments de combat de Cavalerie en 1940, comme celui que du Vigier mènera en Belgique, le 2ème Cuirassiers. La mise en place progressive des brigades légères mécaniques, à l’image de la première que du Vigier rejoint, ne s’est donc pas faite facilement. La division légère motorisée de Reims, « mécanique » comme on l’appelait depuis les expérimentations, ne fut reconnue comme telle qu’en 1935, pour avoir à sa tête le général Flavigny, « l’apôtre de la mécanisation de son arme » comme on a coutume de l’appeler. La reconnaissance des BLM-DLM ne pu se faire également qu’en admettant sa force sur le plan tactique et c’est ainsi qu’en 1935, alors que du Vigier sera toujours au 18e Dragons, une notice provisoire fut rédigée sur « l’emploi des unités motorisées et mécaniques de la Cavalerie » . Cette notice fit avancer les choses, car elle se démarquait pour une fois de la définition commune cheval-moteur qui régnait alors sur le règlement de la Cavalerie. Elle définit l’emploi offensif des blindés de Cavalerie, traçant ainsi la voie à la place que ceux-ci tiendront dans le règlement de la Cavalerie en 1939 comme nous le verrons dans le chapitre suivant.
Les difficultés de mise en place des « Divisions Légères Mécaniques » pour aller vite, – car l’aboutissement de cette évolution de la Cavalerie par la formation des BLM est la création officielle, en 1935 de ce type de GU au sein de l’armée française – ; Ces difficultés, donc, ne sont pas que d’ordre doctrinales, mais elles sont également d’ordre technique. En effet, la Cavalerie, admettant, comme nous l’avons vu, le développement nécessaire de ce qui était alors appelé les automitrailleuses de Cavalerie, eut des difficultés à choisir les modèles d’automitrailleuses ayant les qualités requises pour remplir ses missions. Les crédits manquèrent, ceux destinés aux études et essais ne connurent une hausse qu’en 1934 . Dès 1931, le général Weygand, nous l’avons vu, avait défini les trois types d’engins blindés dont la Cavalerie aurait besoin : l’Automitrailleuse de Reconnaissance (AMR), l’Automitrailleuse de Découverte (AMD) et l’Automitrailleuse de Combat (AMC). Les prototypes de ces types d’engins, autant que les crédits le permettaient, furent assez vite désignés, ce qui permit à la Cavalerie d’avoir ses automitrailleuses et chars, bien que les crédits, les longs essais, ne permettent pas d’en commander plus promptement. L’AMD Panhard 178 se désigna rapidement, dès 1933, alors qu’elle n’était qu’au stade de prototype, pour devenir l’automitrailleuse que les régiments de découverte des DLM et les GRDI et GRCA utiliseraient dans la campagne de France, remplaçant ainsi l’AMD White-Laffly. Le programme des AMR eut plus de soucis, Renault multipliant les modèles. La « perfection », en revanche, fut atteinte avec le Somua S 35, dont les essais se firent à Reims, par le 18e Dragons, du Vigier participant aux côtés du général Flavigny, à la validation de ce qui deviendra alors LE char de Cavalerie français, produit en série et en dotation dans les DLM en 1940, aux côtés du H 35-39, testé lui aussi devant lui. L’arrivée du Somua à Reims est rapportée par le futur lieutenant-colonel Baillou : « Nous vîmes donc un beau jour arriver au quartier une imposante machine peinte en noir […]. La "bête" vira avec une étonnante facilité devant le bureau du colonel Evain avant de s’immobiliser, aussitôt entourée de curieux. […] Nous avions devant nous le char dit "de Cavalerie" que nous attendions et qui devait par la suite se révéler le meilleur engin de combat de sa génération.» C’est le groupe d’escadrons commandé par du Vigier qui se chargea de ces expérimentations, il préconisa que d’emblée le S 35 du être testé à Sissonne, et non des maquettes en bois « qui faussent les données tactiques et qui s’avèrent trop onéreuses » . On lui fut reconnaissant par la suite de cette clarté de vue.
Du Vigier développa, d’abord à Saumur, puis au 18e Dragons et plus tard au Centre d’Etudes Tactiques Interarmes, en étant de toutes les manœuvres et de toutes les expérimentations, des liens avec le général Flavigny, qui conduisirent d’ailleurs à la présence de du Vigier dans la commission de rédaction du règlement de la Cavalerie. Directeur de la Cavalerie de 1931 à 1936, c’est Flavigny qui à pesé de tout son poids en faveur de la motorisation, montrant les avantages des unités motorisées au camp de Mailly en 1932, à Reims en 1933, du Vigier en maître d’œuvre sur le terrain. C’est ainsi qu’il prit tout naturellement le commandement de la 1ère DLM à Reims, anciennement 4ème Division de Cavalerie, après avoir fait signer au ministre de la Guerre la création de cette unité ainsi que le programme prévoyant la création de deux autres unités de ce type. La 1ère DLM à laquelle du Vigier appartenait maintenant poursuivit son entraînement par des manœuvres montrant sans cesse les avantages d’une telle unité, en 1935, de l’Aube aux Ardennes, en 1936, en infiltrant la ligne Maginot, partant de la frontière à Sierck et se frayant un chemin jusque Thionville.
