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Comment 75% des Juifs de France ont échappé à la mort.

De l'opération T4 à la solution finale, la dictature nazie atteint un degré d'horreur jamais atteint dans l'histoire moderne. Juifs, homosexuels, communistes, dissidents, Tziganes, handicapés sont euthanasiés, déportés, soumis à des expériences médicales.
MODÉRATEUR : Gherla, Frontovik 14

Re: Comment 75% des Juifs de France ont échappé à la mort.

Nouveau message Post Numéro: 341  Nouveau message de alainmichel  Nouveau message 20 Fév 2017, 18:10

Je ne comprends pas d'où vous tirez de mes propos que Vichy est un régime totalement sous la coupe de l'occupant. Le problème, depuis Paxton, c'est qu'on est toujours dans un regard historique extrême. Soit Vichy aurait pu être indépendant et s'opposer à ce qu'il ne voulait pas (les Paxtoniens) soit Vichy est entièrement dépendant des Allemands (les Pétainistes). Or ce n'est ni cela, ni cela. D'un côté, dès l'été 1940, Vichy cherche par tous les moyens à la fois à freiner les appétits allemands, et également à rétablir la France (soit par un réarmement et une préparation à la revanche, soit par la meilleure place possible le jour où les négociations s'ouvriront). De l'autre, Vichy est en permanence sous l’œil méfiant des Allemands et dans l'impossibilité officiellement de s'opposer à leur politique (les deux seuls fois où le régime le fait, en décembre 1940 puis en novembre 1943, c'est une catastrophe et les conséquences en sont une dégradation considérables de ses positions dans le bras de fer face à l'occupant). On est donc en permanence dans un louvoiement avec parfois beaucoup d'erreurs et d'abandons, parfois du courage et des succès. Il faut quitter ce "noir et blanc" de la doxa, et suivre chaque sujet pour voir comment c'est traité, pas seulement dans les déclarations officielles, mais également dans les efforts en coulisse pour essayer d'agir. Je terminerai en citant une partie de la conclusion de Robert Aron, qui non seulement n'avance absolument pas la thèse du glaive et du bouclier, mais avait très bien compris comment le regard passionnel sur cette période (qui existe toujours) empêchait de prendre du recul. Sur notre question, il écrit : "Le dernier [des 4 faits incontournables] consiste en l'équivoque que Vichy a créée dans l'opinion publique française et dont toutes les conséquences ne sont pas apaisées. Si l'on juge d'après les déclarations officielles du Maréchal, de Darlan ou de Laval, Vichy, à partir du renvoi de P-E Flandin, joue le jeu de l'occupant et s'aligne peu à peu sur la politique de l'Axe. En réalité, négociations secrètes, télégrammes clandestins, mesures dilatoires, toutes impossibles à percevoir par l'opinion, ne cessent de réduire la collaboration proclamée. Mais cela les Français ne pouvaient pas le savoir".
Encore un mot : Paxton, en faisant croire que l'image de Vichy qui ressortait des archives allemandes était l'image "vrai' du régime de Vichy, alors qu'en réalité ce n'est qu'une image partielle et déformée, a rendu un mauvais service à l'historiographie. Bien sûr, au début des années 1970, il n'avait pas grand chose d'autre à se mettre sous la dent. Mais en maintenant 40 ans après une même version, alors que des milliers d'archives se sont ouvertes et montrent d'autres aspects, il se sert de sa réputation pour égarer les historiens, dont apparemment Chef Chaudart.


 

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Re: Comment 75% des Juifs de France ont échappé à la mort.

Nouveau message Post Numéro: 342  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 20 Fév 2017, 18:24

La plus belle perle de Paxton, c'est d'avoir écrit que Hitler s'était désintéressé de la politique intérieure de Vichy pendant les deux premières années "au moins". C'est ce qui lui permet d'affirmer que l'antisémitisme qui s'y manifeste entre le statut du 18 (et non du 3) octobre 1940 et la Solution finale est autochtone, serait un nouveau round entre Maurras et Dreyfus etc.

