Tom a écrit::D Merci, Nicolas, de répondre point par point.
En fait, pour tenter de résumer simplement preuves et critiques par Jacques Baynac, la culpabilité de René Hardy dans l'"affaire de la réunion" de Caluire est attestée par :
I. Deux témoignages :
Non, bien plus. Celui de l'acolyte de Barbie, Steingritt - dont le revirement au procès de 1950 est tout sauf sincère. Celui des personnes ayant assisté à son "évasion", et dont les dires démentent l'idée d'un exploit véritable.
1° Celui de l'agent "multiple" Edmée Delétraz, qui a affirmé avoir vu René Hardy donner la date et l'heure de la réunion et avoir été chargée de le filer jusqu'à son lieu que René Hardy ignorait encore ;
Un témoignage, encore une fois, très crédible. Cette personne travaillait,
in fine, pour la Résistance. Son patron, le colonel Groussard, n'était pas politiquement éloigné de René Hardy, et pourtant a cru sur parole son agent et dénoncé en "Didot" le traître.
Hardy, de son côté, a produit un témoignage pour réfuter Delettraz, celui du lieutenant Bossé, qui lui conférait un alibi au moment de sa rencontre supposée (en fait réelle) avec des gestapistes. Mais il a reconnu plus tard que Bossé avait menti.
2° Celui de Klaus Barbie, chef de la section IV du KDS de Lyon et responsable de l'arrestation des participants à la réunion, qui, de 1948 à 1990, a déclaré que c'était René Hardy qui avait donné la réunion de Caluire.
Et malgré toute la réserve qu'inspirent ses déclarations, il faut souligner qu'il n'a, sur ce point,
jamais varié.
Jacques Baynac discrédite le premier en rappelant que la crédibilité de l'agent "multiple" Edmée Delétraz, qui travaillait avec les Allemands, était la maîtresse de l'un d'eux et avait aidé à arrêter des résistants, était pour le moins sujette à caution.
Mais Baynac n'insiste pas - et pour cause - sur ce point, qu'il évoque en passant : elle travaillait pour le réseau du colonel Groussard. Elle a même essayé de donner l'alerte. Baynac ne peut que reconnaître ce dernier point, mais là encore n'insiste pas. Curieux, non ? Pas vraiment, quand on y réfléchit. Et pour cause...
Il discrédite aussi le second en soulignant les déclarations fantaisistes de Klaus Barbie, mais surtout en suggérant que les deux autres versions de l'affaire qu'il a présentées en 1948 et surtout en 1990 invalidaient la première.
Mais Barbie n'a jamais - jamais - nié que Hardy avait travaillé pour lui.
II. Deux documents :
1° Le rapport "Flora" du KDS de Marseille établi le 19 juillet 1943, qui mentionne que "Didot" (pseudo de René Hardy), en qualité d'agent double, a permis l'arrestation de Jean Moulin et de chefs des MUR ;
2° Le rapport "Kaltenbrunner" signé par le chef du RSHA le 29 juin 1943, qui précise que le KDS de Lyon a réussi, grâce à "un jeu d'agents" réalisé avec René Hardy, à mettre la main sur une réunion de dirigeants des MUR et de l'AS.
Ces documents sont en effet accablants pour Hardy. De l'ordre de l'irréfutable, même.
Jacques Baynac discrédite le premier en montrant que la mention concernant René Hardy ne fait que reproduire l'accusation de Klaus Barbie et ne constitue pas une source indépendante.
Ce qui est profondément inepte. Comme l'écrit l'historien Jean-Pierre Azéma, s'agissant de ce rapport
Flora :
Nous estimons que sa valeur tient au fait - répétons-le - qu'il est rédigé quelques semaines après les faits et surtout qu'il est à usage interne. Nous avons déjà dit que les défenseurs de Hardy ont prétendu qu'il avait été désigné comme Gegenagent par les hommes du SD pour travestir son évasion. Mais c'est se méprendre sur le fonctionnement des services de répression allemands, mettre entre parenthèse le fait que le rapport Flora signalait qu'un certain nombre de suspects avaient pu s'enfuir.