Après avoir vu les difficultés de la mise en place des brigades légères mécaniques, et en premier lieu de celle que du Vigier rejoint, unique en son genre, fruit de la transformation progressive de la 4e Division de Cavalerie en unité mécanique, nous allons nous pencher sur la nécessité d’enseigner le fonctionnement de ces unités nouvelles. En effet, pour comprendre le fonctionnement tactique de ces unités et en faire admettre l’importance, il faut enseigner cette « nouvelle parole », la professer, tant dans la Cavalerie que dans le autres armes, appelées tôt ou tard à participer aux côtés des chars à des opérations interarmes. Voilà pourquoi du Vigier se porte volontaire pour réaliser des conférences, qu’il fera d’ailleurs durant tout son temps à Reims, qui était alors une bouillonnante ville de garnison où toutes les Armes se côtoyaient, ce qui facilitera le rapprochement et la compréhension. « Désigné pour entretenir cet auditoire de la profonde transformation en cours de la Cavalerie et des conséquences qu’elle entraînerait dans la forme même de la guerre » , ses conférences allaient porter sur des sujets précis comme sur des sujets d’information générale. Bref, le « professeur » allait encore démontrer sa valeur en exposant ses idées et ses connaissances. On sait par exemple quelle importance l’aviation allait avoir dans le prochain conflit, que la place de l’avion aux cotés du char était inévitable. Du Vigier fit donc des conférences en ce sens, sur le couple char-avion. Reims étant le siège d’une importante base aérienne, il y retrouva des connaissances, anciens cavaliers qui avaient préféré changer de monture plutôt que d’être fantassin. Toutes les nouveautés en matière militaire circulaient abondamment et du Vigier les adaptaient en cours, chacun sachant que la guerre de mouvement reviendrait et qu’il fallait se tenir prêt, dans chaque Arme. C’est ainsi que dans les archives privées du futur général du Vigier, nous avons pu retrouver un rapport émanent du centre d’expériences aériennes militaires, rapport sur la coopération de l’aviation avec la Division Légère Motorisée . La moindre des choses est de dire qu’il ne perd pas de temps quand on sait que ce rapport a été rendu le 18 septembre 1934, alors que du Vigier n’est à Reims que depuis deux semaines. Il s’intéresse donc au couple chars-avions et à leur emploi sur le terrain.
Les problématiques que du Vigier va soulever, à sa prochaine affectation notamment, à Versailles, sont des questions de transmissions, à la base de la coopération entre les blindés et l’aviation. A la base d’une offensive coordonnée, même uniquement au sol, il faut un lien direct entre la découverte et les gros de l’unité, afin d’orienter au mieux l’engagement à venir. Tout repose sur les transmissions également, dans le cours que du Vigier prépare sur la coopération entre l’aviation et la DLM : « la nécessité pour l’avion de communiquer avec des éléments constamment en mouvement, la nécessité de la rapidité de la transmission des renseignements, étant donné l’urgence de leur exploitation » sont des facteurs primordiaux. Des missions d’accompagnement sont faites, à Mourmelon, en liaison avec l’aviation, pour définir les difficultés que rencontre encore un tel binôme. Bref, c’est la nécessité d’étudier l’aptitude de l’aviation à remplir les missions de la Cavalerie à ses côtés que du Vigier soulève. Voici un cours bien passionnant, quand on sait que c’est ce binôme qui causera la perte de l’Armée française six ans plus tard, mais il réalise d’autres « exposés » comme les qualifie son fils dans son récit, qui « intéressaient beaucoup un auditoire nombreux et valurent à mon père, outre les félicitations de ses supérieurs, un début de renommée en dehors de son Arme. » Ce que confirme de nombreuses fois sa notation comme celle qu’il reçoit du général Mordacq en 1935 : « Officier supérieur remarquable, ayant le don de l’enseignement, un jugement clair, unissant le tact et la modestie aux plus lucides ou solides qualités de chef. »
Nous avons détaillé quelque peu un de ces cours, inutile de donner la contenance des autres, si ce n’est leur titre, qui est évocateur dans la réflexion que les auditeurs doivent faire : Physionomie de l’attaque combinée engins blindés-dragons portés ; la Pologne (aperçu historique, points faibles, points forts, relations avec la France) ; le rôle de la Cavalerie au début d’une guerre de coalition (le corps Sordet en Belgique en août 1914, emploi hypothétique d’une DLM dans des circonstances analogues) ; escadres aériennes, maritimes et terrestres ou encore la notion de « spécialiste » . Pour finir sur cette partie « enseignement » de du Vigier au 18e Dragons, l’on peut citer l’ordre général n°37 du 15 octobre 1935 émanent de la place de Reims qui le remercie de ses services : « […] témoignage de satisfaction à l’ordre de la Division : au chef d’escadron Touzet du Vigier du 18e Dragons pour le motif suivant : « Désigné pour diriger les cours de Garnison de la Place de Reims, s’est donné à sa tâche avec infiniment d’intelligence et de dévouement. Grâce à son ascendant sur ses Officiers professeurs et à ses conseils éclairés, a obtenu d’excellentes résultats ». Voilà qui fait encore un bon bilan de la qualité de son enseignement.
