2 - LE ROLE DE LA JUSTICE DANS LA RECONNAISSANCE DE LA SOUFFRANCE DES VICTIMES :
Une procédure judiciaire aboutissant à un procès constitue une forme de psychothérapie, individuelle et collective, pour les victimes et leurs descendants, car il permet de faire revivre les noms des personnes disparues :
Michel Godot-Goldberg
« Ce procès est (...) une façon de rendre hommage à ces morts qui n'avaient pas d'identité (...) et qu'on a soit escamotés, soit groupés ensemble dans un chiffre finalement effrayant et abstrait qui ne signifie rien, six millions. »
Dans le cas spécifique du procès de Klaus Barbie, au terme d'une instruction qui a débuté en 1983 pour aboutir en Cour d'Assises en 1987, le président CERDINI, afin de prévenir toute déviance notamment de la défense, avait décidé que seuls les documents écrits serviraient au jury pour fonder son intime conviction. Dans ce cas particulier, la valeur du témoignage n'était donc pas la même que dans un autre procès d'Assises.
La parole des témoins avait pour fonction principale, non d'établir la vérité, mais de permettre aux victimes de délivrer un message sur la barbarie nazie et sur l'horreur du judéocide.
Enfin, et ce n'est pas la moindre des qualités de ces procès, les victimes, leurs descendants peuvent enfin se dire que justice a été faite et que nul crime ne peut rester impuni.
3. LES VICTIMES, COMPOSANTES DE LA SOCIETE :
Dans notre société, le système judiciaire a pour fonction de protéger
tous les citoyens, que ce soit le coupable - présumé innocent jusqu'à jugement contraire - ou la victime.
En étendant son bras protecteur sur la tête des victimes, la Justice prend en compte les préjudices physiques, moraux et psychologiques dans les jugements qu'elle rend.
Il ne s'agit pas ici d'une justice immanente mais d'une justice humaine : Entendre la souffrance des victimes, faire appliquer la loi pour les protéger, juger les coupables, les défendre et les condamner. Une société équitable se fonde sur ces principes.
Il n'est pas ici question de vengeance mais de
réparation et de
reconnaissance des préjudices infligés.
Depuis 1964, soit 20 ans après les faits, les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles en France (
3).
Trois conséquences découlent de ce fait :
- Quel que soit le temps écoulé, il sera toujours possible d'intenter une action en justice.
- Cette mesure permet aux recherches, toujours très longues, de découvrir des documents établissant preuve, de retrouver des témoins et les auteurs des crimes
- Et permet de juger les criminels après un délai suffisamment long pour que justice soit rendue sans haine ni esprit de vengeance.
Si les survivants, dont le nombre s'amenuise, et les descendants des déportés se sont exprimés au travers de différents media, en l'absence de tels procès, ils n'avaient pas la possibilité de témoigner au sein d'une institution, et par là même, les crimes dont ils avaient été les victimes restaient non seulement impunis mais encore inscrits dans une histoire certes reconnue, mais dont l'Etat ne prenait pas officiellement acte.
Rappelons-le, certaines de ces victimes avaient été raflées par des gendarmes et des policiers français.
En instruisant des procédures contre les criminels contre l'humanité, l'appareil judiciaire français a pris acte de ces faits et s'est rangé aux côtés des victimes en exposant aux yeux de l'ensemble des citoyens les plaintes qu'il a reçues, les faits et la défense des accusés.
Une façon d'entériner la reconnaissance par l'Etat Français de la citoyenneté des victimes et de ses devoirs envers elles et, dans des cas comme celui de
Maurice PAPON, de reconnaître ses responsabilités.
Ces procès ont donc une fonction d'exemplarité et constituent une chance unique pour les victimes ou leurs descendants de s'exprimer en un lieu dédié à l'établissement de la vérité.
Passant du statut de victime à celui de partie civile, les victimes peuvent siéger sur le banc des accusateurs avec le soutien de la Justice Française, incarnation du peuple français.
