On n'a jamais rien demandé d'autre à une fortification !
C'est là la principale erreur que font la plupart de ceux qui se penchent sur ce sujet : croire que la fortif sert à gagner la guerre par les armes. C'est en grande partie faux !
Un attaquant déterminé arrive toujours à ses fins, du moment qu'il y met les moyens. C'est justement sur ces moyens que le défenseur base sa défense : la fortif va forcer l'adversaire à dépenser des forces, donc de l'argent, de façon considérable, et à prendre en compte ce gros point noir face à lui.
Sortons de l'Atlantikwall et de la période et illustrons :
- Sur le Limes romain le système est constitué schématiquement d'une palissade avec fossé derrière laquelle on trouve des tours de guet fortifiées, avec en arrière des camps de cavalerie, eux aussi fortifiés. Les peuples barbares d'en face sont obligés de se constituer en gros groupes bien armés pour organiser leurs raids sur la frontière. Résultat : le nombre de raids est limité (du moins jusqu'au IIIe siècle, après le système se fissure sérieusment, mais les romains les assimilent pour leur propre défense, bref n'entrons pas dans le détail ce n'est pas le sujet), les tours de guet servent d'alarme et peuvent tenir le temps que de l'aide soit venue.
- Un château du Moyen Age : contrairement à la croyance populaire, le nombre d'assauts réels tels qu'on les voit dans les livres pédagogique est relativement limité. La raison ? Les hauts murs très épais, les grosses tours, qui sont plus que dissuasifs. La guerre coûte cher, un seigneur a plus intérêt à négocier ou à ruser qu'à attaquer directement. Trop long, donc trop cher.
- Une place moderne (XVIe-XIXe) : héritière des ceintures urbaines médiévales, elle s'inclut dans une guerre plus globale, à l'échelle des Etats : il ne s'agit plus de faire cavalier seul, mais déjà de fixer l'ennemi autour de points forts pour pouvoir l'attaquer plus facilement avec des armées de secours. Là encore, on cherche à ralentir l'attaquant.
- Fin XIXe à la première moitié du XXe siècle (de Séré de Rivières aux fortifs des îles japonaises) : dans le cadre d'une guerre menée à très grande échelle, les fortifs vont servir à la fois à gagner du temps lors de la mobilisation (cas de Maginot dans la théorie), de canaliser les attaques ennemies (encore Maginot : les Allemands sont là où on les attend en 40, c'est à dire en Belgique), et à gagner du temps lors de l'assaut ennemi, sachant qu'elles ne tiendront pas plus de quelques heures/jours.
On le voit, les fortifications n'ont JAMAIS eu pour mission d'arrêter l'ennemi
ad vitam aeternam : il ne s'agit toujours que de gagner du temps. Dans un contexte moderne, on y ajoute l'aspect purement moral, à travers la propagande, qui permet à la fois de maintenir le moral de la population que l'on défend, et de faire douter l'attaquant potentiel. De cette manière, on le force à mieux préparer son attaque, donc à retarder son lancement.
Rommel ne s'y trompait pas : il n'attendait pas plus de quelques heures de résistance sur la côte, d'où sa demande de masser les troupes blindées juste derrière, pour lancer directement une offensive sur les plages. Le reste de l'Etat-Major allemand ne s'y trompait pas non plus, puisqu'il préconisait de laisser les Alliés réaliser une tête de pont...
Dépassé le concept ? Pas si sûr. Une côte sans défense aurait permis aux Alliés de lancer leur assaut beaucoup plus tôt, avec des moyens plus limités. Le raid sur Dieppe sans fortifs en face aurait été quelque peu différent, et le Débarquement de Normandie sans fortifs plus facile. Cependant, les Allemands auraient manqué de troupes un peu partout sans les fortifications, qui leur permettaient à peu de frais d'économiser des hommes : on considère en général que pour un homme sous béton il en faut quatre à l'extérieur... Le calcul est vite fait.
Bonne soirée,
Seb.
Pffff... A peine levé que je commence déjà à faire le cours de fortif que je vais faire toute la journée à mes visiteurs