Il en ressort que bien des problèmes s'imbriquent : dékoulakisation, collectivisation, nationalités, incompétence économique, indifférence bureaucratique, faible réactivité de Moscou aux catastrophes humanitaires (peu de progrès depuis...). Bref qu'une famine génocidaire spécifiquement dirigée contre l'Ukraine n'est pas, du moins sous une forme aussi simpliste, une thèse actuellement retenue par les spécialistes universitaires de toutes contrées et qu'ils ont en moyenne plutôt tendance à s'en éloigner.
Je serai plus nuancé, tout en rappelant que famine il y a eu, et qu'elle a causé entre 4 et 7 millions de morts dans la seule Ukraine.
1. Le point sur l'historiographie
Cette complexité des facteurs que mentionne François Delpla transparaît certes dans R. W. Davies & Stephen G. Wheatcroft, The Years of Hunger: Soviet Agriculture, 1931-1933, Palgrave Macmillan, 2004. Selon ces deux chercheurs, la politique agricole soviétique était par trop incohérente et désordonnée pour permettre d'établir l'idée d'un programme génocidaire. Une mauvaise culture des sols les avaient épuisés, tandis que la collectivisation avait réduit la surface des terres cultivables et la masse de bétail. Les paysans, dont les plus productifs avaient été emportés par la dékoulakisation, étaient de moins en productifs, pour cause d'épuisement, la collectivisation étant assimilée à un retour au servage. Enfin, le mauvais temps avait achevé la récolte de 1932. Selon ces historiens, le Kremlin ne sut s'adapter à cette catastrophe, et réagit trop tard par sous-estimation de celle-ci.
Mais Nicolas Werth lui-même, qui n'était pourtant pas un adepte de la formule de "génocide" à propos de la famine ukrainienne de 1932-1933 (voir notamment Nicolas Werth, "Comment Staline a affamé l'Ukraine", L'Histoire, n° 188, mai 1995, p. 78-84), y adhère pleinement depuis quelques années - voir Nicolas Werth, "La grande famine ukrainienne de 1932-1933", in Nicolas Werth, La terreur et le désarroi. Staline et son système, Perrin, 2007, p. 116-134. Encore réfute-t-il la thèse d'une extermination planifiée de la nation ukrainienne : si génocide par famine il y a eu, il visait la paysannerie ukrainienne, et il s'insérait dans une mise au pas de l'Ukraine, puisqu'à même époque était entamée la politique de russification de cette vaste région, outre qu'une importante répression s'abattait sur les élites locales, politiques et intellectuelles. La thèse a été défendue par un autre historien pondéré dans ses affirmations, Andrea Grasiozi, "The Soviet 1931-33 Famines and the Ukrainian Holodomor: Is A New Interpretation Possible, What Would Its Consequences Be?", Conference on Soviet Totalitarianism in Ukraine: History and Legacy, 3 septembre 2005. La famine n'avait pas été prévue, mais instrumentalisée.
Terry Martin, dans The Affirmative Action Empire. Nations and Nationalism in the Soviet Union 1923-1939 (Cornell University Press, 2001), a montré à l'aide de documents déclassés, et notamment la correspondance qu'entretenait Staline avec ses deux missi dominici expédiés en Ukraine en 1932, Molotov et Kaganovitch, que le Vojd nourrissait une véritable haine au nationalisme ukrainien. Le dictateur soviétique assimilait l'opposition locale à la saisie des récoltes à une hostilité spécifiquement ukrainienne, qu'il fallait combattre sans merci.
En ce sens, cette thèse apparaît plus modérée, et plus crédible, que celle de la famine préméditée, reprise avec succès dans les années 80 par Robert Conquest (son ouvrage pionnier The Harvest of Sorrow a été publié par Robert Laffont en 1995, dans la collection "Bouquins") et Guillaume Malaurie ("Le génocide par la faim", Le Monde, 29 août 1983, reproduit dans Miron Dolot, Les affamés. L'holocauste masqué - Ukraine 1929-1933, Ramsay, 1986, p. 11-17). L'historien américain James E. Mace, dans une série d'articles publiés dans les années 80, adhérait à la thèse d'une campagne de terreur montée contre l'Ukraine, la famine ayant été sciemment organisée - voir James E. Mace, "The man-made famine of 1933 in the Soviet Ukraine", in Israel Charny, Toward the understanding and prevention of genocide: Proceedings of the International Conference on the Holocaust and Genocide (Westview Press, 1984) et "Famine and Nationalism in Soviet Ukraine", Problems of Communism, mai-juin 1984. Ces études restent ancrées dans le contexte de la Guerre Froide, mais il serait malhonnête d'en contester les apports déterminants dans la rédaction d'une histoire scientifique de la famine ukrainienne.
