Quand on parle 'bombardement allié', on pense forcément aux dégâts collatéraux en petite ou grande périphérie de l’objectif initialement visé
avec ce que cela implique pour les populations.
Pour essayer de mieux comprendre les causes de ces ‘ratés’ voici quelques éléments de réponses .
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En 1941, le plan de l'USAAF visant à mettre en œuvre « Rainbow 5 » (*), le plan de guerre de base entre l'armée et la marine, a été rédigé par quatre officiers qui avaient été les chefs de file de la précision du bombardement diurne à l'école tactique . Le plan n°1 de la Division des plans de guerre aérienne (AWPD-1) prescrivait de mettre l’accent sur les bombardements de précision contre l’infrastructure nationale allemande, l’industrie et en particulier l’industrie aéronautique,
Selon les données d'entraînement aux bombardements, un bombardier lourd à 6000 m d’altitude avait une probabilité de 1,2 % de toucher une cible de 30 m carrés. Il faudrait environ 220 bombardiers pour atteindre une probabilité de 90 % de détruire la cible.
Le bombardement était une action compliquée. L'endroit où la bombe percutait dépendait de la direction et de la vitesse de l'avion au moment du largage, de l'aérodynamique du projectile, ainsi que du vent et des conditions atmosphériques pendant le ‘vol’ de la bombe .
Le bombardier regardait à travers son viseur pour trouver la cible quelque part devant lui, puis effectuait des ajustements pour compenser les effets de la dérive due au vent ainsi que de la vitesse de l'avion. Il fixait alors la cible dans la ligne de mire et guidait ainsi l’avion jusqu'au point de largage automatiquement calculé grâce à la liaison entre son viseur et le pilote automatique.
L'historien Stephen L. McFarland en a expliqué le principe en prenant pour exemple un B-17 volant à 300 km/h à 6900 m et larguant une bombe de 300 kilos . La bombe a été larguée à une distance, mesurée au sol, de 2700 m de la cible. Elle a chuté pendant 38 secondes. Si la vitesse calculée pour l'avion était erronée de 3 km/h et l'altitude erronée de 7,5 m, cela faisait une différence de 345 m au point d’impact !
La puissance limitée des bombes a aggravé le problème. Une bombe de 250 kilos, standard pour les missions de précision après 1943, avait un rayon mortel de seulement 18 à 27 m. Elle a creusé un cratère d’à peine 0,60 m de profondeur et 2,70 m de diamètre . Avec une précision de bombardement mesurée en centaines de mètres.
Des ratios aussi élevés entre les munitions dépensées et les résultats obtenus n'étaient pas inhabituels en temps de guerre,. Il a fallu aux Allemands en moyenne 16 000 obus antiaériens de 88 mm pour abattre un seul bombardier lourd allié.
Les bombardements de précision de jour ont connu un début difficile. Lorsque la 8ème Air Force fut créée en Angleterre en 1942, ses méthodes étaient en contradiction avec celles de la RAF. Le maréchal de l'Air Arthur T. Harris, chef du Bomber Command, était le principal partisan du « city busting » (destruction de la ville), la campagne de bombardements nocturnes qui ciblait les centres de population et la main-d'œuvre allemande. Il a été soutenu en cela par Winston Churchill et par une politique nationale de «délogement » des Allemands.
Les bombardements étaient tout sauf précis. Le diamètre moyen d’erreur en 1943 était de 360 m, ce qui signifie que seulement 16 % des bombes tombaient à moins de 300 m du point de visée.
La prédiction d’avant-guerre selon laquelle les chasseurs ne pourraient pas intercepter les bombardiers était fausse. La Luftwaffe et les défenses terrestres faisaient payer un lourd tribut aux bombardiers s'ils s'aventuraient sans escorte de chasse au plus profond des territoires hostiles. Alors que le taux de perte atteignait 8 % au début de 1943, les équipages comparaient leurs chances de survie à un tour d’opération de 25 missions. Lors du raid sur Ploesti en Roumanie, en août 1943,dont nous avons parlé très récemment, les pertes étaient de 30 % et sur Schweinfurt en octobre, de 28 %.