(Jean-Pierre Azéma,
Jean Moulin, Perrin, 2003, p. 420)
J'ajouterai le point suivant : l'auteur de ce rapport, Ernst Dunker, chef de l'antenne du SD à Marseille, met en avant le fait que le "retournement" de Hardy, qui occasionnera l'arrestation de Max, résulte de ses opérations, c'est à dire l'arrestation du Résistant Multon, qui permettra à Barbie de mettre la main sur Hardy. En d'autres termes, Dunker estime pour acquis que Hardy a bel et bien trahi, et fonde sa réputation de fin limier sur ce "glorieux succès". Imagine-t-on donc Barbie lui mentir, à lui et à sa hiérarchie, sur un sujet aussi important ? C'est se mettre à la merci d'un éventuel chantage, et l'on sait que la
Gestapo regorge de rivalités intestines.
Il discrédite également le second en relevant ses omissions et ses erreurs de dates ou de personnes.
Erreurs et omissions peu nombreuses et tout à fait explicables, et qui n'entachent en rien sa véracité. Le rapport
Kaltenbrunner (du nom du chef du RSHA, qui le destine au ministère des Affaires Etrangères allemand) ne mentionne certes pas Jean Moulin, alias "Max", alors qu'il date du 29 juin 1943 et que "Max" a été identifié le 23. Mais on sait que ce rapport résulte d'un premier communiqué interne de Barbie à ses supérieurs de Paris, expédié le 22 ou le 23 juin, soit avant sa grande découverte. Le temps que le QG de l'avenue Foch le transmette à Berlin, que Berlin rerédige l'analyse qui s'en inspire, il doit effectivement s'écouler une semaine, à une époque où n'existent ni le fax, ni Internet.
Au fond, pour Jacques Baynac, Caluire est, selon l'expression de Churchill, "un casse-tête enrobé d'énigme et farci de mystère", parce qu'"il est le produit tragiquement simple d'une réalité extrêmement complexe, le résultat mortel de conflits emboîtés comme des poupées russes".
Baratin littéraire à peine original. Encore une fois, pour qui se donne la peine d'étudier cette affaire un peu sérieusement, il s'agit là d'un dossier bien plus simple qu'il n'y paraît, mais pollué par les lacunes mémorielles et les spéculations sans fin de nombreux auteurs en mal de sensationnalisme.
Sans doute a-t-il de bonnes raisons pour définir ainsi le contexte, mais il n'en demeure pas moins que son "produit tragiquement simple" peut effectivement se réduire à la trahison de René Hardy, car pourquoi Klaus Barbie aurait-il menti pendant tant d'années et surtout dans le compte rendu qu'il a adressé à son chef suprême, Ernst Kaltenbrunner ?
Détrompez-vous, un gestapiste peut mentir à son patron. Le cas est connu : le patron parisien de Barbie, Helmut Knochen, travestira dans un rapport à ses supérieurs la réalité de l'évasion de Raymond Aubrac du 21 octobre. Alors que le commando réuni par Lucie Aubrac est intervenu pour libérer son mari (fait amplement prouvé), Knochen signale que la cible de ce commando était
"selon toute vraisemblance" un autre Résistant, Jean Biche (chef du réseau Nilo), qui ne se trouvait pas dans le fourgon pris d'assaut. Ce qui lui permet de gommer un échec et, mieux encore, d'invoquer un succès, puisqu'au final, l'attaque des
"Terroristen" n'a pas donné le résultat escompté...
Mais Knochen est prudent. Et son mensonge reste invérifiable. Au contraire d'un Barbie qui fonde toute sa réputation sur l'arrestation et le retournement de René Hardy.
N.B. Question (bête !) : sait-on si Jean Moulin a vraiment été torturé à mort par un Klaus Barbie assez stupide ou s'il a été torturé et a ensuite tenté de se suicider en se frappant la tête contre le mur de sa cellule, comme il me semble que l'a laissé entendre un autre prisonnier ?
Possible, mais le fait n'est pas absolument prouvé. Il demeure que les sévices infligés à Jean Moulin sont tels qu'il ne pouvait en résulter que la mort.