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Présumé Jean Moulin...une nouvelle histoire de la Résistance

Venez nous présenter votre dernière lecture ou des ouvrages qui vous tiennent particulièrement à coeur. Parlons des dernières parutions concernant la seconde guerre mondiale. Une belle photo de la couverture est toujours la bienvenue...
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Nouveau message Post Numéro: 21  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 02 Fév 2007, 21:00

Tom a écrit::D Merci, Nicolas, pour toutes ces précisions assez convaincantes, il faut l'admettre.

Effectivement, au fond, pourquoi Barbie accuserait-il Hardy si celui-ci n'était pas coupable ? A ce sujet, il me semble, de mémoire, que Baynac (dont j'ai, en effet, rapporté quelques assertions) suggère que Barbie aurait voulu se venger d'un Hardy qui l'aurait dupé en lui livrant un plan de sabotage Fer périmé : il l'aurait alors fait désigner par Edmée Delétraz comme bouc émissaire afin, d'une part, de le faire abattre par la Résistance et, d'autre part, de dissimuler son véritable informateur.


En soi, c'est à dire prise isolément, l'hypothèse n'est pas stupide. Pourquoi ? Parce que Barbie n'agira pas autrement envers Raymond Aubrac, lequel, non seulement parviendra à être sauvé par son épouse et une escouade de Résistants, mais encore contribuera à le retrouver en Amérique du Sud. C'est pourquoi l'ex-gestapiste, par l'intermédiaire de son avocat, l'accusera cinquante ans après les faits d'avoir été son agent. Or, il est historiquement prouvé qu'Aubrac n'a jamais travaillé, ni de près ni de loin, pour la Gestapo.

Mais, s'agissant de René Hardy, c'est autre chose. D'abord, il existe des faits accablants contre lui : ses bobards, son arrestation, les circonstances de son évasion, les rapports allemands... Ensuite, Barbie n'a jamais varié dans ses déclarations : Hardy était bien le traître. Enfin, Edmée Delettraz travaillait in fine pour la Résistance, pas pour Barbie, et elle n'a certainement pas été manipulée contre Hardy par le "boucher de Lyon".

Au passage, il est temps de réfuter une légende. Contrairement à ce que Hardy et ses partisans ont clamé - voir encore Baynac, récemment - ce n'est pas Lucie Aubrac qui, la première, a dénoncé Hardy comme étant le traître (ce qui leur permettait de crier au complot gauchiste), mais Edmée Delettraz, laquelle a informé des Résistants le 21 juin et son réseau le lendemain. Son patron, le colonel Groussard, transmettra l'information à Londres le 23 juin.

Et Groussard n'était pas de gauche.



En tout cas, reste à savoir pourquoi Barbie aurait organisé la rocambolesque évasion de Hardy s'il ne comptait utiliser ce dernier que pour capturer Max-Moulin, son objectif essentiel ?


Pour le remercier d'avoir livré Moulin, d'une part. Pour éventuellement le réutiliser, d'autre part.



Si j'ai écrit "quadruple", c'est parce qu'il me semblait que cette personne travaillait à la fois pour la Résistance, les Anglais, les Américains et les Allemands ! :cheers:


En fait, elle travaillait pour le réseau du colonel Groussard, rattaché au MI-6 britannique. Elle infiltrait la Gestapo sur ses ordres. Elle a contribué à faire "tomber" Bertie Albrecht, mais elle devait d'abord songer à sa mission d'espionnage anti-nazie.

