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Nouveau messagePosté: 23 Mai 2006, 14:33
de RoyalTiger
De même, le simple fait d'organiser une conférence détermine bien le degré de communication qu'on souhaitait atteindre.
Une rencontre de visu est destinée par essence à faire passer un message important. Elle permet également d'adapter son discours en fonction des réactions de ses interlocuteurs.
De plus, élément non négligable, elle induit une participation active: les protagonistes auront du mal à dire, plus tard, "je n'y étais pas"... chose plus aisée avec un mémo, une circulaire,... dont on peut facilement dire "désolé, je ne l'avais pas lu(e)"


Ce qui m'amène à la question suivante: les organisateurs ont-ils prémédité cet aspect, n'était-ce pas un des buts ("mouiller" les co-signataires) ?
En cas de réponse positive, ne fallait-il pas alors rentrer dans les détails, expliquer clairement le caractère génocidaire du processus ?


... vaste débat...

Nouveau messagePosté: 24 Mai 2006, 00:19
de Nicolas Bernard
Audie Murphy a écrit:Lorsque les intervenants à Wannsee parlent de solution plus humaine en stérilisant en masse ou tentent de définir avec exactitude les degrés de métissage, si les autres ne lisent pas entre les lignes, soit ils sont complètement ivres, soit totalement abrutis. Vu que ni l'une ni l'autre de ces options ne sont vraiment envisageables (quoiqu'il pouvait se trouver quelques abrutis à cette table), je crois plutôt que tous les participants doivent être mis dans le même bateau, avec comme seuls doutes les domestiques et les chauffeurs !


Ouaip. Comme l'ont retenu les juges de Nuremberg : <i>« Une chose est claire, personne ne suggérerait que la stérilisation est un moindre mal s’il n’était totalement convaincu que la déportation signifiait un sort encore pire, c'est-à-dire la mort. »</i>

Et à l'époque des massacres commis à l'Est, la stérilisation n'est plus vraiment au programme...

Nouveau messagePosté: 24 Mai 2006, 00:29
de Nicolas Bernard
RoyalTiger a écrit:De même, le simple fait d'organiser une conférence détermine bien le degré de communication qu'on souhaitait atteindre.
Une rencontre de visu est destinée par essence à faire passer un message important. Elle permet également d'adapter son discours en fonction des réactions de ses interlocuteurs.
De plus, élément non négligable, elle induit une participation active: les protagonistes auront du mal à dire, plus tard, "je n'y étais pas"... chose plus aisée avec un mémo, une circulaire,... dont on peut facilement dire "désolé, je ne l'avais pas lu(e)"


Ce qui m'amène à la question suivante: les organisateurs ont-ils prémédité cet aspect, n'était-ce pas un des buts ("mouiller" les co-signataires) ?
En cas de réponse positive, ne fallait-il pas alors rentrer dans les détails, expliquer clairement le caractère génocidaire du processus ?


... vaste débat...


Comme l'a déclaré Eichmann : « Du point de vue de Heydrich, l’important était de piéger les Secrétaires d’Etat, de les impliquer de la façon la plus profonde, de les rendre prisonniers de leurs propres paroles. »

Cela étant, il n'est pas question non plus d'aller trop loin dans la révélation. Heydrich garantit aux participants une certaine impunité en édulcorant le compte-rendu de la conférence. Tout le génocide juif a été planifié de telle manière que chaque intervenant avait la possibilité de nier. Hitler n'a pas laissé d'ordre écrit - malgré plusieurs déclarations sans équivoque. Le langage codé était de rigueur. La plupart des camps d'extermination ont été rayés de la carte après usage - sauf Birkenau, pour cause d'offensive soviétique avancée à la date du 12 janvier 1945. Une unité spéciale de SS, dirigée par Paul Blobel, avait été créée en 1942 pour se débarrasser des cadavres laissés par les Einsatzgruppen.

Ce n'est véritablement qu'au cours des séminaires de Posen, à l'automne 1943 et en 1944, qu'il s'agira de "mouiller" davantage toutes les instances du régime (Parti, Armée, Administration), afin de les clouer sur le même bâteau que celui de leur Führer.

Re: sauf que

Nouveau messagePosté: 24 Mai 2006, 00:38
de Nicolas Bernard
juin1944 a écrit:si l'on s'en tient aux carnets d'Eichmann, rendus publiques il y a peu de temps par Israel, , il n’aurait eu connaissance du projet d’exterminer les juifs que tardivement, en automne 1941. [...]
Par conséquent, Eichmann le dit lui-même, et encore a t'il surement tendance à minimiser son rôle, il savait depuis l'automne 1941.


