A mon avis, les démocraties occidentales auraient eu du mal à se remettre d'un retour en force de l'Allemagne. Les Anglais, qui arrivaient mine de rien au bout de leurs ressources en hommes, seraient sortis très diminués de l'opération. Le moral ne fait pas tout, si on n'a personne pour repartir à l'assaut on peut difficilement continuer une guerre ou la reprendre à court terme.
Les Américains avaient de toute façon autre chose à faire que de se battre en Europe, leur opinion publique est plus intéressée par les Japonais que par les nazis. Après tout il est plus facile de haïr un ennemi petit, bridé, jaune, mangeur de petits enfants et dont la religion est aux antipodes de la sienne qu'un ennemi grand, blond, aux yeux bleus, qui a de forte chance d'être votre ancêtre et qui peut avoir les mêmes idées que vous (anticommuniste et raciste : le KKK faisait des scores faramineux avant guerre...). Donc il y a fort à penser que finalement une guerre sur un front, du côté du Pacifique, aurait arrangé par mal d'américains.
En France, Doriot reste un ultraextrémiste sans envergure. Il n'a jamais réussi à atteindre les scores de popularité du vainqueur de Verdun, et peut profiter de la guerre pour se faire un nom. Mais qu'il prenne la place du Maréchal est impossible, Laval est là pour ça et les Allemands le savent très bien. Les Français eux-même, à l'exception de De Gaulle, qui se serait encore enfui à Londres, auraient fini par se résigner. Après six ans de guerre, tout le monde aspirait à la paix, et le retour de balancier inattendu aurait provoqué la destruction de toute la structure de commandement de la Résistance : les chefs, qui ont été connus à la Libération, auraient été dénoncés, arrêtés, torturés, déportés et exterminés. Une sorte de contre-règlements de comptes en quelque sorte, les Résistants de la dernière heure, qui n'en étaient pas à leur premier retournement de veste, se transformant en collabos de la première heure. Le reste de la population crevait de faim, les destructions causées par la reconquête allemande et la situation catastrophique du ravitaillement en Allemagne suite aux bombardements alliés auraient rendu le rationnement encore plus insupportable, dissuadant les plus hardis de chercher à se révolter. Comme je l'ai dit plus haut, on ne se révolte pas quand on a le ventre vide. Quant à la France Libre, ce qui en serait resté après la seconde débâcle aurait été une patate chaude que se seraient passés les Anglais et les Américains, pressés de s'en débarrasser pour ne pas précipiter la future confrontation avec le Reich.
Pour la destruction de l'industrie française, il est vrai qu'il s'agit là de plans hitlériens à long terme. La plupart des historiens admettent qu'il s'agit là de l'application des théories de Hitler pour l'après-guerre, mais je n'ai pas sous la main les documents afférents à cette thèse. Appel aux autres membres est donc lancé pour confirmer ou infirmer ! Cependant, ces idées sont juste dans la mesure où l'extension territoriale à l'Est est un succès, l'Allemagne voulant déplacer le centre économique de l'ouest vers le centre-est européen (voir le chapitre sur l'après-guerre dans l'atlas du IIIe Reich, dont j'ai déjà parlé dans la bibliothèque du forum). Ici le problème est différent : si l'Est se limite à la partie occidentale de la Pologne, l'industrie française bénéficie pour un temps d'un regain d'intérêt du fait de son importance stratégique. Mais il ne faut pas douter qu'à terme elle sera démantelée au profit des industries du Reich et de la Scandinavie. Il ne faut pas oublier que l'économie elle-même est gérée par hitler en fonction de ses théories raciales : les Aryens ont tout, les Untermenschen rien, entre les deux les Aryens croisés avec des peuples allogènes que sont les Français, Anglais et Italiens ont droit à quelques miettes. Les Juifs quant à eux, en tant que deuxième race supérieure (et non inférieure, d'où le danger aux yeux des nazis) ennemie éternelle des Aryens, sont exterminés. Donc à court, voire moyen terme, en effet l'industrie reste en place. Après...
A l'intérieur du Reich, je partage l'analyse de Enrico. Je me suis souvent posé la question du devenir de l'Etat nazi après la Victoire et la mort de Hitler. Dans la situation qui nous préoccupe, le retournement militaire miraculeux et la paix auraient bénéficié une fois de plus à Hitler, resté dans le coeur de l'immense majorité des Allemands jusqu'a la fin 44 au moins l'image du sauveur, au contraire de ses suiveurs, détestés par tous ou presque. On peut imaginer le triomphe auquel il aurait eu droit quand on voit celui qu'il lui ont fait après la campagne de France... Les problèmes vont commencer pour le parti avec la disparition de la figure mythique du Führer. Comme cela a été le cas en Union Soviétique à la mort de Staline, une fois le chef mort, le système continue en roue libre. Les grands pontes du parti se seraient entre-déchirés, et finalement le régime aurait fini par s'amolir, pour s'écrouler quelques dizaines d'années plus tard suite à une intervention étrangère (toujours la troisième guerre mondiale, qui du fait de l'idéologie nazie était inévitable avec l'Est), ou tout simplement faute d'avoir un chef assez fort pour tenir le régime, qui aurait été renversé par les forces de l'économie et l'armée, comme en Union Soviétique. A cette échelle, on entre dans la pure spéculation. Mais le résultat aurait sûrement été le même qu'aujourd'hui en Russie : un semblant de démocratie durant quelques années, puis installation d'un pouvoir autoritaire à visage démocratique en remplacement de l'ancien système. Autrement dit on aurait troqué une dictature contre une autre.
Aaaah quel pied l'uchronie !!!
Bonne soirée,
Seb.