Voici un témoignage de Wally Parr trouvé sur ce lien :
http://www.ouest-france.fr/dossiershtm/ ... nt/96d.htm
«Quand j’y pense, je me dis : non ! Ce n’est pas moi. Mais quand je suis sur le pont, alors je me retrouve aussitôt dans l’action...» Pas besoin d’être sur le pont pour que Wally Parr revive intensément ces heures historiques de la nuit du 5 au 6 juin 44, dont il fut l’un des héros. Un petit appartement à Vernon (Eure) lui suffit. Les planeurs, le pont, les bunkers, le major Howard et les «germans» sont là sans sa mémoire malgré 55 années qui n’ont pas trahi ses souvenirs.
A 77 ans, Wally pourrait être las, comme des vieilles vedettes à qui l’ont fait raconter cent fois leurs débuts. Lui, pas du tout. Avec la maîtrise du professionnel, il attend le départ du magnétophone et se lance dans un récit échevelé. Surtout, ne pas l’interrompre, ne pas être distrait sous peine d’être rabroué. L’écouter et le suivre dans son planeur Horsa et sur le pont de Bénouville. Il est l’un des trente derniers rescapés des 180 de Pegasus Bridge : cela lui confère privilège et autorité. Il en est légitimement conscient.
Le gavroche des faubourgs de Londres a été élevé à la dure, champion de boxe et engagé à 16 ans alors qu’il en prétendait 18. Quatre ans de préparation forcenée, nuit et jour, dans ce commando de la mort où les mauviettes ne faisaient que passer. Quatre ans sans savoir que l’objectif final serait une certaine nuit de juin 44 un pont en Normandie, objectif numéro un du Débarquement.
«Pour venger Coventry...» clame-t-il le visage empourpré et en tendant ses poings serrés. «Pour venger Dunkerque...» tonne-t-il les yeux soudain embués de larmes. Un patriote et un sentimental sous une écorce de dur à cuire. C’est cela Wally Parr. Cinq juin 44 : c’est pour ce soir. Ils ont répété pendant des semaines et des mois, l’attaque suicide de Pegasus Bridge. Des ponts semblables dans la campagne anglaise ont été réquisitionnés pour l’entraînement du commando. Mais une difficulté de taille : Pegasus Bridge doit être miné. Pas les ponts anglais. Alors on a calculé qu’entre l’atterrissage des planeurs et l’attaque, tout irait vite, que les Allemands n’auront pas le temps d’actionner la mise à feu. En principe. Car tout ici est théorique. D’où les risques d’échec qui font douter Howard, malgré son apparente sérénité. Les hommes eux sont gonflés à bloc. «On avait confiance en lui».
Serrés comme des sardines
22 heures. Sur le terrain de Torrant Rushton, les six planeurs Horsa sont alignés. Des bombardiers Halifax vont les remorquer jusqu’en Normandie. «On nous a bourrés là-dedans, assis sur des bancs, serrés comme des sardines, aïe, aïe, aïe, trente par planeurs et quarante kilos de munitions sur le dos, tandis que les hommes et les femmes de la RAF nous encourageaient. Hello ! Hello ! Hello !», fait Wally en mimant les autres. Avant de partir, ils ont écrit une lettre d’adieu. Dans le cas où... «Ah ! Maman» fait Wally en simulant des pleurs. Maintenant ils chantent : «It’s a long way...» Histoire de chasser l’angoisse.
