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Présumé Jean Moulin...une nouvelle histoire de la Résistance

Venez nous présenter votre dernière lecture ou des ouvrages qui vous tiennent particulièrement à coeur. Parlons des dernières parutions concernant la seconde guerre mondiale. Une belle photo de la couverture est toujours la bienvenue...
Présentez également vos périodiques préférés. Donnez-nous les sommaires et discutez sur les contenus.
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Nouveau message Post Numéro: 11  Nouveau message de Tom  Nouveau message 31 Jan 2007, 20:39

:D Oui, je possède (et j'ai lu il y a longtemps) le bouquin de Pierre Péan, La Diabolique de Caluire publié chez Fayard en 1999, mais je ne me souviens pas d'avoir trouvé très convaincant ce récit sans références, qui repose uniquement sur le "testament" de Lydie Bastien, lequel, aux dires mêmes de Pierre Péan - je cite (in "Postface à l'attention de Mesdames et Messieurs les historiens") : ...n'est corroboré par aucune preuve écrite irréfutable qui attesterait que l'ex-fiancée de René Hardy a travaillé pour la Gestapo par le truchement de son amant Harry Stengritt et aurait donc joué un rôle capital dans le drame de Caluire.

Nicolas écrit :

Le seul cas véritablement troublant, c'est à dire le cas où il demeure qu'une filature était possible, reste Aubry. Mais j'aurais tendance à penser que sans Hardy, Barbie ne serait arrivé à rien. De surcroît, je pense qu'Aubry a pu être filé suite à sa rencontre avec Hardy, le 20 juin, près du Pont Morand - où se tenait Barbie...


En fait, presque tous les participants à la réunion, dont certains avaient déjà été arrêtés et étaient connus des Allemands, auraient pu être suivis, surtout Aubry qui avait, sans le savoir, confié la fonction capitale d'inspecteur national de l'AS à un agent de la Gestapo !

De plus, si Barbie et ses hommes suivaient Hardy ou même Aubry, pourquoi sont-ils parvenus à la réunion de Caluire trois bons quarts d'heure après eux et juste après l'arrivée tardive de Moulin, Aubrac et Schwartzfeld ? Coïncidence malheureuse ou... ?

Dans ces conditions, pourquoi s'acharner seulement sur Hardy au mépris de la chose jugée ?

Voici ce qu'écrit Henri Noguères à la page 464 du tome 3 (1972) de son Histoire de la Résistance en France :

Henri Aubry, pour sa part, est directement et personnellement responsable de l'arrestation du général Delestraint, non seulement pour n'avoir pas exigé que la convocation adressée à Hardy soit codée, mais encore et surtout pour n'avoir pas décommandé le rendez-vous de la Muette lorsqu'il a su qu'une convocation en clair avait été déposée dans une boîte brûlée.

On ne peut établir un lien aussi direct entre les arrestations de Caluire et l'autre faute lourde commise par Aubry emmenant, de son propre chef, Hardy à la réunion de Caluire. Mais ceux qui reprochent à Hardy d'avoir entraîné à sa suite, nolens volens, Barbie et ses hommes, ne devraient pas oublier que René Hardy n'avait pas demandé à participer à cette réunion. Non seulement Aubry a pris sur lui de l'y emmener, mais, rencontrant Moulin après avoir convoqué Hardy, le même Aubry s'est bien gardé de demander à celui qui était à la fois l'organisateur de la réunion et le chef de la Résistance, s'il l'autorisait à se faire ainsi accompagner.

Il ressort, enfin, des dépositions mêmes d'Henri Aubry - notamment celle du 15 janvier 1945 citée par René Hardy - , que le chef d'état-major de l'Armée secrète avait confié, sans enquête préalable, à un nouveau venu dont il ne savait rien, les fonctions d'inspecteur national de l'AS. Or, Aubry lui-même devait constater, après son arrestation, que ce personnage n'était autre qu'un agent de la Gestapo.

On reste confondu devant tant de légèreté, d'imprudence, d'ignorance des règles de sécurité les plus élémentaires.

(...)

