Henri Rapaport (1914-2014), résistant, journaliste.
Le Monde.fr | 13.02.2014 à 13h02 |
Par JEAN-YVES LHOMEAU
Henri Rapaport (1er à gauche), 1936 | D.R.
En 1938, Henri Rapaport, instituteur, était pacifiste. Né le 20 avril 1914 à Paris, il avait alors 24 ans. Après avoir quitté les Etudiants puis les Jeunesses socialistes, il militait à la Fédération des étudiants révolutionnaires.
Pacifiste malgré la guerre d'Espagne. Pacifiste en dépit de la montée du nazisme. Pacifiste, ce jeune homme plutôt fluet mais beau gosse qui, contre les Camelots du Roi, encaissait plaies et bosses aux alentours de la place de la Sorbonne où, étudiant en lettres, il habitait. Pacifiste bien qu'ayant participé à la manifestation anti-fasciste du 12 février 1936, prélude au Front populaire de Léon Blum, riposte aux affrontements sanglants – une vingtaine de morts, deux mille blessés – entre les ligues d'extrême droite et la police, le 6 février précédent, place de la Concorde à Paris. Pacifiste malgré tout, adepte d'un slogan toujours vivant : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les marchands de canons. » Pupille de la nation dont le père, en 1915, est « mort au champ d'honneur », comme on dit, soldat toujours inconnu.
Pacifiste. « C'est la plus belle erreur de ma vie » dira-t-il. Erreur corrigée dès 1940. Il refuse le cachet « juif » sur sa carte d'identité, prend contact avec les premiers résistants, quitte Paris pour Limoges en avril 1941, résiste en zone dit « libre », à Toulouse, au sein du réseau Libération sud. Arrêté dans cette ville à la descente d'un train, il profite du changement d'équipes au commissariat de police pour s'éclipser en douce - le commissaire ayant peut-être fermé un œil, il ne sait pas.
CHANGEMENT D'IDENTITÉ
Henri Rapaport change d'identité, il était temps, et devient Jacques Rives pour quelques dizaines d'années. De retour à Paris en mars 1944, Jacques Rives fait partie, le 10 août, du groupe de journalistes résistants qui, à la Libération, prend le contrôle de l'Agence Havas, collaborationniste sous le nom d'Office français d'Information, pour en faire l'Agence France-Presse, l'AFP. Il y devient critique de théâtre – Il donne, de surcroît, de nombreuses critiques au « Populaire », gratuitement quand ce journal a des difficultés financières.
Puis il s'en va dans une autre agence, plus modeste, l'Agence centrale de presse (ACP), créée en 1951 par Gaston Defferre afin que les journaux régionaux et départementaux abonnés ne soient pas dépendants, pensait Defferre, d'une source unique financée par l'Etat. La gauche, la gauche, la gauche… En rupture avec la politique algérienne de Guy Mollet, il quitte la SFIO. Il adhère au PS au congrès d'Epinay en 1971, et y reste. A l'ACP qu'il a quittée à l'âge de la retraite, Jacques Rives, unique rédacteur en chef, a formé plusieurs générations de journalistes dont un, André Laurens, deviendra directeur du Monde.
Le théâtre, la littérature, le cinéma étaient ses passions, ainsi que la politique et les cartes électorales qui vont avec, au plus petit canton près. Quelques semaines avant cette mort souhaitée – « c'est long… » - il a relu, dans l'ordre, Les misérables, L'Iliade et cinq pièces de Shakespeare. Quelques jours avant sa mort, survenue le 12 février à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) à l'âge de 99 ans, Henri Rapaport souriait à la relecture d'une phrase du romancier de Patrick Modiano, citée en épigraphe de son premier roman (Place de l'Etoile) « Au mois de juin 1942, un officier allemand s'avance vers un jeune homme et lui dit ''Pardon, monsieur, où se trouve la place de l'Etoile ?'' Le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine. »
JEAN-YVES LHOMEAU
Source: http://www.lemonde.fr/disparitions/arti ... _3382.html
Cordialement.