Un tournant important
Personne n'a abordé les problèmes de précision et de pertes avec plus d'initiative que le colonel Curtis E. LeMay, commandant du 305e groupe de bombardement à Grafton-Underwood, en Grande-Bretagne.
Il identifia les meilleurs bombardiers (l’homme, pas l’avion), en fit des « bombardiers de tête » pour la formation et demanda à tous les avions de larguer leurs bombes lorsque le bombardier de tête le faisait.
LeMay a également conçu une formation de « combat box » échelonnée, qui donnait aux B-17 un champ de tir maximal pour un soutien défensif mutuel.
Le général Curtis LeMay
Après Schweinfurt, les B-17 ne pénétrèrent plus profondément en Allemagne jusqu'à ce que des chasseurs à longue portée P-38 et P-51 soient disponibles pour les escorter. Le meilleur des chasseurs était de loin le P-51, qui pouvait escorter les bombardiers jusqu'à leurs cibles les plus éloignées. Après 1943, tous les chasseurs, y compris les P-47, reçurent des réservoirs de carburant largables pour augmenter leur autonomie.
Le tournant s’est véritablement produit au début de 1944. À cette époque, le général Ira C. Eaker était commandant en chef des forces aériennes alliées en Méditerranée. Le major-général Jimmy Doolittle le remplaçant en tant que commandant de la 8ème Air Force. Plusieurs choses allaient changer.
La précision des bombardements de l'USAAF s'est améliorée. En 1945, la 8ème Air Force opérait à des altitudes beaucoup plus basses et plaçait jusqu'à 60 % de ses bombes à moins de 300 m du point de visée, soit près de quatre fois mieux que pendant les jours sombres de 1943. Le bombardement assisté par radar, adopté par les Britanniques, était une alternative lorsque les conditions météo ne permettaient pas une transmission visuelle, mais ce n'était pas une technique de précision au vrai sens du terme.
Le Bomber Command a poursuivi ses bombardements nocturnes. À partir de 1942, 56 % de ses sorties furent dirigées contre des villes. À certaines occasions, notamment lors du bombardement de Dresde en 1945, l’USAAF s’est jointe aux Britanniques pour bombarder des villes, mais dans l’ensemble, moins de 4 % des bombes américaines en Europe visaient des civils. Les principales cibles de l'USAAF étaient les gares de triage (27,4% du tonnage de bombes larguées), les aérodromes (11,6 %), les installations pétrolières (9,5 %) et les installations militaires (8,8 %).
Effectuer un bombardement à haute altitude en tenant compte de la vitesse-sol, la visibilité , la Flak, une dérive due au vent , la chasse de nuit, le ‘timing’ entre le premier avion et les suivants qui, bien entendu n’était pas le même. Les suivants se repérant sur les fumées, les incendies etc..on peut mieux réaliser que malgré toute la volonté des bombardiers pour cibler les limites de l’objectif n’était pas du tout chose facile et quand le raid comprend des centaines d’avions étalés en longueur, en largeur, en altitude sur l’objectif que ne pas « arroser » était chose quasi impossible. Une poignée de secondes en avance ou en retard au largage aura sans aucun doute, des conséquences dévastatrices au sol.
LeMay félicitant les équipages du 305th Bombardment Group
Le bombardement dit « chirurgical » n’était pas encore inventé !
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(*) Au cours des années 1920 et 1930, les forces armées des États-Unis ont élaboré un certain nombre de plans de guerre à code couleur qui décrivaient les stratégies américaines potentielles pour divers scénarios de guerre hypothétiques. Les plans, élaborés par le Comité conjoint de planification (qui deviendra plus tard les chefs d'état-major interarmes), furent officiellement retirés en 1939 au début de la Seconde Guerre mondiale en faveur de cinq plans « arc-en-ciel » développés pour faire face à la menace d'un conflit entre deux océans, en clair la guerre contre plusieurs ennemis.
Sources :
https://www.airandspaceforces.com/article/1008daylight/
La guerre aérienne de P.Falcon -Docavia