Ce qui confère un poids d'autant plus grand à ses déclarations.
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Nouveau message Post Numéro: 22  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 02 Fév 2007, 21:11

istinen a écrit:Bonsoir,
Nouveau par ces lieux, j'avoue ne pas encore avoir tout parcouru dans ce forum, mais le sujet du drame de Caluire m'intéresse grandement et pour cause...Je suis l'arrière petit fils du Colonel Lacaze, ayant été arrêté, jugé puis libéré suite aux différents procès qui ont suivi.
Je suis complètement novice pour tout ce qui concerne la deuxième guerre, et ses à côtés.
Tout d'abord personnelle, ma démarche consistait au départ à chercher des informations sur mes ancêtres, et n'ayant jamais été très proche de ma grand mère (la fille du colonel Lacaze), et entamant aujourd'hui des recherches généalogiques, je pense me trouver au fur et à mesure une passion pour ce pan de l'histoire, malgré mon jeune Age.
Pour ce qui est de mon avis personnel sur cette affaire, je me garderai bien de polémiquer sur un traitre, tant ma connaissance sur le sujet est floue.


Bienvenue sur ce forum, si... "agité". :mrgreen:



Sans prendre parti, je suis en train de lire la thèse de François Yves Guillain, qui retrace la vie du Général Delestraint, Gaulliste dans l'âme. Le passage de Caluire fait partie de cette thèse, et je remets un lien vers cette mine d'informations (que vous aurez peut être déjà parcourue).

http://perso.orange.fr/delestraint/index.htm

Cette thèse m'a entre autre permis de savoir que le Colonel Lacaze fut libéré pour avoir nié appartenir à l'armée secrète, ce qui me laisse perplexe.
Vous aurez très certainement un avis éclairé sur la question.


Le colonel Lacaze a nié en bloc qu'il faisait partie de la Résistance. Je pense que la Gestapo n'a, par chance pour lui, pas su l'apprécier à sa "juste" valeur. Il a été libéré en 1944.

Autant Barbie a-t-il plutôt bien mené son affaire, s'agissant de la rafle de Caluire, autant il l'a très mal exploitée. La cible de la police secrète allemande, Jean Mouli,n a été si sauvagement torturée par ses soins - et par les soins de ses successeurs de l'avenue Foch, à Paris - qu'il en est mort. Son second, Aubrac, n'a pas été véritablement identifié, malgré les tortures. Je ne m'étonne donc guère que le colonel Lacaze ait pu s'en sortir, au regard de ces négligences nazies.



En attendant, si l'un d'entre vous a plus d'informations sur le Colonel Lacaze, n'hésitez pas à me contacter.


N'hésitez pas à nous en communiquer ! :D
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Nouveau message Post Numéro: 23  Nouveau message de Tom  Nouveau message 02 Fév 2007, 22:39

:D Merci, Nicolas, de répondre point par point.

En fait, pour tenter de résumer simplement preuves et critiques par Jacques Baynac, la culpabilité de René Hardy dans l'"affaire de la réunion" de Caluire est attestée par :

I. Deux témoignages :

1° Celui de l'agent "multiple" Edmée Delétraz, qui a affirmé avoir vu René Hardy donner la date et l'heure de la réunion et avoir été chargée de le filer jusqu'à son lieu que René Hardy ignorait encore ;

2° Celui de Klaus Barbie, chef de la section IV du KDS de Lyon et responsable de l'arrestation des participants à la réunion, qui, de 1948 à 1990, a déclaré que c'était René Hardy qui avait donné la réunion de Caluire.

Jacques Baynac discrédite le premier en rappelant que la crédibilité de l'agent "multiple" Edmée Delétraz, qui travaillait avec les Allemands, était la maîtresse de l'un d'eux et avait aidé à arrêter des résistants, était pour le moins sujette à caution.

Il discrédite aussi le second en soulignant les déclarations fantaisistes de Klaus Barbie, mais surtout en suggérant que les deux autres versions de l'affaire qu'il a présentées en 1948 et surtout en 1990 invalidaient la première.

II. Deux documents :

1° Le rapport "Flora" du KDS de Marseille établi le 19 juillet 1943, qui mentionne que "Didot" (pseudo de René Hardy), en qualité d'agent double, a permis l'arrestation de Jean Moulin et de chefs des MUR ;

2° Le rapport "Kaltenbrunner" signé par le chef du RSHA le 29 juin 1943, qui précise que le KDS de Lyon a réussi, grâce à "un jeu d'agents" réalisé avec René Hardy, à mettre la main sur une réunion de dirigeants des MUR et de l'AS.