En fait, et je viens d'en montrer une preuve éclatante dans mon édition des Propos intimes et politiques, il guide Abetz de près et c'est logique.

Barbara Lambauer, sans suivre jusqu'au bout la plupart de ses propres pistes, a jeté en 2001 un beau pavé dans la mare en dressant la liste des voyages d'Abetz en Allemagne pour rencontrer soit Hitler, soit son perroquet Ribbentrop. Mais la mare n'en ressentait pas le besoin et la surface est vite redevenue lisse.

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Re: Comment 75% des Juifs de France ont échappé à la mort.

Nouveau message Post Numéro: 343  Nouveau message de frontovik 14  Nouveau message 20 Fév 2017, 18:26

Commençons par la forme, et après le fond.
D'abord dans votre message n° 328, vous employez un terme fort dérangeant, celui de DOXA. Certes celui-ci n'est pas faux mais quand même très orienté et très connoté. Connoté car employé par la nébuleuse révisionniste, l'extrême-droite et les nostalgiques de Pétain. Toutes personnes bien peu recommandables et qui vous classent IPSO FACTO au rang des chercheurs peu sérieux et fantaisistes. Ajoutons que votre ouvrage est devenu le livre de chevet de la fachosphère et des énergumènes du même acabit. Chose, je vous le concède dont vous n'êtes pas responsable! Mais il s'agit quand même d'un patronage fort encombrant...
Ensuite, débiner ses petits copains historiens ça n'est pas vraiment une chose à faire, même si vous apportez des éléments sans doute intéressants. Et si Paxton mérite quelques corrections, il a quand même vu la véritable nature du régime de Vichy, et se référer à Robert Aron, Léon Poliakov, ou Raul Hilberg, c'est revenir un bon moment en arrière, et l'historiographie a progressé. Enfin je le pense... Et citer Hilberg oui, mais à condition de ne pas l'interpréter de manière erronée.
Enfin, la nuance oui, elle s'avère indispensable, mais sur le fond les historiens sont d'accord, sauf ceux qui critiquent la doxa, comme par hasard. Et à force de nuancer on finit par ne plus rien comprendre et diluer au maximum les responsabilités de Vichy. Pour ma part Paxton me convient, tout comme Rousso, Klarsfeld, et surtout Jacques SEMELIN, qui a aussi écrit sur les Juifs de France et a compris le rôle minime joué par Vichy.

Pour JD: affirmer que la Révolution Nationale n'est qu'un détail de Vichy, c'est comme affirmer que Mein Kampf n'a eu qu'une influence limité sur le régime nazi, il ne faut pas exagérer!!! Vichy EST un régime antirépublicain, reactionnaire, antidémocratique et aussi antisémite, et là les Allemands n'y sont pas pour grand-chose. Et la collaboration vient couronner le tout. C'est ainsi et ça explique l'opprobre dont il est l'objet.
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Re: Comment 75% des Juifs de France ont échappé à la mort.

Nouveau message Post Numéro: 344  Nouveau message de Chef Chaudart  Nouveau message 20 Fév 2017, 18:58

Je suis désolé si j'ai mal interprété votre phrase, monsieur Michel. Votre réponse remets les choses en place.

Concernant Paxton, je ne pense pas avoir été "égaré". Je ne le cite pas comme un mantra, mais comme le point de départ d'une vision différente de Vichy, vision qui a, évidemment, évolué et été amendée avec le temps et l'apport d'autres auteurs.

Ma vision de modeste amateur est que Vichy fait clairement le choix de la Collaboration avec l'Occupant, rejetant de fait toute collaboration cachée avec l'autre camps, ou même tout "double-jeu" cher aux pétainistes.