Toutefois, la tendance dominante reste visiblement, chez les historiens, celle d'une thèse selon laquelle la famine ukrainienne s'inscrivait dans le cadre d'une guerre contre la paysannerie, et Terry Martin lui-même s'inscrit dans cette démarche - voir, pour une excellente synthèse de cette position, Georges Sokoloff, "La guerre paysanne de Joseph Staline", in Georges Sokoloff (éd.), 1933, l'année noire. Témoignages sur la famine en Ukraine, Albin-Michel, 2000, p. 9-54. Les communistes, c'est connu, préféraient l'ouvrier au moujik. Selon Lénine, la Russie était par trop arriérée, car paysanne, donc supertitieuse et stupide. Seule comptait l'industrialisation des glorieux plans quinquennaux. Les communistes se méfiaient d'autant plus de la paysannerie que cette dernière s'était parfois opposée à eux. Surtout, la politique de collectivisation des terres, profondément imbécile en soi, se heurta à une véritable hostilité, et à une nouvelle flambée de violence qui durcit le contentieux opposant le Parti à l'agriculture. Staline avait d'ailleurs mené une stratégie d'éradication des paysans les moins pauvres, les "Koulaks", arrêtés et déportés dès 1928.
Le Dr. Dana Dalrymple, dans "The Soviet Famine of 1932-1934", Soviet Studies, 1964, n° 3, s'efforçait de retracer les causes de cette catastrophe, insistant sur l'incompétence économique du régime, dépassé par le désastre de la collectivisation et de la dékoulakisation. La famine, selon ce chercheur, s'intègre dans la lutte stalinienne contre la paysannerie. Par inconscience autant que par humanité, le Vojd avait prélevé les récoltes de manière trop conséquente pour maintenir le niveau des exportations et se constituer des réserves alimentaires pour le cas d'un conflit - il est vrai qu'à la même époque, le torchon brûlait entre Moscou et Tokyo. Le Kremlin ne se préoccupait nullement des arguments humanitaires, et voyait dans la mauvaise volonté paysanne non un réflexe élémentaire de survie mais un germe de trahison.
Dalrymple n'avait certes pas les moyens documentaires d'aller plus loin, mais ses travaux avaient au moins le mérite de replacer l'étude de la famine ukrainienne dans un cadre scientifique. Toutefois, son étude révélait quelles avaient été les causes immédiates et lointaines de la famine. Il est certain que cette dernière n'a pas été délibérement provoquée pour détruire l'identité nationale ukrainienne, ou même l'Ukraine tout court. La famine, en effet, a touché à la même époque d'autres zones de l'U.R.S.S., notamment le Caucase et le Kazakhstan, l'inepte et sanglante politique de sédentarisation menée par le Kremlin y ayant détruit les structures alimentaires - voir Isabelle Ohayon, La sédentarisation des Kazakhs dans l'URSS de Staline. Collectivisation et changement social (1928-1945), Maisonneuve & Larose, 2006. Moscou elle-même a été frappée par les restrictions.
2. Une fuite en avant stalinienne
La collectivisation et la dékoulakisation avaient désorganisé la production et saigné à blanc la paysannerie. Mais le régime allait sombrer dans le déni de réalité. D'une médiocre récolte globale de 69 millions de tonnes en 1931 (20 % de moins qu'en 1930 !), près de 23 millions en furent prélevées, dont 5 destinées à l'exportation. Il avait fallu céder aux organismes étatiques de prélèvement une partie des semences destinées à la récolte suivante, créant ainsi une situation potentiellement explosive à court terme au Kazakhtan et en Ukraine. Ces deux greniers étaient absolument hors d'état de répondre au plan de collecte pour 1932, ce d'autant plus que le climat s'en était mêlé, puisque exceptionnellement humide cette année là (Mark Tauger, "Natural Disaster and Human Action in the Soviet Famine of 1931-1933" Carl Beck Papers in Russian and East European Studies, n° 1506, 2001, p. 19 - Tauger insiste un peu trop facilement sur une origine essentiellement naturelle de la mauvaise récolte de 1932, sans réfuter efficacement les arguments politiques).