Jacques Baynac discrédite le premier en montrant que la mention concernant René Hardy ne fait que reproduire l'accusation de Klaus Barbie et ne constitue pas une source indépendante.

Il discrédite également le second en relevant ses omissions et ses erreurs de dates ou de personnes.

Au fond, pour Jacques Baynac, Caluire est, selon l'expression de Churchill, "un casse-tête enrobé d'énigme et farci de mystère", parce qu'"il est le produit tragiquement simple d'une réalité extrêmement complexe, le résultat mortel de conflits emboîtés comme des poupées russes".

Sans doute a-t-il de bonnes raisons pour définir ainsi le contexte, mais il n'en demeure pas moins que son "produit tragiquement simple" peut effectivement se réduire à la trahison de René Hardy, car pourquoi Klaus Barbie aurait-il menti pendant tant d'années et surtout dans le compte rendu qu'il a adressé à son chef suprême, Ernst Kaltenbrunner ?


N.B. Question (bête !) : sait-on si Jean Moulin a vraiment été torturé à mort par un Klaus Barbie assez stupide ou s'il a été torturé et a ensuite tenté de se suicider en se frappant la tête contre le mur de sa cellule, comme il me semble que l'a laissé entendre un autre prisonnier ?

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Nouveau message Post Numéro: 24  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 03 Fév 2007, 11:15

Bonjour à tous


Je suis, pour le coup, entièrement d'accord avec Nicolas, qui a d'ailleurs le dossier bien plus présent à l'esprit dans tous ses détails que moi. Je souhaite du plaisir à Baynac s'il daigne croiser le fer !

Je me contenterai donc d'un petit grain de sel :

Citation:
En tout cas, reste à savoir pourquoi Barbie aurait organisé la rocambolesque évasion de Hardy s'il ne comptait utiliser ce dernier que pour capturer Max-Moulin, son objectif essentiel ?


Pour le remercier d'avoir livré Moulin, d'une part. Pour éventuellement le réutiliser, d'autre part.


Il y a une autre raison possible : suggérer aux résistants que la Gestapo tient ses promesses, et qu'en rendant des services limités ils peuvent effectivement sauver leur peau. C'est également ce qui permet d'expliquer (et ainsi tombe l'argument majeur de Baynac) qu'Hardy n'ait pas, comme un vulgaire Multon, donné tout le monde. Barbie l'utilisait autrement, à un autre niveau : tu me permets une capture de choix, et basta, tu peux filer.

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Nouveau message Post Numéro: 25  Nouveau message de Tom  Nouveau message 03 Fév 2007, 12:00

François Delpla écrit :

Il y a une autre raison possible : suggérer aux résistants que la Gestapo tient ses promesses, et qu'en rendant des services limités ils peuvent effectivement sauver leur peau. C'est également ce qui permet d'expliquer (et ainsi tombe l'argument majeur de Baynac) qu'Hardy n'ait pas, comme un vulgaire Multon, donné tout le monde. Barbie l'utilisait autrement, à un autre niveau : tu me permets une capture de choix, et basta, tu peux filer.


Il y a tout de même un "gros hic" dans cette explication, c'est que Klaus Barbie ignore, lors de son intervention à Caluire, que Max (Jean Moulin) se trouve parmi les personnes qu'il a arrêtées ; il ne l'apprendra que dans la soirée à l'Ecole de santé militaire où il a établi ses quartiers.

En effet, Henri Aubry rapporte les faits suivants dans son témoignage : A un moment donné, alors que nous sommes en train de recevoir des coups, un grand bonhomme à mine patibulaire, du genre des sbires de la Gestapo tels que nous les connaissons, arrive et dit en français, en jetant une liasse de courrier sur la table : MAX EST PARMI EUX !
Immédiatement, jubilation intense de Barbie et de son acolyte. On fonce sur Lassagne et sur moi. Nous déclarons ne pas le connaître.


