Post Numéro: 4 de Nicolas Bernard 29 Déc 2007, 04:16
Je crois qu'on aurait tort de limiter l'analyse du talent militaire de Hitler au seul domaine... militaire. Le dictateur raisonnait bien au-delà du champ de bataille, essayait de s'insinuer dans le crâne de ses ennemis pour mieux les manipuler, bref se fondait toujours sur une vision d'ensemble de la situation, laquelle échappait à ses généraux. Chez lui, tout est lié : armée, génocide, économie, religions, diplomatie.
Exemple ? La fameuse décision d'obliquer les Panzer sur Kiev en août 1941, qui lui a longtemps été reprochée. En vérité, et quoique audacieux, Hitler ne pouvait guère prendre le risque d'avancer sur Moscou en dédaignant les armées soviétiques d'Ukraine. D'un autre côté, il avait absolument besoin d'un triomphe militaire qui le mettrait en position de force :
1) vis-à-vis du peuple allemand, lequel se laissait aller à critiquer l'extermination des malades mentaux - or, c'est au même moment que Hitler mettait en marche l'annihilation des Juifs, et il a du suspendre la directive d'extermination... jusqu'en octobre-novembre ;
2) vis-à-vis des Occidentaux, pour décourager les Etats-Unis, qui tempéraient jour après jour leur neutralité ;
3) vis-à-vis de l'armée, qu'il fallait reprendre en main en douceur, pour lui rappeler qui était le vrai dirigeant ;
4) vis-à-vis des Soviétiques, enfin, en s'emparant de leurs ressources alimentaires, en conquérant une base de départ pour le pétrole caucasien, bref en préparant une guerre qui s'annonce plus longue que prévu, tout en déprimant davantage les peuples d'U.R.S.S. et en sécurisant la prochaine offensive sur Moscou.
Résultat ? L'Ukraine sera conquise, tout un groupe d'armées soviétiques anéanti, et le Volk plus que jamais enclin à croire aux vertus stratégiques de son "guide". De fait, le 8 novembre 1941, Hitler peut à nouveau relancer le processus d'extermination des Juifs d'Europe, suspendu depuis début août dans les zones situées hors des territoires soviétiques occupés, à commencer par le Grand Reich.
Autre exemple : la campagne de France. Contrairement à la légende, c'est Hitler qui a eu l'idée du "coup de faux" et - mieux encore - la mettra en pratique de telle manière que la manoeuvre sera totalement imprévisible pour le monde entier pendant la première semaine de la campagne, y compris même des généraux allemands, à commencer par Heinz Guderian.
Hitler, le premier, a songé à Sedan pour y effectuer une percée, en octobre 1939, mais il ne matérialisera définitivement sa volonté d'en faire le centre de gravité de l'invasion qu'après sa rencontre avec Von Manstein en février 1940. Au moins tient-il compte, envers et contre tous, de l'avis de ce brillant officier. Cela étant, c'est bel et bien Hitler qui imposera le "coup de faux", Manstein n'ayant rien prévu de bien précis après succès de la percée sur la Meuse. Afin d'adapter le mouvement des troupes à sa guise, le Führer a diaboliquement réparti les officiers requis aux postes clés : Guderian pour accélérer la marche, Kleist pour la ralentir. C'est que l'offensive militaire va s'accompagner d'une démarche politique visant à expédier à Londres et Paris des émissaires suédois chargés d'une mission de paix. En encerclant les armées alliées dans la poche de Dunkerque, Hitler espère s'emparer d'otages qui pousseront les Alliés à négocier une paix avantageuse qui lui permettra d'envahir l'Union soviétique.
Précisons pour finir que le concept du tandem char-avion a été appuyé par Hitler dès les années trente. En l'absence du Führer, jamais Guderian n'aurait réussi à vaincre les réticences de l'O.K.H., et notamment du Generaloberst Ludwig Beck, opposant acharné à Hitler... et aux idées développées par "Heinz le rapide".
En d'autres termes, la première réaction à avoir face à une décision apparemment irrationnelle de Hitler en matière militaire n'est pas de la lui reprocher, mais de se demander quel(s) intérêt(s) politique(s), diplomatique, économique, racialiste elle était susceptible de lui apporter.
« Choisir la victime, préparer soigneusement le coup, assouvir une vengeance implacable, puis aller dormir… Il n'y a rien de plus doux au monde » (Staline).