Trop de gens, enfin - fussent-ils des résistants indiscutables -, avaient eu connaissance de la réunion consacrée à la réorganisation du commandement de l'Armée secrète, de son importance, de sa date, et même du lieu où elle devait se tenir.


Page 441, il précise : Rien ne permet, en tout cas, d'affirmer, comme le fait Hardy, que l'"homme du pont Morand" ait été inventé par Aubry pour dissimuler ses propres responsabilités.

Mais rien ne permet, non plus, une fois admise la présence de Barbie au pont Morand, d'en déduire, de façon elliptique et arbitraire, comme a cru pouvoir le faire Henri Michel, que c'est par René Hardy que Barbie a eu connaissance, dès le 20 juin, de la réunion de Caluire.

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Nouveau message Post Numéro: 12  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 01 Fév 2007, 10:34

Tom a écrit::D Oui, je possède (et j'ai lu il y a longtemps) le bouquin de Pierre Péan, La Diabolique de Caluire publié chez Fayard en 1999, mais je ne me souviens pas d'avoir trouvé très convaincant ce récit sans références, qui repose uniquement sur le "testament" de Lydie Bastien, lequel, aux dires mêmes de Pierre Péan - je cite (in "Postface à l'attention de Mesdames et Messieurs les historiens") : ...n'est corroboré par aucune preuve écrite irréfutable qui attesterait que l'ex-fiancée de René Hardy a travaillé pour la Gestapo par le truchement de son amant Harry Stengritt et aurait donc joué un rôle capital dans le drame de Caluire.


Le problème est que nous avons affaire à un épisode qui a laissé derrière lui peu de documents d'époque. Nous en sommes réduits, pour l'essentiel, aux témoignages. Et le fait est que la version de Lydie Bastien ne contredit pas les faits connus, bien au contraire. Mais c'est peut-être, comme disait Obi-Wan, une question de point de vue.



En fait, presque tous les participants à la réunion, dont certains avaient déjà été arrêtés et étaient connus des Allemands, auraient pu être suivis, surtout Aubry qui avait, sans le savoir, confié la fonction capitale d'inspecteur national de l'AS à un agent de la Gestapo !


Certes, un certain nombre de participants, outre Aubry, ont reconnu avoir pu faire l'objet de filatures. Mais en l'état du dossier, les seuls éléments fiables - et notamment les deux rapports SS Flora et Kaltenbrunner - désignent "Didot" (pseudo de Hardy) comme étant le traître.



De plus, si Barbie et ses hommes suivaient Hardy ou même Aubry, pourquoi sont-ils parvenus à la réunion de Caluire trois bons quarts d'heure après eux et juste après l'arrivée tardive de Moulin, Aubrac et Schwartzfeld ? Coïncidence malheureuse ou... ?


Coïncidence malheureuse - voir également ici. Moulin était le premier responsable de son retard, et m'est avis que la Gestapo a également perdu du temps (attente + filature de René Hardy + égarement dans les rues de Caluire + re-attente de vérification).



Dans ces conditions, pourquoi s'acharner seulement sur Hardy au mépris de la chose jugée ?


Parce que de l'aveu de l'avocat de René Hardy lui-même, la chose jugée ne saurait avoir une portée absolue. Et parce que les procès de René Hardy n'ont, quoi qu'on en dise, pas réfuté la thèse de la culpabilité. En 1947, il est acquitté sur la base d'un mensonge (il prétend ne jamais avoir été arrêté, et les témoins prétendant l'inverse sont écartés parce qu'anciens membres de la police allemande...). En 1950, il est acquitté pour cause de Guerre froide : les témoins qui corroborent sa trahison, les documents qui l'établissent, sont repoussés parce que d'origine nazie.



Voici ce qu'écrit Henri Noguères à la page 464 du tome 3 (1972) de son Histoire de la Résistance en France :

Henri Aubry, pour sa part, est directement et personnellement responsable de l'arrestation du général Delestraint, non seulement pour n'avoir pas exigé que la convocation adressée à Hardy soit codée, mais encore et surtout pour n'avoir pas décommandé le rendez-vous de la Muette lorsqu'il a su qu'une convocation en clair avait été déposée dans une boîte brûlée.