On pourrait penser que ce choix est le doigt dans l'engrenage, mais c'est faux. En faisant la cour au vainqueur par des relances successives de tentatives de discussions, Vichy s'oblige à gober les couleuvres que ne manque pas de lui présenter le chef Nazi. Se posant en demandeurs, Pétain et Laval se doivent donc inévitablement de lâcher du lest. Ce dernier étant même souvent prêt à montrer sa bonne volonté sans demander de contreparties.

En dernier recours, ils avaient toujours le pouvoir de se démettre.

Concernant le sujet qui nous occupe, Vichy pouvait légalement refuser la déportation de ses ressortissants en zone Nord, comme celle des étrangers qu'il avait sous son contrôle. Il pouvait également, à tout le moins, refuser l'aide de sa police. S'il ne l'a pas fait, c'est que, pour lui, cette entorse n'était pas un cassus belli, le sort fait auxJuifs ne lui paraissant pas suffisamment grave pour remettre sa politique générale en cause. Il s'en est donc tenu à un combat d'arrière garde: livrons les "métèques" pour "qu'ils" ne touchent pas aux Français. Choix fait par racisme endogène ou par commodité, je ne sais pas.
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Re: Comment 75% des Juifs de France ont échappé à la mort.

Nouveau message Post Numéro: 345  Nouveau message de alainmichel  Nouveau message 20 Fév 2017, 21:02

Plusieurs réactions rapides : j'apprécie ce que dit François Delpla, sauf sur un point, la date du statut. Il est effectivement publié le 18 octobre (après consultation des Allemands) mais son élaboration se fait fin septembre/début octobre et sa date officielle du point de vue de Vichy est bien le 3. Le reculer au 18 pose problème par rapport à d'autres événements, notamment antisémites, qui ont lieu le même mois et qui risqueraient d'être vus comme contemporains du statut, alors qu'ils ne le sont pas. Le temps qui s'écoule entre son adoption et sa publication a d'ailleurs du sens et il ne faudrait pas le supprimer (les lois de Nuremberg en septembre 1935 ne sont promulgués que le 15 novembre, mais elles restent cependant des lois décidés en septembre, et le temps écoulé là-aussi est signifiant).
Concernant Frontovick, deux remarques sur la forme : tout d'abord il n'aurait tenu qu'à la presse du centre et de gauche d'accepter de parler du livre pour qu'il soit abordé autrement, mais leur peur de sortir du consensuel a ouvert un autoroute à ceux qui voulaient utiliser mon livre pour leur propre agenda. C'est là qu'intervient justement la Doxa. Elle paralyse les têtes et les cœurs, et amène les journaux, la presse, mais même un grand nombre d'intellectuels et d'historiens, à éliminer tout sens critique dès que certains parlent "au nom de la vérité" et en premier lieu Paxton. Dans la deuxième édition de mon livre, en annexe, j'ai analysé l'article de Paxton contre Zemmour paru dans Le Monde, en montrant les nombreuses erreurs commises par le grand historien. Tant que cette Doxa continue à exister car toute parole historique autre est soit censurée, soit terrorisée, l'extrême droite ne pourra que se réjouir. Le problème n'est donc pas chez les historiens qui tentent d'y voir clair (comme Simon Epstein, Jean-Marc Berlière ou moi-même) mais chez ceux qui "pour ne pas désespérer Billancourt" laisse la Doxa faire ses ravages. Ceux qui tentent d'imposer un débat ne peuvent le faire qu'en montrant les erreurs de leur confrère (et heureusement que François Furet n' pas hésité à "débiner" Soboul, bien que ce dernier ait été mon prof à la Sorbonne. Poliakov comme Hilberg ont continué à prendre position contre l'interprétation de Paxton ou Klarsfeld après la parution des ouvrages de ceux-ci, donc on ne voit pas pourquoi les utiliser serait revenir en arrière. Quant à Aron, la plupart de ceux qui le condamnent ne l'ont jamais lu, et bien qu'il soit vieilli, son ouvrage contient des analyses et des regards toujours intéressants. (je ne vois pas en quoi j'interprète de manière erronée Hilberg donc je ne peux réagir à cette remarque). Sur le fonds, je suis content pour vous si vous aimez les légendes en noir et blanc mais, pour ma part, je préfère la complexité de l'Histoire et les zones grises. Jacques Sémelin a fait un livre qui est critiqué même par Paxton (dans la New York Review of Books), un livre dans lequel il pense que l'on peut faire une analyse de ce qui s'est passé en se basant sur quelques exemples seulement, qui n'ont pourtant aucune représentation statistique, et en plus il n'a aucune analyse politique, mais se contente de regarder les événements historiques à travers une approche humanitaire, comme si c'était suffisant pour comprendre le passé.
Enfin par rapport à Chef Chaudart, je vous renvoie encore une fois à mon article sur la Commission d'armistice dans le Figaro Histoire, qui montre que des milliers d'archives n'ont pas été utilisées, et que dans ces archives apparaissent souvent une tentative de double jeu de la part de Vichy, qui comme le disait Robert Aron ne pouvait pas être clamé sur les toits. D'où d'ailleurs la méfiance permanente des Allemands par rapport à Vichy. La collaboration n'a pas été un choix, mais une obligation découlant de l'Armistice. Ensuite suivant les périodes, les hommes et les sujets, cette collaboration a pu être plus ou moins volontaire. Vichy s'est opposé à la déportation de ses ressortissants, mais après deux ans de collaborations policières, il ne pouvait pas s'y opposer totalement, entre autre, et vous avez raison, par que le sujet des Juifs est loin d'être prioritaire. Mais ils ont tous fait pour protéger les Juifs français, lorsque cela était possible, et au besoin en les échangeant contre des Juifs étrangers, la xénophobie étant extrêmement répandue alors en France. De plus leur rôle était de protéger d'abord et avant tout leurs concitoyens, et ils ont donc assumé ce rôle dans les possibilités de la période.