Wally est dans le planeur numéro un, celui du chef, piloté par Jim Wallwork, un as du pilotage qui a répété sans arrêt la manœuvre, depuis des semaines, avec le pilote du bombardier, Bob Stodley, car la remorque crée des remous dangereux. La Manche. Traversée difficile. Certains ont envie de vomir. Pas Wally, naturellement. Altitude 3 000 pieds. Dessous beaucoup de nuages. Puis des éclaircies. La côte normande. Verticale Cabourg. Longue descente. Largage de la remorque. Le roulis s’arrête. Plongée vers le sol. Affreux. Un ascenseur qui décroche : «On était tous recroquevillés, tassés par la chute : wakkk...». Il se tasse sur sa chaise. Large courbe, puis une autre et encore une autre. Dessous, le canal et l’Orne, c’est entre les deux qu’il faut se poser. Aéro-freins, le parachute. Cent à l’heure. Le sol. Le planeur rebondit, une fois, deux fois, plusieurs fois, dans un bruit infernal de ferraille tordue et de bois cassé. Soixante à l’heure dans les barbelés. Boum ! «On était tous groggy. Swing !», s’exclame Wally, en imitant le KO.
A moins de 50 mètres !
«Go, debout ! a crié Howard, pas moins groggy que les autres, j’ai ouvert la porte arrière et sauté dans l’eau du marais. Plouf ! J’avais mon casque sur les yeux. Je l’ai relevé. Ouah ! Bon dieu, le pont était là !». Ils avaient atterri à moins de cinquante mètres de l’objectif. Là-haut, la sentinelle fait les cent pas. Rien vu, rien entendu. Incroyable ! Maintenant, il faut y aller. Alors commence pour Wally Parr un étonnant numéro de mime et de bruiteur qui lui fit revivre la bataille. «To creep ! To creep !», lance-t-il en faisant mine de ramper. L’entrée d’un bunker. Une sentinelle endormie. L’éclair d’une lame. Une carotide tranchée. «Couic !» au tour des chambrées maintenant. Ils sont plusieurs à y passer. En silence : «couic, couic, couic». Dans ces moments-là, pas de sentiment. Pourtant, Wally en fait. «J’ai découvert un jeunot ; 16, 17 ans, si jeune et apeuré qu’il aura la vie sauve. Je l’ai attaché à un arbre et lui ai dit : si tu y arrives sauves-toi».
«Was ist das ?» Là-haut sur le pont la sentinelle est aux aguets, regarde, écoute. Et brusquement, Helmut Romer prend ses jambes à son cou et s’enfuit. On le retrouvera dans une grange de Bénouville, beaucoup plus tard. Et Wally le rencontrera en Allemagne quelques années après, content qu’ils soient l’un et l’autre toujours en vie. Étranges prolongements de la guerre où la mort fait place à l’amitié.
La mort cependant, elle est là sur le pont où gît le lieutenant Brotheridge que découvre Wally. «Ta, ta, ta, ta, ta...», mitraillé alors qu’il traversait le pont. Wally s’attendrit un instant, à l’évocation des lèvres murmurantes, puis closes, de son lieutenant. Mais aussitôt, le combat reprend qu’il revit avec plus d’intensité qu’avant. Et les Gondrée. Ah ! Mme Gondrée, la méfiante Mme Gondrée qui n’a pas encore compris que maintenant c’étaient les Anglais qui remplaceraient les Allemands dans son café : «Mme. Gondrée était avec ses deux fillettes dans sa cave. J’avais ma grenade à la main. Elle a crié : Libération ! Libération ! Alors, j’ai donné du chocolat aux enfants. Mais elle n’a pas voulu qu’elles le mangent. Elle avait peur qu’il soit empoisonné...»
Il rit en simulant des borborygmes évocateurs. Et le récit continue, ponctué d’onomatopées, d’exclamations, de grimaces et de mimiques jusqu’à l’arrivée mélodieuse de la cornemuse de Bill Millin sur le coup de midi. La cornemuse, Wally renonce à l’imiter. Trop difficile. Mais comment faire passer par la magie des mots, ce que Wally Parr sait si bien imiter par l’artifice de sa voix ? Comment ? Sinon en appelant au secours votre imagination. Et vous revivrez, comme si vous y étiez Pegasus Bridge au matin du 6 juin.
Claude MASSON.
Et voici une photo de Wally Parr :