C'est vrai. Mais à ce compte, on peut également rappeler l'inexpérience dudit général, qui accumulait les "gaffes". Daniel Cordier a pertinemment rappelé que les maladresses étaient le principe plutôt que l'exception. Aucun Résistant n'avait été formé à ce travail.



On ne peut établir un lien aussi direct entre les arrestations de Caluire et l'autre faute lourde commise par Aubry emmenant, de son propre chef, Hardy à la réunion de Caluire. Mais ceux qui reprochent à Hardy d'avoir entraîné à sa suite, nolens volens, Barbie et ses hommes, ne devraient pas oublier que René Hardy n'avait pas demandé à participer à cette réunion. Non seulement Aubry a pris sur lui de l'y emmener, mais, rencontrant Moulin après avoir convoqué Hardy, le même Aubry s'est bien gardé de demander à celui qui était à la fois l'organisateur de la réunion et le chef de la Résistance, s'il l'autorisait à se faire ainsi accompagner.


Certes, mais Hardy n'a pas refusé de faire partie de la réunion. Or, il a été arrêté par l'ennemi...



Il ressort, enfin, des dépositions mêmes d'Henri Aubry - notamment celle du 15 janvier 1945 citée par René Hardy - , que le chef d'état-major de l'Armée secrète avait confié, sans enquête préalable, à un nouveau venu dont il ne savait rien, les fonctions d'inspecteur national de l'AS. Or, Aubry lui-même devait constater, après son arrestation, que ce personnage n'était autre qu'un agent de la Gestapo.


Mais encore faut-il démontrer que cet agent a permis à Barbie d'identifier et filer Aubry. Or, les documents allemands ne l'établissent pas.



On reste confondu devant tant de légèreté, d'imprudence, d'ignorance des règles de sécurité les plus élémentaires.



Mais encore une fois, c'était la règle, hélas...



Trop de gens, enfin - fussent-ils des résistants indiscutables -, avaient eu connaissance de la réunion consacrée à la réorganisation du commandement de l'Armée secrète, de son importance, de sa date, et même du lieu où elle devait se tenir.


Au contraire, ils étaient plutôt rares. L'information a été filtrée.



Page 441, il précise : Rien ne permet, en tout cas, d'affirmer, comme le fait Hardy, que l'"homme du pont Morand" ait été inventé par Aubry pour dissimuler ses propres responsabilités.


En effet. Tout milite contre Hardy - et ce dernier mensonge est, de sa part, aussi malhabile que significatif. Barbie a reconnu être cet homme, corroborant le témoignage d'Aubry. Et au cours de la rafle, n'a-t-il pas avoué à ce dernier l'avoir vu à cet endroit la veille ?



Mais rien ne permet, non plus, une fois admise la présence de Barbie au pont Morand, d'en déduire, de façon elliptique et arbitraire, comme a cru pouvoir le faire Henri Michel, que c'est par René Hardy que Barbie a eu connaissance, dès le 20 juin, de la réunion de Caluire.


Il ne faut pas exagérer. Barbie a arrêté Hardy. Puis il l'a relâché. Dix jours plus tard, on les retrouve tous les deux au Pont-Morand, assis sur le même banc...

Pourquoi Noguères est-il si prudent ? Il croyait pourtant Hardy coupable - voir son livre testament, La vérité aura le dernier mot, paru en 1984. Sans doute craignait-il une action en diffamation de la part d'Hardy, et ne voulait-il pas prendre le risque de lui donner une nouvelle victoire...
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Nouveau message Post Numéro: 13  Nouveau message de betacam  Nouveau message 01 Fév 2007, 15:10

Bonjour,

Peu de temps avant sa mort, TF1 avait interwievé René Hardy.
Seul, dans une petite chambre, il ne payait pas de mine, mais il s'est défendu jusqu'au bout.

pour Lucie et Raymond Aubrac, sa culpabilité ne fait aucun doute.

Mais ce n'était pas une raison pour que le présentateur du journal, le traite de " pauvre type ". :evil:

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Nouveau message Post Numéro: 14  Nouveau message de Tom  Nouveau message 01 Fév 2007, 15:43

:D Assez d'accord avec la plupart de tes remarques, Nicolas : de lourdes charges pèsent sur Hardy, mais il faut tout de même reconnaître que l'"affaire" demeure passablement confuse et mystérieuse et qu'une culpabilité claire et nette ne peut pas vraiment être établie.