4. DES PROCES POUR L'HISTOIRE ET LA MEMOIRE :
Dès la fin de la guerre, les Alliés vainqueurs du nazisme, entamèrent une démarche judiciaire historique en jugeant les hauts dignitaires du régime hitlérien au Tribunal Militaire de Nuremberg.
En 1945, les mémoires étaient encore fraîches et le
Procès de Nuremberg scellait définitivement la fin du III° Reich. Dans le souci de fixer à jamais dans les consciences les actes abominables auxquels s'étaient livrés les nazis, ce procès fut filmé et enregistré, afin que nul ne puisse jamais nier les faits.
Autre "première", l'une des preuves qui servit à incriminer les accusés fut un film sur les camps de concentration : "Les camps de concentration nazis (PS-2430)" fut réalisé à partir des prises de vues tournées lors de l'ouverture de différents camps par les Américains et les Britanniques. Ce film a été monté par l'unité photographique et cinématographique de l'OSS sous la direction de John FORD. Georges STEVENS, responsable des unités de tournage, l'avalisa en y insérant en guise de générique un avertissement stipulant que ce film de deux heures avait été réalisé sans trucages, afin que nul ne puisse contester la véracité des images.
Si la communauté internationale a entériné lors du procès de Nuremberg la notion de crime contre l'humanité et de génocide (qualifications forgées et utilisées pour la première fois dans un cadre juridique), en recevant des preuves, en écoutant des témoignages et en exécutant les principaux responsables des atrocités commises par les nazis, ces faits établis sont cependant remis en question par les "théories"
négationnistes qui contestent ou relativisent ces faits (
4).
Les procès pour crimes contre l'humanité sont donc toujours nécessaires pour continuer à réfuter ces supputations pseudo historiques.
De plus, outre le fait qu'ils nient l'existence des chambres à gaz (et ce n'est qu'un des nombreux exemples des fallacieux mensonges répandus par ces soi-disant historiens), les négationnistes qui nient ces crimes nient de ce fait l'existence même des victimes.
Car nier l'existence des camps d'extermination, des chambres à gaz, des fours crématoires et des massacres,
c'est aussi nier l'existence des victimes et de leurs descendants.
Michel Godot-Goldberg a posé cette question à la barre des témoins de l'accusation du procès Barbie :
"Parce que si elles n'ont pas existé, qui sommes-nous, nous ?"
Pour les descendants des déportés, nier les chambres à gaz, c'est en quelque sorte tuer "une deuxième fois" ces millions de victimes qu'aucune sépulture ne rappelle à notre souvenir.
Le négationnisme ne fait pas qu'effacer l'histoire, il oblitère également le présent et hypothèque lourdement l'avenir.
Dans ce contexte, l'utilité des procès pour crime contre l'humanité est réaffirmée et vient rafraîchir une mémoire récente parfois oublieuse de périodes de l'histoire qui semblent aujourd'hui lointaines. Mais pour les victimes et leurs parents, le temps s'est arrêté à Auschwitz, Dachau, Treblinka, Sobibor, Mathausen, Buchenwald, Sachsenhausen, Majdanek, Natzweiler, Belzec, Chelmno, Bergen-Belsen, Ravensbrück, Jasenovac, etc, etc.
5 - L'EXEMPLARITE DU PROCES BARBIE ET SA SPECIFICITE :
Depuis 1954, l'enregistrement visuel ou sonore des audiences publiques est interdit en France. Toutefois, depuis 1981, les photographes et les cameramen sont autorisés à pénétrer dans la salle d'audience pour effectuer des prises de vues juste avant l'ouverture des débats, et ceci après obtention de l'accord des parties.
En 1984, la perspective du procès historique de Klaus Barbie poussa les législateurs à prendre de nouvelles dispositions pour permettre l'enregistrement et la diffusion des images des prétoires. Le 11 juillet 1985, la loi dite BADINTER "
tendant à la constitution d'archives audiovisuelles de la justice" est votée au Parlement.
Cette loi, directement issue de la volonté du Garde des Sceaux d'inscrire le procès dans la mémoire de la France et de servir l'Histoire, autorise l'enregistrement des audiences "
présentant un intérêt pour la constitution d'archives historiques de la justice".