Ainsi, l'"argument majeur" de Jacques Baynac ne peut pas vraiment tomber là... (En fait, c'est René Hardy lui-même qui a déclaré que de nombreux résistants, parmi lesquels des dirigeants de premier plan, auraient été arrêtés s'il avait véritablement collaboré avec Barbie ou s'il avait été filé après sa libération.)
Dernière édition par Tom le 03 Fév 2007, 12:17, édité 1 fois.

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Nouveau message Post Numéro: 26  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 03 Fév 2007, 12:13

de mémoire (car encore une fois je n'ai pas tout cela bien frais à l'esprit) : Barbie pensait que Max lui avait échappé, en n'étant pas ou plus dans la villa Dugoujon. Il le dit dans son premier rapport sur l'affaire. D'où sa jubilation quand il apprend qu'il tient bien le gros poisson et qu'il ne reste qu'à l'identifier.

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Nouveau message Post Numéro: 27  Nouveau message de Tom  Nouveau message 03 Fév 2007, 12:52

François Delpla écrit :

Barbie pensait que Max lui avait échappé, en n'étant pas ou plus dans la villa Dugoujon. Il le dit dans son premier rapport sur l'affaire. D'où sa jubilation quand il apprend qu'il tient bien le gros poisson et qu'il ne reste qu'à l'identifier.


Oui, c'est possible, mais cela ne nous dit pas comment le gestapiste "à mine patibulaire" (selon Henri Aubry) a pu savoir que Max se trouvait bien parmi les personnes arrêtées ; ce n'est certainement pas René Hardy qui a pu le lui apprendre, car il ne connaissait pas Max et n'a donc pas pu l'identifier lorsque toutes les personnes appréhendées - celles du rez-de-chaussée où attendait Max et celles du premier étage où était Hardy - ont été rassemblées par la "Gestapo" dans la villa du docteur Dugoujon.

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Nouveau message Post Numéro: 28  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 03 Fév 2007, 13:24

Tom a écrit:François Delpla écrit :

Barbie pensait que Max lui avait échappé, en n'étant pas ou plus dans la villa Dugoujon. Il le dit dans son premier rapport sur l'affaire. D'où sa jubilation quand il apprend qu'il tient bien le gros poisson et qu'il ne reste qu'à l'identifier.


Oui, c'est possible, mais cela ne nous dit pas comment le gestapiste "à mine patibulaire" (selon Henri Aubry) a pu savoir que Max se trouvait bien parmi les personnes arrêtées ; ce n'est certainement pas René Hardy qui a pu le lui apprendre, car il ne connaissait pas Max et n'a donc pas pu l'identifier lorsque toutes les personnes appréhendées - celles du rez-de-chaussée où attendait Max et celles du premier étage où était Hardy - ont été rassemblées par la "Gestapo" dans la villa du docteur Dugoujon.


Je ne crois pas qu'on sache comment Barbie a eu ce renseignement, connu par le seul Aubry qui ne pouvait que témoigner de la joie de ses geôliers (interception de quelque courrier signalant l'arrestation de Moulin ?), mais quelle importance en ce qui concerne Hardy ?

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Nouveau message Post Numéro: 29  Nouveau message de Tom  Nouveau message 03 Fév 2007, 13:43

François Delpla écrit :

Je ne crois pas qu'on sache comment Barbie a eu ce renseignement, connu par le seul Aubry qui ne pouvait que témoigner de la joie de ses geôliers (interception de quelque courrier signalant l'arrestation de Moulin ?), mais quelle importance en ce qui concerne Hardy ?


Eh bien ! même si Hardy a donné la réunion de Caluire ou a été filé jusqu'à la maison Dugoujon, c'est quelqu'un d'autre qui a révélé ou confirmé la présence de Max à ladite réunion...

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Nouveau message Post Numéro: 30  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 03 Fév 2007, 16:10

Tom a écrit::D Merci, Nicolas, de répondre point par point.