 

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Re: Comment 75% des Juifs de France ont échappé à la mort.

Nouveau message Post Numéro: 346  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 21 Fév 2017, 11:34

alainmichel a écrit:Plusieurs réactions rapides : j'apprécie ce que dit François Delpla, sauf sur un point, la date du statut. Il est effectivement publié le 18 octobre (après consultation des Allemands) mais son élaboration se fait fin septembre/début octobre et sa date officielle du point de vue de Vichy est bien le 3. Le reculer au 18 pose problème par rapport à d'autres événements, notamment antisémites, qui ont lieu le même mois et qui risqueraient d'être vus comme contemporains du statut, alors qu'ils ne le sont pas.


soyons rigoureux :

1) établissons la date en nous fichant des conséquences; si cela entraîne des confusions, il nous restera à les dissiper.

2) cette date n'est "prouvée" que par un document : le JO de Vichy; les rares archives nous orientent vers un conseil des ministres le 1er, et il n'y en a pas le 3.

3) j'attends encore la preuve que la consultation des Allemands n'a pas altéré la moindre virgule du texte.

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Re: Comment 75% des Juifs de France ont échappé à la mort.

Nouveau message Post Numéro: 347  Nouveau message de alainmichel  Nouveau message 21 Fév 2017, 12:25

Cher François, je vais vous montrer où votre "rigueur" peut mener. Le camp d'extermination de Belzec, le premier opérationnel des trois camps de l'opération Reinhardt, a commencé à fonctionner en mars 1942. Donc d'après votre "rigueur" ce n'est qu'en mars 1942 que les nazis commencent à exterminer les Juifs de Pologne (ces trois centres de mort étaient destinés essentiellement aux Juifs du gouvernement général et de la partie est de la Pologne, occupée par les soviétiques entre 1939 et juin 1941). Comme mars 1942 est après le 20 janvier 1942, jour de la conférence de Wannsee, des centaines d'historiens ont écrit (et continuent à écrire) que l'opération Reinhardt est directement une conséquence des décisions de Wannsee. Or Otto Globocnik, proche de Heydrich, a commencé les premiers préparatifs de Belzec dès octobre 1941, mais l'hiver a gelé les choses (c'est le cas de le dire). La mise en place de l'extermination des Juifs de Pologne est donc à rechercher bien en amont de Wannsee, ce qui entre autre amène à une lecture différente du compte rendu de cette réunion, ce qu'on fait depuis longtemps certains historiens. Mais je peux vous dire que je continue à entendre des enseignants, des guides, ou même des historiens affirmer qu'à Wannsee a été décidé la solution finale. La rigueur en histoire, de mon point de vue, consiste à toujours replacer chaque événement dans un processus chronologique, ou dans un ensemble de processus car souvent différents processus se croisent et s'influencent mutuellement.
