Post Numéro: 39 de Nicolas Bernard 19 Aoû 2007, 21:12
Une image vaut tous les discours du monde, non ? En tout cas, chapeau pour la trouvaille, Francis...
Pour ceux que le sujet intéresse, voir Alain Jaubert, Le Commissariat aux archives. Les photos qui falsifient l'histoire, éd. Barrault, 1986. Iconographie très riche, et excellente description technique des procédés employés par ces faussaires de l'image historique.
Reste la question centrale : quelles étaient les motivations des volontaires de la L.V.F. ? Ignoraient-ils la nature du régime qu'ils servaient ?
Il importe, au préalable, de préciser deux éléments :
1) L'initiative de créer la L.V.F. revint à l'ultra-collaborationniste Jacques Doriot, qui par arrivisme et radicalisme politique servit aussi bien Staline que Hitler (superbe biographie du personnage par Jean Paul Brunet, Balland, 1986), assisté d'autres leaders d'obédience fasciste, tels que Marcel Bucard et Marcel Déat. Pétain approuva cette décision le 4 juillet 1941 et les Allemands le lendemain. L'objectif était de collaborer à l'éradication du communisme (prétendument soutenu par la "juiverie internationale" dans l'imaginaire de ces tribuns) d'une part, et d'accentuer la collaboration militaire française avec l'Allemagne d'autre part, après l'échec de l'approche opérée au printemps par l'amiral Darlan. Le redressement national passait par la participation de la France à la guerre du Reich : Doriot et les autres croyaient ou feignaient de croire qu'elle en retirerait quelque bénéfice.
2) Les volontaires furent bien moins nombreux que ne le prévoyaient les créateurs de cette légion. Le collaborationniste Doriot, , et les autres créateurs de la Légion attendaient 15.000 hommes, Otto Abetz lui-même en espérait 80.000. Un bide : 8.000 à 9.000 personnes firent le déplacement, et pour cause de réticence de la Wehrmacht à intégrer des Français en son sein, seuls 3.650 furent retenus. La sélection médicale et politique était ainsi poussée à l'extrême par les militaires nazis.
Ce fait révèle que les Français en âge de se battre étaient fort peu nombreux à vouloir rejoindre le Front de l'Est, bien moins nombreux en tous les cas que ceux qui voulurent rejoindre le maquis dès l'année suivante. C'est donc que les motivations de ces adhérents à la L.V.F. étaient puissantes.
Elles étaient d'abord, pour beaucoup, politiques : entre le quart et le tiers des légionnaires avaient déjà milité dans un mouvement politique. La propagande des mouvements fascistes de Doriot et de Déat dans la L.V.F. fut d'ailleurs telle que les Allemands durent y mettre le holà en 1942, les incidents entre courants prenant parfois un tour violent (Pascal Ory, Les collaborateurs 1940-1945, Seuil, coll. Points-Histoire, 1980, p. 243-244)... Bref, l'idéologie avait son importance, et devenait fondamentale sitôt que Doriot et les autres entreprenaient de la diffuser parmi les autres. Ladite idéologie, faut-il le rappeler, était pro-nazie et antisémite, la L.V.F. devant devenir une émanation du collaborationnisme.
Cet "idéalisme" était en réalité un ralliement au national-socialisme, qui allait bien plus loin que le banal anticommunisme, ce dernier étant ici à coloration antisémite. Ainsi que l'écrivait un engagé, Marc Augier, rédacteur au journal d'extrême droite La Gerbe, son adhésion à la L.V.F. résultait de "la conviction que le national-socialisme apporte enfin à l'Europe la réalisation du socialisme. Pour cette réalisation, je suis prêt à conclure une alliance avec le diable lui-même." A cet égard, l'anticommunisme ne pouvait servir de motivation essentielle, car moult Résistants ressentaient une telle hostilité à l'égard de l'U.R.S.S. et du P.C.F. : en allant combattre l'Est, un pas était franchi. Pour le franchir, une dose de sympathie pour le nazisme, donc de haine pour les Juifs, était requise. Autrement dit, s'engager dans la L.V.F., chez ces militants, était moins une déclaration de guerre à Moscou qu'une déclaration d'amour à Berlin - mais de la part de la France, de "leur" France. Consciemment ou non. Si d'aucuns furent après-coup qualifiés de naïfs, le terme le plus approprié serait bien plutôt celui d'"irresponsabilité".
Et les autres ? Ainsi que le note Jean-Paul Brunet (Jacques Doriot, op. cit., p. 365), "la plupart, en cette période de chômage et de difficultés économiques, étaient attirés par les soldes : leur moyenne s'établissait mensuellement à 2.300 francs pour un soldat (3.000 francs avec la prime familiale s'il était marié), 5.000 francs pour un sous-officier, 10.000 pour un officier (un lieutenant touchait 7.000 francs, "le" colonel 19.000." Jean-Paul Brunet ajoute (op. cit., p. 366) : "aventuriers, marginaux étaient nombreux dans les rangs de la L.V.F., mais aussi les repris de justice dont Fernand de Brinon lui-même signale l'importance dans ses Mémoires et dont un rapport de police d'octobre 1944, avec une certaine dose d'exagération, évalue la proportion à 70 % de légionnaires." L'historien français relate également que "l'appât de l'argent suscita d'ailleurs des escroqueries caractérisées : des "volontaires" venaient signer un engagement sous un faux nom, empochaient la prime d'engagement, puis disparaissaient avant de reparaître parfois un peu plus tard sous un autre nom" (ibid.).
Ces escrocs, ces aventuriers, n'en savaient pas moins quel régime ils servaient. Les camps, le racisme, des lois de Nuremberg au Statut des Juifs, de la Nuit de Cristal aux enflammées antisémites de la presse collaborationniste, ils n'en ignoraient rien, et en attendant le génocide, une telle ségrégation, de telles dictatures n'en étaient pas moins insoutenables. Ils les soutinrent, cependant. Leur état d'esprit les prédisposait au cynisme.
« Choisir la victime, préparer soigneusement le coup, assouvir une vengeance implacable, puis aller dormir… Il n'y a rien de plus doux au monde » (Staline).