Mais Touzet du Vigier du se consacrer également à l’instruction de ses propres hommes, parallèlement à ses conférences pour la garnison. Car la vérité était que les hommes ne faisaient pas corps avec leurs engins comme ils faisaient corps avec leur cheval. Et ce fut la mission que du Vigier se fixa, pour que les hommes sachent s’attacher à leur matériel comme jadis au cheval, et ainsi posséder un meilleur moral au combat, et un matériel entretenu. Il faisait également attention en tant que chef de corps, à maintenir un contact humain, « contrepartie indispensable à la rigueur de la discipline en service » . Comme nous venons de l’expliquer, le chef d’escadrons du Vigier attache une grande importance à ce que les hommes connaissent leur matériel, qu’ils sachent le préserver, l’entretenir, et non pas le considérer comme un outil sans intérêt. L’entretien et l’instruction furent donc ses principaux chevaux de bataille quant aux chars. La vision qu’il transmit à ses hommes était donc de considérer leur véhicule ou engin blindé comme l’on considérait son cheval auparavant : « Les cavaliers ont toujours eu l’habitude de faire passer en priorité les soins à leurs montures avant leurs propres besoins – le récit de la reconnaissance de septembre 1914 en est un témoignage frappant –, il faut en faire autant pour les véhicules motorisés. » avait indiqué du Vigier. Cela permettait de plus aux hommes de ne pas se contrarier du changement de monture si l’on peut dire ça ainsi, et reporter leur attention sur leurs engins. L’exemple de la reconnaissance que Touzet du Vigier fit en 1914 est en effet un exemple éclatant car les cavaliers pensèrent d’abord à se procurer de l’avoine et de l’eau, de quoi soigner leurs chevaux, avant de penser à eux, et c’est ce que veux du Vigier : penser à la logistique nécessaire à l’entretien des véhicules, aux produits d’entretien, aux outils de maintenance, au carburant . Certes, ces données sont plus contraignantes que pour le cheval dont le nécessaire était plus facile à trouver en campagne, mais la Cavalerie continue d’évoluer vers la modernité, pas à pas. Et l’adage se vérifie également avec les blindés dans une campagne : qui veut aller loin ménage sa monture… Ses principes d’instruction semblent d’ailleurs être approuvés si l’on en croit la notation que lui remet le général Villemont, commandant la place de Reims, en 1935 : « Excellente acquisition à tous égards pour son régiment. Grosse valeur, extrêmement complet.»
Pour ce qui est de l’instruction du personnel , force est de reconnaître, n’en déplaise aux cavaliers, qu’il est plus facile d’instruire le personnel dans la conduite de véhicules que de former à l’art équestre. Ce dernier nécessite beaucoup plus de temps en effet, avant d’atteindre un niveau où les cavaliers peuvent utiliser leur cheval comme ils veulent. Cela dit, la majorité des hommes n’étaient pas coutumiers de l’utilisation des automobiles, et encore moins des chars, l’instruction devait donc être également laborieuse. « La formation comportait aussi le travail en équipage, le tir, le dépannage, etc. » , et la proximité des champs de tir de Mourmelon favorisait l’entraînement de ces hommes.
En septembre 1936, du Vigier quittait le 18e Dragons, y ayant œuvré pour l’instruction de ses hommes, de la garnison, à ouvrir les yeux sur le processus de mécanisation qui se passait alors au sein de la Cavalerie. Il a aidé à déterminer, également, les modèles de chars dont la Cavalerie disposerait pour ses missions. Bref, son travail allait se poursuivre ailleurs, mais sa conviction était qu’il fallait que les unités de Cavalerie soient prêtes, la perspective d’une guerre étant proche.
Vincent
"L'ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent ; elle compromet, dans le présent, l'action même."
Marc Bloch
Fusillé par l'occupant le 16 juin 1944