Bien sûr que le Conseil des ministres s'est réuni le 1er. Mais le statut est daté du trois car, comme beaucoup d'autres lois et décrets de Vichy, la date retenue est celle du jour où le texte définitif a été signé par les ministres compétents, et non la date d'adoption en Conseil ni la date de promulgation. En occurrence, il a fallu deux jours pour réaliser ce processus administratif. Le 3 est la date qui a été choisi par Vichy comme date "officielle" du statut, elle a servi de référence à travers les 76 ans qui se sont passés depuis, et il faut donc la maintenir, même si l'historien doit toujours préciser que sa promulgation n'a eu lieu que le 18.
Votre question sur une influence ou non des Allemands sur le texte définitif est intéressante mais il me semble que trois éléments plaident contre cette possibilité. Tout d'abord on n'a pas trouvé, jusqu'aujourd'hui, de traces d'une intervention des Allemands dans le texte. Si cela avait été fait, il y aurait eu des allers-retours entre la Délégation française en Zone occupée et Vichy. Or non seulement il n'y a aucune trace, mais ils sont occupés par une autre question, qui est celle de la deuxième ordonnance allemande sur l'Aryanisation, qui sera datée du 18 octobre. Nous avons la correspondance entre La Laurencie et Vichy, et les tentatives de changer des éléments dans le projet que les nazis leur ont présenté. Si des changements étaient également intervenus concernant le texte du statut, il serait étrange que nous n'en ayons pas écho dans cette correspondance. Le deuxième élément est le fait, me semble t-il, que l'intérêt des allemands n'étaient pas de changer le statut, puisque eux mêmes avaient publiés leur propre ordonnance, mais de piéger Vichy : contrairement à ce que Vichy espérait, leur propre statut ne remplace pas la première ordonnance du 27 septembre, mais en zone nord s'y ajoute, apportant des éléments antisémites que les Allemands n'avaient pas prévus, du moins pour l'instant. Enfin, le fameux "brouillon" retrouvé par Klarsfeld dans des conditions bizarres et mal interprété par lui, montre au moins une chose, c'est qu'entre le texte modifié par la main même de Pétain pendant la discussion et la version officielle parue au JO du 18 octobre, il n'y a pas une virgule qui est changée.


 

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Re: Comment 75% des Juifs de France ont échappé à la mort.

Nouveau message Post Numéro: 348  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 21 Fév 2017, 16:55

alainmichel a écrit:Bien entendu que les archives ne sont qu'un aspect de la réalité, mais l'absence de toute trace dans les archives exclu, jusqu'à ce qu'on trouve de nouveaux documents, de baser une théorie sur une non existence. Il suffit de faire ce que je viens de faire, c'est à dire de relire toutes les archives citées par Klarsfeld entre la date du 11 juin (réunion à Berlin) et du 4 juillet (ratification de l'accord par Laval) pour voir qu'aucun élément ne se prête à une telle interprétation. manipulation, oui, sur le sort réservé à la fin aux Juifs, mais pas sur la volonté de faire soit-disant protéger les Juifs français contre la volonté de Vichy. Au contraire, l'accord réalisé avec Bousquet et Laval de début juillet, va se révéler comme négatif pour les Allemands.