Nicolas écrit sur l'autre forum qu'il indique en référence :

Et une question en découle : pourquoi les Allemands ne sont-ils intervenus qu’après l’arrivée tardive des trois hommes ?

Probablement par hasard et balourdise. L'une des personnes chargées de la filature de Hardy a sciemment perdu du temps, et pour revenir à Barbie, et pour le guider. Barbie lui-même ne savait pas trop où il allait. Il a du retrouver les autres agents qu'il avait placés en filature. Résultat, il perd du temps, beaucoup de temps. C'est une hypothèse qui se tient.


D'un côté, Barbie concentre toute son attention et tous ses moyens sur la capture de Max (Jean Moulin) et, de l'autre, il commet de telles bourdes ! Est-ce possible ?

:cheers:

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Nouveau message Post Numéro: 15  Nouveau message de Tom  Nouveau message 01 Fév 2007, 21:53

;) Finalement, pourquoi s'acharner sur Hardy alors que tant d'imprudences ont été commises et que, par exemple, le "cas" Aubry est loin d'être clair et pose un tas de questions.

1. Au second procès de Hardy, le docteur Dugoujon a confirmé sa déposition du 21 septembre 1944 : Aubry lui aurait confié que "Barbie le suivait depuis des semaines" (avant la réunion de Caluire).

2. Au pont Morand, Barbie n'a, selon ses déclarations ultérieures, vu ni Jacques Baumel ni Madeleine Raisin. Or, si Barbie suivait Hardy, il aurait vu Baumel, Raisin et Aubry. En revanche, s'il suivait Aubry, il serait arrivé après le départ de Baumel et aurait pu partir avant l'arrivée de Raisin.

3. Aubry était repéré : connu notamment du traître Multon et peut-être aussi d'un espion allemand qu'il aurait nommé, en toute bonne foi, inspecteur national de l'Armée secrète (!), il avait fait l'objet de rapports allemands détaillés.

4. Le général Desmazes, adjoint du général Delestraint à la tête de l'Armée secrète, a écrit, en 1945, au ministre de la Guerre que, lors de son premier interrogatoire à la Gestapo, on lui aurait dit que c'était A., de l'état-major de l'AS à Lyon, qui l'avait dénoncé. Or deux noms seulement commençaient par cette lettre : Aubry et Aubrac...

5. Jean Sussel, déporté à Dachau avec le général Delestraint, a témoigné officiellement par deux fois que celui-ci lui aurait révélé avoir été arrêté sur dénonciation d'une personne importante de son entourage immédiat qui avait assisté à son interrogatoire à Paris. Or, Aubry y avait été transféré le 26 juin et y bénéficiait d'un régime de faveur...

Sans forcément incriminer Aubry et sans mentionner de nouveau ses graves manquements aux règles de sécurité, il faut, en tout cas, au moins admettre qu'il n'observait plus ces dernières et qu'il était vraisemblablement suivi...

En fait, à la base, seules les déclarations d'Edmée Delétraz, agent quadruple au bas mot et extrêmement peu fiable, et celles de Klaus Barbie lui-même (reprises dans les rapports Kaltenbrunner et "Flora") ont incriminé Hardy.

D'après Barbie, Hardy lui aurait révélé la date de la réunion "quatre ou cinq jours avant". Or, même Jean Moulin ignorait le 16 qu'une réunion aurait lieu à Caluire le 21 !

De plus, Barbie a prétendu, entre autres fabulations, qu'Hardy aurait marqué à la craie jaune son parcours jusqu'à la pièce même de la réunion. Or, Hardy était accompagné de Lassagne et d'Aubry et aucun témoin n'a jamais vu la moindre marque !

Bref, le récit de Barbie s'avère totalement fantaisiste, sans doute pour mettre en valeur ses qualités d'organisateur et pour dissimuler une réalité certainement plus prosaïque...

