Entre Manstein et Guderian

Bonjour à tous,

Actuellement je suis en plein dans l’ »écosystème » Koursk, en ayant achevé la lecture des ouvrages de Nicolas Pontic et de Roman Töppel sur le sujet. Et je ne sais plus dans lequel des deux, mais un passage n’a pas manqué de susciter mon intérêt. L’auteur (lequel ?) mettait en évidence la dualité hypocrite de Hitler quant à ses relations avec Manstein et Guderian.

L’auteur met en évidence le respect - probablement sincère - de Hitler envers Guderian, pour ses qualités tactiques et son expertise en matière de blindés. Mais selon lui ce respect n’est pas tangible, en témoignent les échanges souvent houleux entre les deux hommes, et le manque de respect chronique envers Guderian. Le passage en question indique aussi qu’Hitler rappelle à Guderian de nombreuse fois ô combien ses écrits d’avant-guerre sont précieux, qu’il lui arrive de se replonger dedans ect.

A contrario, l’auteur souligne un prétendu « mépris » (j’aurai davantage employé le terme « jalousie ») de Hitler envers von Manstein. Et pourtant il indique que les rapports sont bien moins houleux entre les deux, en apparence du moins.

J’aimerai alors comprendre, si vous avez des informations, sur la nature de cette…dualité difficilement compréhensible. La logique, vous en conviendrez, souhaiterait que l’on traite au mieux celui pour qui on a un respect sincère. Je pense de prime abord que Hitler voyait en Von Manstein un subordonné imposant, certes caractériel, mais compétent ; un peu à la manière d’un Model.

[Dog Red]

L’auteur met en évidence le respect - probablement sincère - de Hitler envers Guderian, pour ses qualités tactiques et son expertise en matière de blindés. Mais selon lui ce respect n’est pas tangible, en témoignent les échanges souvent houleux entre les deux hommes, et le manque de respect chronique envers Guderian. Le passage en question indique aussi qu’Hitler rappelle à Guderian de nombreuse fois ô combien ses écrits d’avant-guerre sont précieux, qu’il lui arrive de se replonger dedans ect.

C'est un avis d'auteur à travers un ouvrage dont le sujet principal n'est ni GUDERIAN ni MANSTEIN.
Que connait l'auteur de ces deux généraux et leur relation avec HITLER ?
A-t-il écrit spécifiquement sur ces sujets ? Son avis est-il fondé ou suggestif ?

Concernant GUDERIAN et MANSTEIN (je te conseille la lecture de leurs mémoires... ...ils tirent magistralement la couverture à eux et l'ouvrage de LEMAY sur MANSTEIN pour commencer à te faire ta propre opinion).

Le carriériste GUDERIAN "frotte la manche" de HITLER depuis le milieu des années 30, éclipsant tout autre pionnier de la Panzerwaffe que lui-même.
Dans ce cadre il va rivaliser avec MANSTEIN autour du châssis du Pz.III.
Le début de production du Pz.III est poussif ; GUDERIAN en réclame plus pour doter les divisions blindées pendant que MANSTEIN en détourne pour la production du canon d'assaut StuG III dont il est le concepteur.

Mais MANSTEIN/GUDERIAN sont surtout le tandem victorieux de "Fall Gelb" et de la retentissante revanche contre la France.
Durant "Barbarossa", GUDERIAN va s'opposer à HITLER, à tort, dans le choix des axes d'attaque Moscou vs Kiev.
Et il sera "écarté" lorsque les choses tourneront mal.

MANSTEIN va s'opposer à HITLER début 43, à raison, dans l'affaire de Karkov (3e bataille du nom).
Il sera écarté en 1944 après un énième désaccord avec HITLER ; à partir de ce moment-là, HITLER ne met plus à la tête de l'état-major de l'OKH que des officiers serviles.

Pour revenir à GUDERIAN, HITLER le réactive début 1943.
GUDERIAN est opposé à une reprise de l'offensive à l'été 43 et préconise une remise à niveau des Panzer-Divisionen sur base des Pz.IV et un usage plus intensif des StuG.III (son opinion a évolué) qui ont fait leurs preuves et sont plus faciles et moins couteux à produire que les nouveaux Pz.V et VI qui vont seulement faire leurs maladies de jeunesse et vont nécessité un temps de rodage.
GUDERIAN sera fidèle (il est bien payé) à HITLER jusqu'à la 23e heure (comme les autres chefs d'état-major de l'OKH il sera limogé) et certainement dans l'épuration de la Wehrmacht consécutive à l'attentat du 20 juillet 1944.

A la même époque, MANSTEIN est favorable à une offensive d'été pour parachever la victoire de Karkov en arrasant le saillent de Koursk (la raspoutitsa à empêché cette manoeuvre finale au printemps)... ...puis il doute...
comme tu l'auras probablement constaté à la lecture de TÖPPEL.

Et HITLER dans tout ça ?
Il manoeuvre habilement des jalousies/rivalités entre ses grands subordonnés pour arriver à ses fins (à sa fin en l'occurrence).
C'est sa marque de fabrique. Il le fait avec tous, depuis toujours, avec pragmatisme (et probablement cynisme ??).

Et quant à MODEL, à mon avis il n'est en rien comparable aux deux autres. Ni en statut, ni en tempérament, ni en qualité.
Avis tout à fait personnel (pour MODEL je te conseille la lecture de la biographie écrite par FELDMANN l'année dernière).