Je ne vois pas ce qui vous permet d'écrire une chose pareille. Le projet de déportation envisagé par Adolf Eichmann envisageait, le 11 juin 1942, la déportation de cent mille Juifs de France. Cet objectif a été ramené à quarante mille sur trois mois, pour cause de manque de trains: le pillage de la France occupée, l'expédition de travailleurs français en Allemagne, et surtout l'intense mobilisation ferroviaire liée à l'offensive allemande vers Stalingrad et le Caucase (37.000 wagons de marchandises français réquisitionnés) obligent en effet les Allemands à revoir à la baisse leurs intentions initiales s'agissant du calendrier de la "Solution finale" en France.

Quarante mille Juifs sont ciblés sur trois mois, donc. Or, du 17 juillet au 30 septembre 1942, 34 convois totalisant 33.057 Juifs partiront pour les camps d'extermination, grâce aux rafles perpétrées par le régime de Vichy. Je peine à y voir un résultat "négatif", pour reprendre votre expression.



Dannecker s'en aperçoit dès le 10 juillet, donc avant le début des rafles : en acceptant à la demande de Vichy de n'arrêter que les Juifs apatrides, les nazis se sont mis dans l'impossibilité d'arrêter les 22.000 personnes visées, puisqu'il n'y a que 25000 Juifs apatrides âgés de 20 à 50 ans en zone nord, une mission impossible à remplir d'arriver à arrêter près de 100 % de la cible. D'où d'une part l'annulation des convois de provinces prévus, faute de Juifs apatrides à déporter,


... ces derniers n'ayant pas encore été arrêtés par la police française...



et la demande de Dannecker de déporter également les enfants, tout simplement pour remplir les trains prévus.


Plus précisément, c'est le régime de Vichy qui, le premier, propose aux Allemands de déporter également les enfants, comme l'atteste le mémo adressé par Dannecker à Eichmann le 6 juillet 1942

C'est bien Vichy qui rend service aux nazis, en l'occurrence...



Il est d'ailleurs à remarquer que le seul train de province maintenu, celui d'Angers, peut-être rempli parce que le responsable local de la Sipo-SD ne respecte pas l'accord avec Vichy, et arrête également des Juifs français ou des Juifs étrangers non-apatrides. L'accord avec Vichy est donc paradoxalement responsable de l'échec partiel de la rafle du Vel d'Hiv.


Cette glorieuse victoire du régime de Vichy permet en effet de limiter les arrestations à... 12.884 Juifs (4.051 enfants, 5.802 femmes et 3.031 hommes) en région parisienne au cours de l'opération Vent printanier dès le 16 juillet 1942. 7.000 d'entre eux - sept mille - sont parqués au Vélodrome d'Hiver, sans eau ni nourriture. Certes, les objectifs nazis fixaient à vingt-deux mille le nombre de Juifs à arrêter en région parisienne. Mais je vois mal en quoi on peut imputer cet "échec partiel" au régime de Vichy, sachant que, pour rappel, les rafles opérées par la police française au cours de l'été 1942 ne se limitent pas au Vel d'Hiv".



Quant à l'utilisation de la police française en zone nord, elle découle de la Convention de La Haye sur les droits de la guerre de 1907.