Le procès de Klaus Barbie sera le premier à faire l'objet d'un enregistrement audiovisuel.
Pendant 20 ans, ces archives ne sont normalement consultables que sur autorisation.
A l'expiration de ce délai, la consultation des enregistrements est libre, mais leur diffusion et leur reproduction demeurent soumises à autorisation. Après 50 ans, la reproduction et la diffusion sont entièrement libres.
Néanmoins, la Cour d'Assises, dans un souci pédagogique et historique, a autorisé à titre spécial la levée du secret qui prévoit que ces archives n'auraient dû être diffusées qu'en 2037. Dans les faits, la chaîne publique Histoire a diffusé à plusieurs reprises l'intégralité du procès BARBIE et des extraits de ces archives ont pu être utilisés dans la réalisation de films documentaires. Une autre décision du Tribunal de Grande Instance de Paris a également autorisé la chaîne à mettre ces archives audiovisuelles sur son site Internet parallèlement à la diffusion télévisuelle.
Le procès Barbie constitue donc un ensemble d'archives unique conservé à l'Institut National de l'Audiovisuel. Il dure 185 heures qui correspondent aux 37 audiences du procès.
En 1990, la loi fut amendée pour permettre la diffusion
dès la procédure judiciaire achevée de procès pour crime contre l'humanité. Dans tous les cas, la loi stipule que "les enregistrements sont réalisés dans des conditions ne portant atteinte ni au bon déroulement des débats ni au libre exercice des droits de la défense" et qu'ils sont effectués "à partir de points fixes".
Par la suite, les procès TOUVIER et PAPON feront à leur tour l'objet d'enregistrements filmés et seront également diffusés par la chaîne Histoire.
A l'heure où les théories négationnistes font florès, la diffusion télévisée et sur Internet de ces procès apporte un argument supplémentaire à opposer à ceux qui se font leurs propagateurs. La publicité autour de ces procès ne peut que contribuer à rappeler les crimes commis par le régime nazi.
Et pour l'avenir, les enregistrements de ces procès permettent d'édifier les plus jeunes en leur donnant à entendre les témoignages directs des victimes et de leurs descendants. Pour que les quelques 14 millions de morts (
5) ne l'aient pas été en vain.
Aujourd'hui encore, des génocides sont perpétrés, des populations poursuivies et massacrées du seul fait de leur appartenance à un groupe religieux ou ethnique.
Les procès au chef de crime contre l'humanité sont l'un des moyens de faire retentir les voix des victimes et, peut-être, de leur permettre de retrouver enfin la paix de l'âme.
Ce texte est dédié à la mémoire de mon maître et ami Nat LILENSTEIN, puisse son âme être enfin apaisée.
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Sources et références :
1. Sur "l'attente du survivant", un roman de Robert BOBER "Quoi de neuf sur la guerre" P.O.L 1993
et son adaptation cinématographique "Un Monde presque paisible" par Michel DEVILLE 2002
2. Témoignage Michel Godot-Goldberg : documents TELEDOC du CNDP http://www.cndp.fr/Tice/Teledoc/dossier ... barbie.htm
3. Pierre TRUCHE : chronologie sur la notion de crime contre l'humanité
http://www.histoire.fr/vert/html/fbarbie.htm
4. Sur le négationnisme, voir les articles :
- de Daniel Laurent :
http://www.histoquiz-contemporain.com/p ... storyid=92
- de Nicolas Bernard et Gilles Karmasyn :
http://www.phdn.org/negation/index.html
5. Nombre estimé des victimes des camps ou des massacres :
6 millions d'Israélites
3 millions de prisonniers Soviétiques
3 millions de Polonais non israélites
700 000 à 900 000 Serbes
250 000 Tziganes
80 000 opposants politiques divers (dont Allemands)
70 000 handicapés
15 000 à 20 000 homosexuels
2 500 témoins de Jéhovah
soit un total estimé entre 13 117 500 et 13 322 500 victimes