Les déclarations d'Eichmann, proférées bien avant qu'il ne se fasse capturer par le Mossad, ont été contestées. Selon plusieurs critiques, l'ex-nazi aurait cherché à se couvrir et à se retrancher derrière les ordres reçus, pour justifier sa participation aux activités génocidaires de l'automne et de l'hiver 1941.

A titre personnel, je crois à la crédibilité de ce témoignage. Je vois mal pourquoi Eichmann, qui s'est publiquement vanté en 1945 d'avoir participé au génocide, ferait preuve d'un esprit aussi tordu au point d'anticiper son propre procès. Qui plus est, s'il cherche à se couvrir, pourquoi ne situe-t-il pas l'événement antérieurement à la campagne de Russie, avant donc l'intervention des unités mobiles de tuerie ?

De plus, je vois mal ce bureaucrate ambitieux agir comme il l'a fait, à l'automne 1941, sans avoir été informé de l'existence de ce Führerbefehl. Au moins à ce moment là, il fait partie des rares initiés. Comme ce changement de cap revêt malgré tout certaine importance, il n'est pas encore question pour Hitler et Heydrich d'annoncer clairement leur jeu. L'information sera donc progressivement divulguée, et uniquement à ceux dont le soutien est nécessaire à des dates bien précises. C'est ainsi, par exemple, que Rudolf Höss, le commandant d'Auschwitz, n'apprendra la chose qu'à l'été 1942.

Nouveau messagePosté: 24 Mai 2006, 00:50
de Audie Murphy
N'est-ce pas aussi Eichmann qui avait déclaré après la guerre que son seul regret était de ne pas avoir exterminé suffisamment de Juifs ?

Nouveau messagePosté: 24 Mai 2006, 07:05
de Nicolas Bernard
De mémoire, c'était de son adjoint, Aloïs Brunner, qui, une fois en Syrie, avait regretté d'avoir "laissé le travail à moitié terminé".

Eichmann, c'est (en 1945) :

Si je meurs, je sauterai en riant dans la tombe car l'impression d'avoir cinq millions de vies humaines sur la conscience est pour moi la source d'une satisfaction extraordinaire.


Une telle phrase suffit à mettre en pièces l'assertion très répandue selon laquelle l'homme était un bureaucrate médiocre et avant tout soucieux d'obéir aux ordres.

Eichmann, en vérité - et comme l'a très bien cerné le Procureur israélien Gideon Hausner (Justice à Jérusalem, Flammarion, 1976) - était un antisémite fanatique et carriériste, remarquablement intelligent au point d'en sombrer dans la perversité. Sa gestion de la déportation des Juifs de Hongrie, en 1944, est un "modèle" diabolique du genre. La manière dont il s'est composé un personnage de minable au procès de Jérusalem en est une autre preuve - non, je ne pense pas que ses remords étaient sincères.

Nouveau messagePosté: 24 Mai 2006, 10:07
de Igor
Nicolas, si vous l'avez vu, qu'avez-vous pensé du documentaire Un spécialiste, réalisé par Rony Brauman et Eyal Sivan ?

Nouveau messagePosté: 24 Mai 2006, 22:03
de Audie Murphy
Merci Nicolas, c'est bien cette citation que j'ai prise pour l'autre.

Nouveau messagePosté: 27 Mai 2006, 15:37
de Nicolas Bernard
Igor a écrit:Nicolas, si vous l'avez vu, qu'avez-vous pensé du documentaire Un spécialiste, réalisé par Rony Brauman et Eyal Sivan ?


Disons que je suis mitigé. D'un côté, je salue l'exploit des deux cinéastes d'avoir réussi à condenser le procès de Jérusalem en deux heures de film. De l'autre, je crois qu'ils sont passés à côté de la véritable personnalité d'Eichmann - à ce titre, le documentaire de Guido Knopp lui est à maints égards préférable.

Brauman et Sivan reprennent à leur compte la définition d'Eichmann donnée par Hannah Arendt, celui du bureaucrate médiocre incarnant la "banalité du mal". Encore une fois, Eichmann était un antisémite viscéral, un nazi bon teint, dépourvu de tout instinct visionnaire mais génial dans l'exécution, un hiérarque du système rongé par l'ambition, un SS capable d'ironiser sur ses propres crimes. Pour faire bref, une authentique pourriture davantage que le rouage sans âme d'une machine génocidaire.

Nouveau messagePosté: 27 Mai 2006, 15:39
de Nicolas Bernard
Audie Murphy a écrit:Merci Nicolas, c'est bien cette citation que j'ai prise pour l'autre.


Cela dit, en matière de citation, le pire du pire nous sera fourni par un Français, l'ancien Commissaire aux Questions juives Louis Darquier de Pellepoix, dans son interview accordé par L'Express en 1978... Tellement obscène que je m'abstiens d'aller plus loin.