C'est totalement faux, et d'ailleurs la suite de votre message montre bien que, juridiquement, il n'en est rien:

Bien entendu, les Allemands abusent de leur pouvoir en tant que "autorité de fait", mais Vichy a cédé déjà depuis le début octobre 1940, car le gouvernement français n'a pas de possibilités de s'opposer frontalement aux exigences allemandes. Il y a des protestations par courrier direct, ou devant la commission d'armistice, mais le public n'est pas au courant et cela à très peu de conséquences, du fait de l'infériorité de Vichy face aux Allemands. Donc il ne suffit pas de "sourire incrédule sur les nourrissons", il faut pouvoir imposer ce qui n'est presque jamais dans les possibilité de Vichy (le souvenir des deux mois de fermeture de la ligne de démarcation après le 13 décembre 1940 est resté un traumatisme pour les dirigeants français). Donc oui les Allemands abusent, mais Vichy a peu de moyen de s'y opposer. Dannecker le rappelle d'ailleurs au début de la première réunion de préparation de la rafle le 7 juillet 1942, en présence de Leguay qui ne peut rien dire. L'accord sur l'arrestation des Juifs apatrides au lieu de l'ensemble des Juifs est donc une grande réussite pour Vichy qui a réussi à limiter les désirs allemands par la négociation.


Si donc Vichy a si peu de moyens, pourquoi les nazis perdent-ils leur temps à négocier l'appui de la police française?
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Re: Comment 75% des Juifs de France ont échappé à la mort.

Nouveau message Post Numéro: 349  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 21 Fév 2017, 17:00

alainmichel a écrit:Votre question sur une influence ou non des Allemands sur le texte définitif est intéressante mais il me semble que trois éléments plaident contre cette possibilité. Tout d'abord on n'a pas trouvé, jusqu'aujourd'hui, de traces d'une intervention des Allemands dans le texte. Si cela avait été fait, il y aurait eu des allers-retours entre la Délégation française en Zone occupée et Vichy. Or non seulement il n'y a aucune trace, mais ils sont occupés par une autre question, qui est celle de la deuxième ordonnance allemande sur l'Aryanisation, qui sera datée du 18 octobre. Nous avons la correspondance entre La Laurencie et Vichy, et les tentatives de changer des éléments dans le projet que les nazis leur ont présenté. Si des changements étaient également intervenus concernant le texte du statut, il serait étrange que nous n'en ayons pas écho dans cette correspondance. Le deuxième élément est le fait, me semble t-il, que l'intérêt des allemands n'étaient pas de changer le statut, puisque eux mêmes avaient publiés leur propre ordonnance, mais de piéger Vichy : contrairement à ce que Vichy espérait, leur propre statut ne remplace pas la première ordonnance du 27 septembre, mais en zone nord s'y ajoute, apportant des éléments antisémites que les Allemands n'avaient pas prévus, du moins pour l'instant. Enfin, le fameux "brouillon" retrouvé par Klarsfeld dans des conditions bizarres et mal interprété par lui, montre au moins une chose, c'est qu'entre le texte modifié par la main même de Pétain pendant la discussion et la version officielle parue au JO du 18 octobre, il n'y a pas une virgule qui est changée.


L'historienne Gaël Eismann apporte des précisions intéressantes (Hôtel Majestic, Tallandier, 2010, p. 192-193):

La publication de l'ordonnance allemande du 27 septembre précite à son tour la promulgation de la loi française "portant Statut des Juifs". Datée du 3 octobre 1940, elle ne résulte en aucun cas d'un Diktat allemand. C'est néanmoins l'annonce faite au général De La Laurencie par l'administration militaire allemande, le 7 septembre 1940, du train de mesures antijuives alors en préparation au Majestic qui précipite sa mise à l'ordre du jour et son élaboration. Une note de la section administrative du M.B.F. [l'administration militaire d'occupation allemande], datée du 2 octobre 1940, tend par ailleurs à prouver qu'Abetz a au moins projeté d'en influencer la rédaction: "L'ambassadeur Abetz a proposé, le 1er octobre 1940, les mesures suivantes: conduire le représentant du Gouvernement français, par courrier, à faire en sorte que tous les Juifs soient écartés des postes officiels en territoire occupé."

