Le Journal de Montréal
9 décembre 2016
Éric Thibault
« Vétéran de la Seconde Guerre mondiale et véritable légende à la police de Montréal, Jacques Cinq-Mars était un «dur à cuire» qui n'avait «peur de personne».
Le capitaine-détective Cinq-Mars, dont la réputation semait la crainte dans le milieu criminel de la métropole à l'époque ou il dirigeait d'une main de fer la fameuse escouade de la «patrouille de nuit», s'est éteint à l'âge de 96 ans, le 27 novembre dernier.
«Né pour l'action»
«Pour faire face aux criminels endurcis, Jacques était le bon gars. Que ce soit des voleurs de banque ou des évadés de prison, il était toujours le premier arrivé pour les arrêter», a témoigné Gilbert Gagnon qui a travaillé à ses côtés.
Cinq-Mars disait être «né pour l'action». Et il n'en a pas manqué. À 20 ans, il s'est enrôlé dans les forces armées, le 17 avril 1940, «parce que le pays était en guerre et c'est ce qu'il fallait faire», relate-t-il sur le site web du régiment des Fusiliers Mont-Royal, dont il a fait partie.
Le matin du 19 aout 1942, le soldat d'infanterie comptait parmi 4900 militaires canadiens engagés dans le débarquement de Dieppe, en France.
Il a été blessé par deux balles tirées par les soldats allemands et 14 éclats de mortier, avant d'être fait prisonnier et envoyé aux travaux forcés dans des camps de concentration.
Du sang-froid
Il ne pesait plus que 128 livres quand les troupes américaines du général Patton l'ont libéré, le 1er mai 1945.
Cinq-Mars s'est joint au service de police de Montréal le 2 juillet 1946. Après avoir travaillé au poste 2 au coin des rues Frontenac et Rouen, il devient sergent en 1955. Un jour, des patrouilleurs étaient regroupés à l'extérieur d'un immeuble dans lequel un homme armé s'était barricadé. Cinq-Mars leur a demandé ce qu'ils attendaient là avant d'entrer dans l'immeuble, seul, et d'en ressortir avec le forcené.
« C'était un gars solide, un leader respecté. Il n'avait peur de personne», a dit André Sasseville, président de l'Association des policiers retraités de Montréal.
Il fallait avoir du sang-froid pour passer des années à affronter les braqueurs armés et les fugitifs, dont le dangereux assassin Richard Blass, qu'il a déjà arrêté.
«J'étais partout»
Promu capitaine-détective en 1970, il sera patron de la «patrouille de nuit» jusqu'à sa retraite. Les membres de cette brigade faisaient la tournée des boîtes de nuit, mitraillette à la main, pour réprimer la criminalité. «On touchait à tout et j'étais partout» a relaté cet Eliot Ness québécois sur le site web de son ancien régiment militaire.
Il s'est retiré le 3 janvier 1980. Son seul regret: que la brigade de choc qu'il a dirigée ait ensuite été démantelée par la police de Montréal. »Dans ce temps-là, t'étais obligé de prendre ta retraite à 60 ans. Mais lui, même à cet âge-là, il avait encore la flamme dans les yeux pour son métier. C'est rare», a dit Gilbert Gagnon.»
Carrière bien remplie
Cicatrices de guerre
«Sur le raid de Dieppe, on était 26 dans mon bateau. Il y en a 24 qui sont mort», relate Jacques Cinq-Mars sur le site des vétérans Le Projet Mémoire. «On ne pouvait pas faire grand-chose, à part se clouer sur la plage. Il y avait une falaise de 65 pieds, les Allemands étaient en haut et ils tiraient sur nous en bas. ¨Ca n'allait pas bien.»
Trois ans de camps de concentration
«C'était terrible. Je me suis sauvé. J'ai été rattrapé. On ne mangeait pas beaucoup. On travaillait dans le bois. Il fallait faire une corde et demie par homme, par jour. Autrement on ne rentrait pas», a-t-il dit sur le même site.
La police a failli refuser
En 1946, la police de Montréal a «failli» refuser de l'embaucher «parce qu'il souffrait de varices et ne pouvait marcher sur de longues distances», écrivait en 1980 le policier André Sasseville dans La Flûte, le journal de la Fraternité des policiers de Montréal. Dans ce qui fut baptisé «la marche de la mort», le soldat Cinq-Mars avait pourtant été forcé par les troupes nazies de marcher sur 1800 km avec des milliers d'autres prisonniers, dont 3000 ont péri de froid ou de faim.
Capitale des vols de banque
Dans les années 60, il traquait les braqueurs de banque. Montréal avait alors le statut de «capitale du hold-up» en Amérique du Nord. Il y en a eu jusqu'à 1400 dans la pire année, comparativement à une centaine aujourd'hui. Des voleurs y ont laissé leur peau. Des policiers aussi. En 2012, Cinq-Mars a dit au réseau CTV que l'une de ses «pires journées en carrière» a été le 14 décembre 1962, quand les agents Claude Marineau et Denis Brabant ont été abattus sur les lieux d'un vol de banque. «Mais ça fait partie des risques du métier de policier.»
Méthodes d'une autre époque
La trentaine de policiers de la défunte «patrouille de nuit» qu'il a dirigé dans les années 70 n'était pas reconnus pour mettre des gants blanc. Dans le documentaire Shotgun Ménard, diffusé sur Historia cette année, Cinq-Mars louait l'efficacité de son ex-confrère Robert Ménard dans cette brigade, malgré leurs méthodes peu orthodoxes et parfois brutales. «Ce n'était pas la même police qu'on voit aujourd'hui», a simplement rappelé au Journal Gilbert Gagnon, qui a travaillé dans cette escouade, en évoquant l'époque ou le comité de déontologie policière n'existait pas.»
Il a inspiré un romancier
Jacques Cinq-Mars a même inspiré à l'écrivain Trevor Ferguson le personnage du détective Émile Cinq-Mars, héros d'une série de romans à succès vendus à plus d'un quart de million d'exemplaires dans le monde, dont La ville de glace. «Quand il a pris sa retraite (la police) a changé les règles pour qu'aucun autre policier ne puisse jamais devenir aussi populaire et puissant qu'il l'était», déclarait Ferguson, dont le nom de plume est John Farrow, en entrevue à l'Agence QMI en 2011.»
Le Journal de Montréal. Section Actualités. vendredi 9 décembre 2016. p 10-11.
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