En fait, pour tenter de résumer simplement preuves et critiques par Jacques Baynac, la culpabilité de René Hardy dans l'"affaire de la réunion" de Caluire est attestée par :

I. Deux témoignages :


Non, bien plus. Celui de l'acolyte de Barbie, Steingritt - dont le revirement au procès de 1950 est tout sauf sincère. Celui des personnes ayant assisté à son "évasion", et dont les dires démentent l'idée d'un exploit véritable.



1° Celui de l'agent "multiple" Edmée Delétraz, qui a affirmé avoir vu René Hardy donner la date et l'heure de la réunion et avoir été chargée de le filer jusqu'à son lieu que René Hardy ignorait encore ;


Un témoignage, encore une fois, très crédible. Cette personne travaillait, in fine, pour la Résistance. Son patron, le colonel Groussard, n'était pas politiquement éloigné de René Hardy, et pourtant a cru sur parole son agent et dénoncé en "Didot" le traître.

Hardy, de son côté, a produit un témoignage pour réfuter Delettraz, celui du lieutenant Bossé, qui lui conférait un alibi au moment de sa rencontre supposée (en fait réelle) avec des gestapistes. Mais il a reconnu plus tard que Bossé avait menti.



2° Celui de Klaus Barbie, chef de la section IV du KDS de Lyon et responsable de l'arrestation des participants à la réunion, qui, de 1948 à 1990, a déclaré que c'était René Hardy qui avait donné la réunion de Caluire.


Et malgré toute la réserve qu'inspirent ses déclarations, il faut souligner qu'il n'a, sur ce point, jamais varié.



Jacques Baynac discrédite le premier en rappelant que la crédibilité de l'agent "multiple" Edmée Delétraz, qui travaillait avec les Allemands, était la maîtresse de l'un d'eux et avait aidé à arrêter des résistants, était pour le moins sujette à caution.


Mais Baynac n'insiste pas - et pour cause - sur ce point, qu'il évoque en passant : elle travaillait pour le réseau du colonel Groussard. Elle a même essayé de donner l'alerte. Baynac ne peut que reconnaître ce dernier point, mais là encore n'insiste pas. Curieux, non ? Pas vraiment, quand on y réfléchit. Et pour cause...



Il discrédite aussi le second en soulignant les déclarations fantaisistes de Klaus Barbie, mais surtout en suggérant que les deux autres versions de l'affaire qu'il a présentées en 1948 et surtout en 1990 invalidaient la première.


Mais Barbie n'a jamais - jamais - nié que Hardy avait travaillé pour lui.



II. Deux documents :

1° Le rapport "Flora" du KDS de Marseille établi le 19 juillet 1943, qui mentionne que "Didot" (pseudo de René Hardy), en qualité d'agent double, a permis l'arrestation de Jean Moulin et de chefs des MUR ;

2° Le rapport "Kaltenbrunner" signé par le chef du RSHA le 29 juin 1943, qui précise que le KDS de Lyon a réussi, grâce à "un jeu d'agents" réalisé avec René Hardy, à mettre la main sur une réunion de dirigeants des MUR et de l'AS.


Ces documents sont en effet accablants pour Hardy. De l'ordre de l'irréfutable, même.



Jacques Baynac discrédite le premier en montrant que la mention concernant René Hardy ne fait que reproduire l'accusation de Klaus Barbie et ne constitue pas une source indépendante.


Ce qui est profondément inepte. Comme l'écrit l'historien Jean-Pierre Azéma, s'agissant de ce rapport Flora :

Nous estimons que sa valeur tient au fait - répétons-le - qu'il est rédigé quelques semaines après les faits et surtout qu'il est à usage interne. Nous avons déjà dit que les défenseurs de Hardy ont prétendu qu'il avait été désigné comme Gegenagent par les hommes du SD pour travestir son évasion. Mais c'est se méprendre sur le fonctionnement des services de répression allemands, mettre entre parenthèse le fait que le rapport Flora signalait qu'un certain nombre de suspects avaient pu s'enfuir.
(Jean-Pierre Azéma, Jean Moulin, Perrin, 2003, p. 420)