Effectivement l’ouvrage ne porte pas spécifiquement sur les deux officiers. Mais j’ai néanmoins trouvé intéressant (bien que ce ne soit pas totalement établi) la nuance dans la différence de traitement envers les deux. Je n’en avais pas connaissance pour Guderian mais pour Von Manstein j’avais eu d’autres sources qui allaient plutôt dans ce sens. La plupart le décrivent comme un mégalomane, très imbu de sa personne. En partant de ce point et même si ce n’est pas vérifié, cela ne m’étonnerait pas qu’on dise que ses rapports avec Hitler étaient ambivalents. Allant du respect, à la jalousie, la détestation. + je prend note pour l’ouvrage sur Von Manstein.

[Dog Red]

Allant du respect, à la jalousie, la détestation.

Des hommes normaux.

Les MANSTEIN/GUDERIAN sont issus de la vieille aristocratie d'épée prussienne.
HITLER est un politicien parvenu importé d'Autriche (le "Caporal bohémien") qui traine avec lui toute une engeance de basse extraction.

On imagine l'ambiance !

Je me passionne plutôt pour les généraux américains.
Dans un tout autre contexte ils sont tout aussi ambitieux, vaniteux, calculateurs, jaloux et peuvent se détester sans jamais rien en montrer.

Des hommes normaux.

Manstein, mégalomane ? Surement pas! Mais compétent, çà, c'est sûr et en étant, lui-même, conscient, de par sa propre expérience militaire. Sa probable seule erreur commise avait probablement été de vouloir persévérer, à l'été 1943, dans l'élimination du Saillant de Kursk, se mettant, alors, en contradiction avec l'avis des autres généraux concernés. Dans cette affaire, Dodolf s'était, lui-même, plus ou moins fait forcer la main, car, au départ, il n'avait donner son feu vert que pour deux opérations plus limitées, les opérations Habicht & Panther; c'est Manstein qui l'avait finalement convaincu, le 15 avril 1943, de mener une action plus ambitieuse, l'opération Zitadelle, censée être menée début mai.

En dehors du fait, que les préparatifs ayant pris un temps fou, le déclenchement avait été différé deux fois, l'une, fin mai, à cause de la météo, l'autre, courant juin, suite aux retards de production, qui avaient décalé d’autant la prise en main par les équipages, des nouveaux blindés - Panther, Tiger, Ferdinand, Sturmpanzer-. Tiens, c'est marrant, mais qui était, alors, depuis février 1943, le "Patron" des Panzertruppen... Guderian! ... Le même, qui avait, aussi, négocié, avec "Dodolf", un poste, en tant que General Inspekteur de l'Inspektorat 6 (Panzertruppen), qui le plaçait, ainsi, au même niveau hiérarchique, par rapport au Führer, que les plus hautes autorités de la Heer, de la Kriegsmarine ou de la Luftwaffe!

Depuis le mois d'avril, çà avait, également, viré en "eau de boudin", en Tunisie, puis, peu après, les Alliés avaient débarqué en Sicile, menaçant directement l'Italie, où çà puait, déjà, grave, du côté de la fiabilité de "l'Allié" italien. en plus, durant l'offensive Zitadelle, çà avait sérieusement coincé sur l'aile Nord.

Le 13 juillet, au matin, A. Hitler avait convoqué Manstein (Aile Sud) & Kluge (Aile Nord), à son QG de Prusse-Orientale, pour leur signifier sa décision d’interrompre l’opération Zitadelle. Les progressions étaient insuffisantes, la ligne de front allemande, qui avait reculé, autour d’Orel, était désormais sous la menace d’une offensive russe et les dernières informations communiquées par les 1. & 6.Armee signalaient d’inquiétants renforcements des Soviétiques, dans le bassin du Donets, partie méridionale du Heeresgruppe Sud.

Le débarquement anglo-américain en Sicile, le 10 juillet, constituait un autre souci ; le Führer n’ayant aucune confiance dans la combativité des Italiens, il était indispensable de transférer, dans les plus brefs délais, des troupes en Italie, dans les Balkans et constituer, rapidement, de nouvelles armées, ce qui impliquait de retirer des unités, sur le Front Est. Manstein, qui jugeait les russes à bout de souffle, persistait dans son idée d’un proche succès, sous réserve que la 9.Armee/Heeresgruppe Mitte poursuive sa progression ; Kluge, dont les troupes venaient de se casser les dents, deux jours de suite, sur les lignes russes, doutant d'y parvenir, s'était rallié à la décision d’Adolf Hitler ; Manstein s'était vu, cependant, accorder un peu de délai pour infliger, dans son secteur, une défaite partielle, mais suffisamment conséquente, aux russes, afin de réduire leur capacité de contre-attaque.

Le lendemain, 13 juillet, Hitler confiait à Model, le commandement des II.Pz-Armee & 9.Armee, avec ordre de rétablir le front et d’en éliminer les pénétrations ennemies. Les espoirs de Manstein s’étaient, pour diverses raisons, avérés vains et, le 17 juillet, le II. SS. Panzerkorps était retiré du front, en vue de son transfert en Italie, alors que, confirmant les craintes du Führer, l’Armée Rouge (Fronts Sud-Ouest et Sud) passait à l’offensive, sur le flanc droit du Heeresgruppe Sud.

Manstein n'avait pour autant pas démérité, mais les circonstances, à l'été 1943, n'étaient pas (ou plus) en sa faveur. Sinon, Guderian, avec sa formation et sa longue expérience avérée d'officier d'état-major, était largement plus à son aise, en tant General Inspekteur de la Panzerwaffe, que, sur le terrain, même, si, lui-même, n'a jamais pour autant démérité, en tant que commandant de corps d'armée. En gros, on pourrait résumer leurs compétences respectives, en considérant Manstein comme étant une " haute pointure terrain", et Guderian, comme un excellent "administrateur".