Même si Hardy a été filé par un agent qui voulait savoir où il allait ce jour-là, il n'était peut-être pas le seul et n'a pas pu provoquer une intervention du commando Barbie qui eut lieu bien après son arrivée à la réunion et juste après celle de Jean Moulin, d'Aubrac et de Schwartzfeld...

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Nouveau message Post Numéro: 16  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 01 Fév 2007, 22:24

Tom a écrit::D Assez d'accord avec la plupart de tes remarques, Nicolas : de lourdes charges pèsent sur Hardy,


"Je dirais même plus" : des charges amplement suffisantes. En ce qui me concerne, ma religion est faite. Il n'y a eu qu'un traître et un seul, et c'est Hardy.



mais il faut tout de même reconnaître que l'"affaire" demeure passablement confuse et mystérieuse et qu'une culpabilité claire et nette ne peut pas vraiment être établie.


Je pense que cette affaire est au contraire assez simple, pour qui veut se donner la peine de l'étudier sérieusement. Mais elle a acquis, au fil des décennies, un haut degré de complication, liée d'une part aux spéculations fantaisistes des uns et des autres (et notamment... Hardy, obsédé par l'idée de se dédouaner par tous les moyens, y compris en faisant appel à un faux témoignage), et d'autre part à la pression politico-judiciaire pesant sur les acteurs et les chroniqueurs du drame.



D'un côté, Barbie concentre toute son attention et tous ses moyens sur la capture de Max (Jean Moulin) et, de l'autre, il commet de telles bourdes ! Est-ce possible ?

:cheers:


Barbie n'est pas le suprême Méphistophélès (j'aime ce nom :mrgreen:) de l'Empire du Mal, à jamais ancré dans la mémoire française pour avoir arrêté un héros national, et il n'est pas non plus cet obscur officier que dépeignent ses défenseurs. C'est un flic intelligent, vaniteux, mais loin d'être génial. Le concept de la fausse évasion, par exemple, n'est pas issu de son cerveau, mais des précédents mis en scène par ses confrères et rivaux de l'Abwehr.

De même, il manque de moyens, et doit compter sur des supplétifs parfois douteux - voir le cas Edmée Delettraz, qui travaille pour lui mais aussi pour la Résistance, et qui fera son possible pour alerter cette dernière de la trahison de Hardy et du piège qui attend certains chefs à Caluie.

Surtout, il n'est pas du coin. Cet ancien policier de Düsseldorf ne connaît absolument rien de Caluire. Or, il n'a d'autre moyen de connaître le lieu de réunion que René Hardy, filé par Edmée Delettraz. A l'époque, il ne peut compter ni sur les portables, ni sur le GPS, ni sur Internet, alors il fait avec les moyens du bord. D'autant que Delettraz perd sciemment du temps, ce qui retarde son intervention. Mais probablement a-t-il déjà disposé un autre agent à proximité, afin d'identifier précisément le lieu e la réunion. Le temps de le retrouver, il est déjà bien tard. Un égarement dans les rues de Caluire, et le tour est joué.

Par chance pour lui, Moulin accumule un retard similaire. On a prétendu que sa prudence était au-dessus de tout soupçon, ce qui me laisse dubitatif. Toujours est-il que ce jour là, il ne pouvait absolument pas se permettre d'annuler une réunion aussi fondamentale.
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Nouveau message Post Numéro: 17  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 01 Fév 2007, 23:27

Tom a écrit:;) Finalement, pourquoi s'acharner sur Hardy alors que tant d'imprudences ont été commises et que, par exemple, le "cas" Aubry est loin d'être clair et pose un tas de questions.

1. Au second procès de Hardy, le docteur Dugoujon a confirmé sa déposition du 21 septembre 1944 : Aubry lui aurait confié que "Barbie le suivait depuis des semaines" (avant la réunion de Caluire).


L'avis perso d'Aubry. Lequel semble adepte de l'auto-flagellation, mais il est vrai qu'il est le grand responsable de l'arrestation de Délestraint, et sans doute en a-t-il conçu un grand remords. Je pense que cet homme est sorti moralement brisé de cette épreuve.