J'ajouterai le point suivant : l'auteur de ce rapport, Ernst Dunker, chef de l'antenne du SD à Marseille, met en avant le fait que le "retournement" de Hardy, qui occasionnera l'arrestation de Max, résulte de ses opérations, c'est à dire l'arrestation du Résistant Multon, qui permettra à Barbie de mettre la main sur Hardy. En d'autres termes, Dunker estime pour acquis que Hardy a bel et bien trahi, et fonde sa réputation de fin limier sur ce "glorieux succès". Imagine-t-on donc Barbie lui mentir, à lui et à sa hiérarchie, sur un sujet aussi important ? C'est se mettre à la merci d'un éventuel chantage, et l'on sait que la Gestapo regorge de rivalités intestines.



Il discrédite également le second en relevant ses omissions et ses erreurs de dates ou de personnes.


Erreurs et omissions peu nombreuses et tout à fait explicables, et qui n'entachent en rien sa véracité. Le rapport Kaltenbrunner (du nom du chef du RSHA, qui le destine au ministère des Affaires Etrangères allemand) ne mentionne certes pas Jean Moulin, alias "Max", alors qu'il date du 29 juin 1943 et que "Max" a été identifié le 23. Mais on sait que ce rapport résulte d'un premier communiqué interne de Barbie à ses supérieurs de Paris, expédié le 22 ou le 23 juin, soit avant sa grande découverte. Le temps que le QG de l'avenue Foch le transmette à Berlin, que Berlin rerédige l'analyse qui s'en inspire, il doit effectivement s'écouler une semaine, à une époque où n'existent ni le fax, ni Internet.




Au fond, pour Jacques Baynac, Caluire est, selon l'expression de Churchill, "un casse-tête enrobé d'énigme et farci de mystère", parce qu'"il est le produit tragiquement simple d'une réalité extrêmement complexe, le résultat mortel de conflits emboîtés comme des poupées russes".


Baratin littéraire à peine original. Encore une fois, pour qui se donne la peine d'étudier cette affaire un peu sérieusement, il s'agit là d'un dossier bien plus simple qu'il n'y paraît, mais pollué par les lacunes mémorielles et les spéculations sans fin de nombreux auteurs en mal de sensationnalisme.



Sans doute a-t-il de bonnes raisons pour définir ainsi le contexte, mais il n'en demeure pas moins que son "produit tragiquement simple" peut effectivement se réduire à la trahison de René Hardy, car pourquoi Klaus Barbie aurait-il menti pendant tant d'années et surtout dans le compte rendu qu'il a adressé à son chef suprême, Ernst Kaltenbrunner ?


Détrompez-vous, un gestapiste peut mentir à son patron. Le cas est connu : le patron parisien de Barbie, Helmut Knochen, travestira dans un rapport à ses supérieurs la réalité de l'évasion de Raymond Aubrac du 21 octobre. Alors que le commando réuni par Lucie Aubrac est intervenu pour libérer son mari (fait amplement prouvé), Knochen signale que la cible de ce commando était "selon toute vraisemblance" un autre Résistant, Jean Biche (chef du réseau Nilo), qui ne se trouvait pas dans le fourgon pris d'assaut. Ce qui lui permet de gommer un échec et, mieux encore, d'invoquer un succès, puisqu'au final, l'attaque des "Terroristen" n'a pas donné le résultat escompté...

Mais Knochen est prudent. Et son mensonge reste invérifiable. Au contraire d'un Barbie qui fonde toute sa réputation sur l'arrestation et le retournement de René Hardy.



N.B. Question (bête !) : sait-on si Jean Moulin a vraiment été torturé à mort par un Klaus Barbie assez stupide ou s'il a été torturé et a ensuite tenté de se suicider en se frappant la tête contre le mur de sa cellule, comme il me semble que l'a laissé entendre un autre prisonnier ?


Possible, mais le fait n'est pas absolument prouvé. Il demeure que les sévices infligés à Jean Moulin sont tels qu'il ne pouvait en résulter que la mort.
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