Post Numéro: 9 de panzer5 03 Avr 2007, 19:25
A mon avis pour bien comprendre le degré de "publicité" de la politique génocidaire allemande, il faut avant tout bien en saisir un de ses actes fondateurs, à savoir la conférence de Wannsee.
En juillet 1941, Heydrich est chargé par Göring de préparer la « solution finale de la question juive en Europe », ce qui signifie en clair l’extermination de plus de 11 millions de personnes. L'idée déjà annoncée dans Mein Kampf par Hitler est validée comme principe par le sommet du Reich. Il ne s’agit là que de la première étape d’un projet bien plus vaste. Le « Nouvel ordre politique racial européen », pour lequel Himmler fait préparer le « Plan Général Est », prévoit la « déportation » de 30 millions de slaves ; certains experts avancent même le chiffre de 50 millions.
Le 20 janvier 1942, jour de la Conférence de Wannsee, les exécutions de masse ont déjà été déclenchées depuis six mois en Union soviétique, les déportations ont commencé et Chelmno, le premier camp d’extermination, est en activité depuis six semaines.
A l'ordre du jour figure notramment le plan du génocide dans sa dimension européenne, les moyens techniques et humains à mettre en place ainsi que la méthode la plus efficace. Cette conférence marque la première rencontre au plus haut rang entre des délégués de la bureaucratie ministérielle et la SS. L’objectif de Heydrich, en tant que chef de la SIPO et du SD, est d’informer les participants de la mission que vient de recevoir le RSHA : affirmer son rôle dirigeant et s’assurer la collaboration de tous les Ministères, sans lesquels il lui serait impossible d’exécuter ses plans. Les participants n’ont pas à décider, leur rôle consiste uniquement à délibérer des conditions d’exécution d’une décision prise par Hitler.
Il est établi qu’à l’exception de deux secrétaires d’Etat, tous les présents sont au courant des déportations et des opérations de tuerie engagées à cette date. Les délégués de la SS y sont directement impliqués. Ceux qui ne savent pas encore tout, l’apprendront lors de la conférence. Heydrich s’attendait à des scrupules et à des objections de la part des représentants des ministères : il reçoit leur assentiment général pour son projet, et ils donnent leur accord pour collaborer à son exécution. On ne discute que de questions de détails.
Le délégué du Ministère des Affaires Etrangères propose que les déportations commencent dans les pays où elles pourront être mises en œuvre sans problèmes majeurs. Le secrétaire d’Etat du Ministère de l’Intérieur du Reich suggère qu’au lieu de les déporter, on procède à la stérilisation obligatoire des « Mischlinge » (individus de « sang » Juif et allemand). Le secrétaire d’Etat représentant le Chargé du Plan quadriennal demande que les ouvriers Juifs qualifiés des entreprises vitales pour l’économie de guerre ne soient provisoirement pas concernés. Et le délégué du Gouverneur Général de Cracovie souhaite vivement que la « solution finale » commence par les Juifs de Pologne.
Comme Eichmann le confirmera lors de son procès à Jérusalem, on parle ouvertement des différentes techniques d’extermination. Mais même les formulations volontairement voilées du procès-verbal, qui subit plusieurs rédactions, trahissent la terrible vérité pour le lecteur attentif.
Ma conclusion, et c'est ce qui fait froid dans le dos, concerne la forme de cette conférence. Elle est, de facto, une réunion de bureaucrates qui s'accordent pour une collaboration interministérielle, mettant à disposition de la solution finale tous les moyens techniques, logistiques et humains qui seront nécessaires à sa réalisation. Cette date est véritablement une clef pour la compréhension de la Shoah, on aperçoit déjà trés clairement que la question sera traitée de façon froide et administrative, obéissant aux mêmes règles qu'une production industrielle de masse; à l'exception du but annoncé à savoir une anihilation totale, tout comme l'est déjà la guerre.
Pour parler d'une connaissance réelle par le peuple allemand de l'holocauste, il faut prouver l'idée d'une responsabilité collective. Cette responsabilité collective a bel et bien existé et a été construite par le pouvoir nazi afin d'incriminer le peuple allemand. Pourquoi l'incriminer? Tout simplement pour qu'une fois que le Volk, pour reprendre le terme de l'époque, a pris conscience des horreurs commises en son nom, il ne puisse plus désavouer le régime en place. Les premières années, on peut effectivement concevoir que l'Allemand "de base" n'avait qu'une connaissance plutôt vague du sort réservé aux Juifs et aux opposants. Mais dans les dernières années, je réfute complétement la théorie qui dit que le peuple allemand était ignorant: l'économie tournait à plein alors que tous les hommes partaient au front, on remplissait des trains de prisonniers et ils revenaient vides, on aryanisait tous les biens et les entreprises des juifs...Il aurait fallu être aveugle pour ne pas comprendre. Cette prise de conscience est arrivée bien trop tard pour pouvoir permettre au peuple de se dédouaner de ces crimes, et c'est là toute l'habilité du régime nazi: avoir construit la responsabilité du peuple allemand suffisamment longtemps à son insu pour que le destin du peuple soit irrémédiablement lié à celui du régime.
Malgré tout, on peut voir un Himmler se donner la peine, fin 1943 et en 1944, de donner une serie de conferences a des auditoires de dirigeants du Reich où il leur explique cruement ce qu'il se passe et ce afin de les rendre complices alors que la guerre tourne mal.
6 octobre 1943, Posen, avec les Gauleiters et les Reichleiters.
16 decembre, Weimar, les amiraux.
5 mai 1944, Sonthofoen, les generaux.
Puis d'autres, le 24 mai et le 21 juin, devant d'autres hauts responsables.
Il leur dit, entre autre, en parlant des Juifs :
"Nous sommes, voyez-vous, confrontes a la question "Que faites-vous des femmes et des enfants ?" Et j'ai decide, ici aussi, d'adopter une solution sans equivoques. Car je ne trouvais pas justifie d'aneantir - C'est a dire de tuer ou de faire tuer - les hommes tout en laissant grandir les enfants et les peits enfants [...] Il a fallu prendre la terrible decision de faire disparaitre ces gens de la surface de la terre".
Himmler s'etale ensuite sur "l'abnegation" des courageux camarades SS charges du travail puis demande a l'auditoire de tenir cela secret. Ce qui est du pipeau, évidemment, il n'est la question que de raccrocher au règime en pleine "guerre totale" un maximum de cadres en les rendants complices.
Quoi qu'il en soit, il est clair que tous les cadres du règime étaient au courant ainsi, bien entendu, que leurs familles, leurs amis et leurs collaborateurs proches, ces gens ne se sont pas tus.
Et, à ma connaissance, il n'y eut guère de démissions après ces révélations...
Ces textes, tirés des "Discours secrets" de Himmler, Gallimard, 1978 et cites par F. Delpla dans son "Hitler", n'ont pas été utilisés à Nuremberg. Heureusement pour Speer... qui a bien entendu assisté à au moins une de ces conférences et mentait comme un arracheur de dents en pretendant a Nuremberg ne pas ëtre au courant !