2. Au pont Morand, Barbie n'a, selon ses déclarations ultérieures, vu ni Jacques Baumel ni Madeleine Raisin.


Perdu. Si le doute demeure s'agissant de Baumel, Madeleine Raisin a révélé que Barbie, au cours d'un interrogatoire, lui avait dit l'avoir vue (Jacques Baynac, Les secrets de l'affaire Jean Moulin, Seuil, 1998, p. 364). Pour rappel, elle a été arrêtée le 22 juin, soit le lendemain de Caluire.



Or, si Barbie suivait Hardy, il aurait vu Baumel, Raisin et Aubry. En revanche, s'il suivait Aubry, il serait arrivé après le départ de Baumel et aurait pu partir avant l'arrivée de Raisin.


Ca fait partie de la propagande amorcée par l'avocat de René Hardy (voir notamment Maurice Garçon, Plaidoyer pour René Hardy, Fayard, 1950, p. 112-116) : ne pouvant nier la présence de Barbie (accablante pour son client), il la rattache à la négligence d'Aubry. Reste à savoir pourquoi Barbie ne s'en est pas vanté...

De même, et pour revenir à Madeleine Raisin, cette dernière constitue à ses yeux un tel double-zéro hiérarchique qu'il ne se souvient même pas l'avoir interrogée (interrogatoire de Barbie du 16 juillet 1948, reproduit in René Hardy, Derniers mots, Fayard, 1984, p. 545) ! En revanche, elle ne risque pas de l'oublier... Peut-être a-t-il voulu dissimuler un autre de ses faits d'armes de tortionnaire ?



3. Aubry était repéré : connu notamment du traître Multon et peut-être aussi d'un espion allemand qu'il aurait nommé, en toute bonne foi, inspecteur national de l'Armée secrète (!), il avait fait l'objet de rapports allemands détaillés.


Ah ? Lesquels ? Et quand ?

L'affirmation vient de Baynac (p. 367 de son livre). ;) Qui ne cite aucune source. En revanche, il prend bien la peine de signaler qu'Aubry fait partie de la liste de Résistants démasqués établie dans le Rapport Flora, émanant du gestapiste de Marseille, Ernst Dunker (19 juillet 1943). Or, ledit Rapport Flora annonce clairement que l'homme qui a livré "Max" n'est autre que...

... René Hardy.



4. Le général Desmazes, adjoint du général Delestraint à la tête de l'Armée secrète, a écrit, en 1945, au ministre de la Guerre que, lors de son premier interrogatoire à la Gestapo, on lui aurait dit que c'était A., de l'état-major de l'AS à Lyon, qui l'avait dénoncé. Or deux noms seulement commençaient par cette lettre : Aubry et Aubrac...


Là encore, c'est du Baynac (p. 368). ;)

Témoignage de seconde main aussi imprécis que peu convaincant, d'interprétations diverses. D'autant qu'il est clairement démontré qu'Aubrac n'a rien livré ni dénoncé (voir François Delpla, Aubrac. Les faits et la calomnie, Le Temps des Cerises, 1997).



5. Jean Sussel, déporté à Dachau avec le général Delestraint, a témoigné officiellement par deux fois que celui-ci lui aurait révélé avoir été arrêté sur dénonciation d'une personne importante de son entourage immédiat qui avait assisté à son interrogatoire à Paris. Or, Aubry y avait été transféré le 26 juin et y bénéficiait d'un régime de faveur...


Baynac, toujours (p. 368), lequel accumule les petits détails isolés sans un instant les analyser au regard des faits connus, préférant plutôt recourir au procédé inusable du "questionnement affirmatif". Or, il est historiquement prouvé que personne n'a dénoncé Delestraint. Il a été arrêté suite à une série d'imprudences d'Aubry. Et Baynac le sait très bien.

De plus, Delestraint a affirmé au contraire - et à tort - avoir été livré par "Didot" (pseudo de René Hardy) - voir Maurice Garçon, op. cit., p. 97.

Ce qui règle la question "Sussel".



Sans forcément incriminer Aubry et sans mentionner de nouveau ses graves manquements aux règles de sécurité, il faut, en tout cas, au moins admettre qu'il n'observait plus ces dernières et qu'il était vraisemblablement suivi...


