alainmichel a écrit:Mais ils ont tous fait pour protéger les Juifs français, lorsque cela était possible, et au besoin en les échangeant contre des Juifs étrangers, la xénophobie étant extrêmement répandue alors en France. De plus leur rôle était de protéger d'abord et avant tout leurs concitoyens, et ils ont donc assumé ce rôle dans les possibilités de la période.
"Tout fait pour protéger les Juifs français, lorsque cela était possible"? Vraiment? Comme je le montre ici, Vichy avait bel et bien envisagé de participer à la déportation des Juifs français, et ne changera d'avis, in extremis, qu'après que les rafles visant les Juifs étrangers auront écoeuré l'opinion publique et les Eglises.
Pour rappel, comme je l'écrivais:
S'agissant de la déportation des Juifs français cependant, les Allemands n'ont jamais fait mystère de leurs intentions : tôt ou tard, ils y passeraient. Comme le signale le rapport du S.S.-Obersturmführer Röthke du 13 août 1942, "on a déclaré au délégué général de la Police que, de notre côté, nous n'avions aucune raison de mettre en doute la réalisation des promesses faites par le Président Laval en présence de Bousquet, lors de la conférence avec le BdS [le 4 juillet 1942]. On avait alors fait connaître très clairement au Président Laval qu'il s'agissait d'une action permanente dont la phase finale comprenait également les Juifs de nationalité française" (cité in Henri Monneray, La Persécution des Juifs en France et dans les autres pays de l'Ouest, Editions du Centre, 1947, p. 152-153).
Il apparaît qu'en ce qui concerne Laval et Bousquet, le sort des Juifs français reste effectivement en suspens, dans l'attente des futures demandes de l'occupant, comme en témoigne ce rapport de Herbert Hagen, adjoint de Knochen et d'Oberg du 2 juillet 1942 : "C'est pourquoi on s'est arrêté à l'arrangement suivant : puisque, à la suite de l'intervention du Maréchal, il n'est pour l'instant pas question d'arrêter les Juifs de nationalité française, Bousquet se déclare prêt à arrêter sur l'ensemble du territoire français, et au cours d'une action unifiée, le nombre de Juifs ressortissants étrangers que nous voulons" (cité in Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz. La Solution finale en France, Fayard, 2001, p. 99).
Le 3 juillet 1942, Pétain manifeste une fois de plus son souci de distinguer Juifs étrangers et Juifs français : "Cette distinction est juste et sera comprise par l'opinion" (cité in Klarsfeld, op. cit., p. 107). Le 6 juillet 1942, Dannecker ajoute que "tant le Maréchal Pétain, chef de l'Etat, que le Président Laval, au cours du récent Conseil des Ministres, avaient exprimé leur accord pour l'évacuation, dans un premier temps, de tous les Juifs apatrides séjournant en zone occupée et en zone non occupée" (cité in Klarsfeld, op. cit., p. 111 et Monneray, op. cit., p. 140).
"Pour l'instant", "dans un premier temps"... Il en ressort que l'accord conclu avec Vichy en juillet 1942 ne prévoit pas un sauvetage des Juifs de France, mais un calendrier des arrestations et des déportations tenant compte de ce que Vichy croit être les aspirations de l'opinion publique: d'abord, les Juifs étrangers, ensuite les Juifs français.
C'est si évident pour toutes les parties que le successeur de Dannecker à la tête de la section antijuive du R.S.H.A. en France, en l'occurrence Röthke, prévoit dès le mois de septembre 1942 "l’évacuation" de 52.000 Juifs avant la fin de l’année. Le 18 de ce mois, il décide la déportation de 1.000 Juifs français internés à Pithiviers. Bousquet communique au Préfet régional compétent : "En ce qui vous concerne, vous voudrez donc bien ne pas vous opposer au départ des Juifs internés au camp de Pithiviers et prendre toutes dispositions utiles pour que ces opérations exigées par les autorités allemandes se déroulent dans l'ordre" (cité in Klarsfeld, op. cit., p. 192). En conséquence, le 21 septembre, un convoi de 1.000 hommes, femmes et enfants, dont 540 français de naissance, presque tous les autres étant naturalisés français, quitte Pithiviers pour Auschwitz. 540 autres Juifs français sont déportés le 23 septembre, à partir de Drancy. Avec la bénédiction de Vichy.
Röthke envisage parallèlement de s’emparer de 5.128 Juifs français à Paris au cours d’une nouvelle grande rafle prévue à la fin septembre. Mais le 22, il reçoit ce message de son supérieur Knochen : "Par ordre du S.S.-Standartenführer Dr. Knochen, ne rien entreprendre pour cette action jusqu’à nouvel ordre. Le S.S.-Obersturmführer Lischka est au courant. Se mettre en rapport avec lui aujourd’hui même." (cité in Klarsfeld, op. cit., p. 193-194). C'est qu'entre-temps, au vu des protestations de l'opinion publique et des Eglises, Vichy a fait machine arrière et annonce borner ses rafles aux seuls Juifs étrangers. De sorte que le 14 septembre 1942, la police française rafle 200 Juifs de nationalité lettone, lituanienne, estonienne, bulgare, yougoslaves et hollandais, déportés deux jours plus tard ; le 24 septembre 1942, la police parisienne arrête 959 Juifs roumains, 729 d'entre eux étant gazés à Auschwitz trois jours plus tard. 1.965 autres Juifs étrangers seront raflés en octobre, et 1.060 Juifs grecs en novembre...