Soumis au visa allemand, le projet de loi français fait l'objet de vives critiques au sein du groupe "école et culture" du M.B.F. qui regrette que les mesures d'aryanisation prévues épargnent les revues scientifiques et ne touchent ni les enseignants, ni les libraires, ni les marchands d'art du secteur privé. Ces réserves ne sont pourtant pas partagées par le reste de l'administration militaire qui se félicite que la définition française du Juif se rapproche de la conception allemande. La législation antisémite de Nuremberg a effectivement servi de modèle. Le projet de loi, qui s'écarte dans le détail des prescriptions allemandes, irait globalement dans le bon sens. Les autorités du Majestic tiennent surtout à ne pas retarder la publication de la loi et transmettent leur feu vert à Ingrand le 8 octobre 1940, considérant qu'il sera toujours temps d'influencer plus tard son application dans le sens voulu.

Finalement, si les autorités d'occupation refusent d'apparaître à la remorque de Vichy en matière de politique antisémite, la concurrence franco-allemande qui en résulte n'a pas grand chose à voir avec une rivalité conflictuelle, même si la question des expulsions de Juifs vers la zone Sud, à l'ordre du jour côté allemand jusque dans ka première moitié de l'année 1941, suscite de vives protestations françaises. Loin d'être indifférent ou de se contenter de ne voir "aucune objection" à la stratégie de Vichy, le M.B.F. appuie activement ses initiatives et ne conçoit la réussite de sa politique antijuive qu'en étroite collaboration avec le gouvernement et l'administration françaises. Cette concurrence franco-allemande en matière de législation antisémite est donc plutôt plébiscitée par l'occupant.


Gaël Eismann ajoute plus loin que le responsable du service "administration" du M.B.F., qui supervise donc le dispositif d'occupation militaire en France, à savoir le nazi Werner Best, réfléchit depuis plusieurs semaines à la manière d'instaurer un dispositif législatif antisémite sur l'ensemble du territoire français, zone "libre" incluse, via la collaboration de Vichy. Il s'agit d'inciter Vichy, plutôt que de le contraindre, à calquer sa législation sur les textes allemands. Les ordonnances antisémites prises par le M.B.F. paraissent avoir ainsi répondu à l'un de ces objectifs: montrer la voie à Vichy de ce qui apparaîtrait utile à la Collaboration (ibid., p. 193-195).

Ainsi, Gaël Eismann écrit, et je la rejoins là-dessus, que "l'antisémitisme de Vichy est endogène, mais sous influence", et démontre que les autorités militaires d'occupation, sous l'impulsion de leur chef administratif, Werner Best, ont eu l'idée, dès l'été 1940, d'inciter Vichy à édicter des mesures antisémites, les ordonnances du M.B.F. à ce titre ayant notamment pour objet de pousser le gouvernement français, stimulé par cette "concurrence", à les copier, voire à faire "mieux". Bref, il semble résulter de ses propos que Gaël Eismann considère, sauf erreur de ma part, que le M.B.F. veut peser sur le calendrier des mesures vichystes. Ce qui me rappelle ce que Barbara Lambauer écrivait sur Otto Abetz, à savoir que ce dernier, par divers moyens et divers canaux, incite, sans contraindre, les dirigeants vichystes à élaborer cette législation.
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Re: Comment 75% des Juifs de France ont échappé à la mort.

Nouveau message Post Numéro: 350  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 21 Fév 2017, 17:05

alainmichel a écrit:Poliakov comme Hilberg ont continué à prendre position contre l'interprétation de Paxton ou Klarsfeld après la parution des ouvrages de ceux-ci, donc on ne voit pas pourquoi les utiliser serait revenir en arrière.


1/ L'analyse de Poliakov à laquelle vous vous référez me semble des plus problématiques, comme je l'ai déjà écrit.

2/ Idem pour Hilberg.

En résumé: lesdites analyses sont datées, à tel point qu'elles ont été revues, voire révisées par leurs auteurs (surtout Hilberg), il est vrai de fort peu rigoureuse manière. Les utiliser sans le moindre esprit critique, ni même songer à les mettre à jour, me paraît dès lors passablement imprudent.
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