Alors pourquoi les rapports allemands ne le mentionnent-ils pas ? Barbie et Dunker n'avaient-il pas intérêt à mettre en avant ce détail ?



En fait, à la base, seules les déclarations d'Edmée Delétraz, agent quadruple au bas mot


Pas quadruple : triple. Elle servait la Résistance, mais travaillait pour la Gestapo... et continuait de renseigner la Résistance - enfin, le réseau du colonel Georges Groussard.



et extrêmement peu fiable,


Elle était si peu fiable que, pour la contredire, René Hardy ira produire un faux témoignage (voir Henri Noguères, La vérité aura le dernier mot, Seuil, 1985, p 135)... Elle était si peu fiable que, pour la contester, son avocat ne trouvera rien de mieux à dire qu'elle travaillait exclusivement pour les nazis...



et celles de Klaus Barbie lui-même (reprises dans les rapports Kaltenbrunner et "Flora") ont incriminé Hardy.


Mais aussi Hardy lui-même, qui a tellement menti sur tant de points importants que la conclusion s'impose d'elle-même.

L'adjoint de Barbie, Steingritt, a également reconnu que Hardy était le traître. Mais il l'a nié au cours du second procès. Toutefois, un témoin, Georges Teulery, détenu comme ces deux personnages à Fresnes, les a vus "en bons termes, comme de bons et vieux amis" : sans doute l'Allemand a-t-il passé, en prison, un accord avec son ancien agent (voir Pierre Péan, La diabolique de Caluire, 1999, Fayard, p. 132-134). Ce qui remet en cause la sincérité du revirement de Steingritt.



D'après Barbie, Hardy lui aurait révélé la date de la réunion "quatre ou cinq jours avant". Or, même Jean Moulin ignorait le 16 qu'une réunion aurait lieu à Caluire le 21 !


Erreur de mémoire de Klaus Barbie, qui s'exprime cinq ans après les faits. Ca arrive.



De plus, Barbie a prétendu, entre autres fabulations, qu'Hardy aurait marqué à la craie jaune son parcours jusqu'à la pièce même de la réunion. Or, Hardy était accompagné de Lassagne et d'Aubry et aucun témoin n'a jamais vu la moindre marque !


En effet, des questions se posent ici - mais cela ne reste que du détail, qui ne résiste pas à d'autres faits bien plus lourds. En l'occurrence, je pense, soit que Barbie en a rajouté, par lacune mémorielle, ou par volonté de couvrir ses propres égarements dans Caluire, soit que Lassagne et Aubry n'aient rien remarqué, tout agités qu'ils étaient par l'imminence de la réunion.

Certains éléments ne pourront, de toutes les manières, jamais être connus. Mais ce n'est pas sur un tél détail que se joue la culpabilité ou l'innocence d'un homme, vous en conviendrez.



Bref, le récit de Barbie s'avère totalement fantaisiste, sans doute pour mettre en valeur ses qualités d'organisateur et pour dissimuler une réalité certainement plus prosaïque...


Mais alors, s'il ment, pourquoi n'accable-t-il pas également Aubry ?



Même si Hardy a été filé par un agent qui voulait savoir où il allait ce jour-là, il n'était peut-être pas le seul et n'a pas pu provoquer une intervention du commando Barbie qui eut lieu bien après son arrivée à la réunion et juste après celle de Jean Moulin, d'Aubrac et de Schwartzfeld...


OK, mais il n'est pas prouvé que ces trois là étaient suivis. Aucun document allemand n'en fait état.

Non, il faut admettre que Barbie a été, ici, servi par la chance. Le temps qu'Edmée Delettraz revienne, le temps de grimper sur Caluire, le temps de s'y retrouver dans cette bourgade, le temps de retrouver un autre agent qui suivait Hardy jusqu'à la villa du Dr. Dugoujon, le temps de repérer les lieux, cela fait déjà beaucoup...
Dernière édition par Nicolas Bernard le 01 Fév 2007, 23:48, édité 1 fois.
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Nouveau message Post Numéro: 18  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 01 Fév 2007, 23:44

betacam a écrit:Mais ce n'était pas une raison pour que le présentateur du journal, le traite de " pauvre type ". :evil:


C'est vrai, mais l'homme a tellement menti, et s'est si souvent acharné à se disculper en accusant ses propres confrères, qu'il faut bien en déduire qu'il possède une personnalité particulière.

