Nous n'en avons pas causé récemment, et même pas beaucoup au total si j'en crois le moteur de recherche.
Le jeune maréchal, vice-ministre soviétique de la Défense, est fusillé le 12 juin après un procès de quelques heures et avant quelques dizaines de milliers d'autres officiers, en proportion d'autant plus importante que leur grade était élevé.
Les raisons de cette hécatombe ne font l'objet actuellement d'aucune analyse historique digne de ce nom, à ma connaissance. En lieu et place, on trouve des considérations médiocrement prouvées oscillant entre deux pôles :
-Staline avait de bonnes raisons de se méfier d'un possible rival, ancien officier tsariste devenu un communiste médiocrement convaincu et tout disposé à tenter une aventure de type bonapartiste; un faux dossier sur la préparation d'un coup d'Etat en collusion avec l'Allemagne, monté à Berlin et transmis par le président tchèque Benès, a seulement servi de preuve accablante -certains allant jusqu'à dire que ce dossier était une commande de Staline, manipulant notamment un agent double russe blanc résidant à Paris, le général Skobline. On raconte aussi que Toukhatchevsky, anti-allemand et antinazi, aurait prôné une attaque préventive anglo-franco-soviétique pendant que l'Allemagne n'était pas encore très forte et que c'est cela qui aurait été décisif dans sa chute, Staline songeant au contraire déjà à un pacte avec Hitler.
-Staline a été abusé par ce faux dossier, coup de maître de Hitler et / ou de Heydrich.
La première théorie est exposée avec un grand luxe de sources et de détails par Victor Alexandrov en 1962, dans un livre qu'on trouve pour une bouchée de pain sur Internet. La seconde est notamment accréditée par les mémoires de Schellenberg (1957).
Rien de neuf depuis, sinon le livre d'Igor Lukes Czechoslovakia between Stalin and Hitler: The Diplomacy of Edvard Benes in the 1930s (1996). Cet historien américain d'origine tchèque, l'un des premiers à fouiller les archives de Prague, a démontré de manière convaincante que Benes n'avait rien dit à Moscou ! Il est vrai qu'il était lui-même à l'origine de la légende, dans ses mémoires, en 1948.
Reste donc la piste Skobline, détaillée et par Alexandrov et par Schellenberg.
Malgré toute ma méfiance pour Schellenberg, j'incline assez à croire sa version, et à ramener toute l'affaire à une intoxication nazie très réussie.
Une seule chose parle en sens contraire : lors du procès de Radek et de seize autres accusés, en janvier 1937, donc avant le début de l'intox nazie, Radek avait commencé à mettre en cause l’armée (le 24 janvier), avec une déclaration lors d’un interrogatoire, en audience publique, par le procureur Vichynski. Ce genre de réplique soigneusement préparée éveillait l’attention des initiés, en donnant une idée des poursuites futures. En l’occurrence, Radek s’était contenté de mettre en cause le général Vitovd Putna, un proche collaborateur de Toukhatchevsky, en exonérant ce dernier (à la suite d’une question de Vichynski) de toute participation à une conspiration. Ce qui laissait le champ libre, soit à une mise en cause de Toukhatchevsky grâce à de nouvelles informations que Radek aurait pu dissimuler ou ne pas connaître, soit à l’exécution du seul Putna, les autres officiers étant tenus pour suffisamment avertis qu’ils devaient redoubler de fidélité au régime et à son chef.
Je propose l'hypothèse suivante : Staline, lancé dans une politique de terreur tous azimuts pour consolider son pouvoir, comptait bien faire quelques exemples en frappant de hauts cadres militaires, et en faisant un peu trembler Toukhatchevsky lui-même, puis basta. La manip nazie a pris le relais, et a persuadé Staline lui-même d'une vaste conspiration, qu'il fallait décapiter sans retard et en ratissant large.
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