Je ne cherche pas à le juger. L'époque était terrible. Hardy a fait le choix de braver l'occupant, ce qui était courageux. Mais son courage s'est évanoui face à Barbie, soit par peur de la torture (ce qui est humain), soit par amour pour une femme qui travaillait en réalité pour son pire ennemi (ce qui reste humain). Je n'ai rien à ajouter à ce propos, sinon qu'il a trahi et qu'il ne s'en est, au final, jamais remis. Je pense que, comme d'autres, il est plus à plaindre qu'à condamner. Mais après tout, je m'exprime ainsi soixante ans après les faits, ce qui reste un peu facile.
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Nouveau message Post Numéro: 19  Nouveau message de Tom  Nouveau message 02 Fév 2007, 14:49

:D Merci, Nicolas, pour toutes ces précisions assez convaincantes, il faut l'admettre.

Effectivement, au fond, pourquoi Barbie accuserait-il Hardy si celui-ci n'était pas coupable ? A ce sujet, il me semble, de mémoire, que Baynac (dont j'ai, en effet, rapporté quelques assertions) suggère que Barbie aurait voulu se venger d'un Hardy qui l'aurait dupé en lui livrant un plan de sabotage Fer périmé : il l'aurait alors fait désigner par Edmée Delétraz comme bouc émissaire afin, d'une part, de le faire abattre par la Résistance et, d'autre part, de dissimuler son véritable informateur.

En tout cas, reste à savoir pourquoi Barbie aurait organisé la rocambolesque évasion de Hardy s'il ne comptait utiliser ce dernier que pour capturer Max-Moulin, son objectif essentiel ?

A propos d'Edmée Delétraz, Nicolas écrit :
Pas quadruple : triple. Elle servait la Résistance, mais travaillait pour la Gestapo... et continuait de renseigner la Résistance - enfin, le réseau du colonel Georges Groussard.


Si j'ai écrit "quadruple", c'est parce qu'il me semblait que cette personne travaillait à la fois pour la Résistance, les Anglais, les Américains et les Allemands !

:cheers:

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Nouveau message Post Numéro: 20  Nouveau message de istinen  Nouveau message 02 Fév 2007, 20:33

Bonsoir,
Nouveau par ces lieux, j'avoue ne pas encore avoir tout parcouru dans ce forum, mais le sujet du drame de Caluire m'intéresse grandement et pour cause...Je suis l'arrière petit fils du Colonel Lacaze, ayant été arrêté, jugé puis libéré suite aux différents procès qui ont suivi.
Je suis complètement novice pour tout ce qui concerne la deuxième guerre, et ses à côtés.
Tout d'abord personnelle, ma démarche consistait au départ à chercher des informations sur mes ancêtres, et n'ayant jamais été très proche de ma grand mère (la fille du colonel Lacaze), et entamant aujourd'hui des recherches généalogiques, je pense me trouver au fur et à mesure une passion pour ce pan de l'histoire, malgré mon jeune Age.
Pour ce qui est de mon avis personnel sur cette affaire, je me garderai bien de polémiquer sur un traitre, tant ma connaissance sur le sujet est floue.
Sans prendre parti, je suis en train de lire la thèse de François Yves Guillain, qui retrace la vie du Général Delestraint, Gaulliste dans l'âme. Le passage de Caluire fait partie de cette thèse, et je remets un lien vers cette mine d'informations (que vous aurez peut être déjà parcourue).

http://perso.orange.fr/delestraint/index.htm
Cette thèse m'a entre autre permis de savoir que le Colonel Lacaze fut libéré pour avoir nié appartenir à l'armée secrète, ce qui me laisse perplexe.
Vous aurez très certainement un avis éclairé sur la question.

En attendant, si l'un d'entre vous a plus d'informations sur le Colonel Lacaze, n'hésitez pas à me contacter.

Je suis content d'avoir trouvé ce forum, que je consulterai souvent je pense...

En attendant, bonne soirée, et je retourne à mes lectures !
:D
Bizaplous


 

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