Staline, toutefois, ne s'en préoccupait nullement. Dans un télégramme à Kaganovitch et Molotov du 18 juin 1932, il proposa même une augmentation du plan de collecte de 4 à 5 % ! Il avait certes besoin de maintenir les exportations à niveau (1.700.000 tonnes en 1932), en vue d'obtenir en retour un matériel industriel et agricole susceptible de faciliter l'achèvement du premier plan quinquennal. Le plan de collecte de 1932, aux dires de Sergueï Kirov (le proche collaborateur de Staline dont l'assassinat, en 1934, constitua un prétexte au lancement de la Grande Terreur), était bel et bien "la pierre de touche de notre force ou de notre faiblesse, de la force ou de la faiblesse de nos ennemis".
A ce titre, Staline interprétait le mauvais résultat des saisies à une trahison paysanne - et, en Ukraine, une contestation spécifiquement nationale. Les cadres communistes ukrainiens s'opposaient d'ailleurs, non sans réalisme, à un plan de collecte aussi manifestement éloigné de la réalité. Staline, frappé de maladie au cours de l'été, s'en inquiéta. Dans un courrier du 11 août 1932 à Kaganovitch, envoyé en mission pour rétablir l'ordre, il constatait que "les affaires de l'Ukraine vont lamentablement mal", non d'un point de vue humanitaire, mais politique. Craignant moins la famine que la contestation de son plan de collecte, il se perdait en récriminations contre l'appareil local, taxé d'incompétence, tandis qu'il manifestait son inquiétude devant les prétendues menées subversives de la Pologne voisine. "Il faut transformer l'Ukraine, dans les plus brefs délais, en véritable forteresse de l'U.R.S.S., en république véritablement exemplaire pérorait-il. Ne pas lésiner sur les moyens. Sans ces mesures (renforcement économique et politique de l'Ukraine, et en premier lieu de ses districts frontaliers, etc.), nous risquons de perdre l'Ukraine."
Le décret du 7 août 1932 avait constitué une réponse aux premières oppositions - compréhensibles - émanant des paysans et des ressortissants locaux : il punissait de mort ou de 10 ans de détention toute personne portant atteinte à la propriété socialiste, essentiellement en pratique le vol d'épis de blé (d'où le surnom de ce texte, zakon o kolostkakh, "loi sur les épis"). Staline s'était lancé, comme d'habitude face à une colossale erreur d'appréciation, dans la fuite en avant. Pas question pour lui de réduire les objectifs de la campagne de collecte sous peine de nuire au plan quinquennal et de devenir la risée de l'étranger, si menaçant à ses yeux (du Japon des militaires à la Pologne de Pilsudski). Pas question non plus de fermer les yeux sur les critiques qu'avaient suscité, chez les Ukrainiens le prélèvement forcé des récoltes. Si même les communistes locaux se comportaient en Ukrainiens et non en staliniens ! D'où une politique de répression des cadres et de l'intelligentsia. Ce fut véritablement au second semestre 1932 que furent définitivement mis à mort les vestiges de l'autonomie ukrainienne au sein de la fédération soviétique. Deux décrets, en décembre, mirent fin au système d'indigénisation des cadres en Ukraine - et pas ailleurs.
Les stocks ne furent pas débloqués avant janvier 1933, alors que la famine atteignait son apogée. Mais l'aide accordée aux zones sinistrées était dérisoire : 320.000 tonnes à peine, alors que les exportations étaient cinq fois supérieures ! Ce même mois, ordre était donné au Guépéou d'empêcher les ressortissants des régions affamées de s'en échapper. Il s'agissait moins, comme l'ont prétendu certains historiens "génocidaires", d'une décision visant à tuer davantage d'Ukrainiens que de maintenir l'ordre par la manière forte, en prévenant toute circulation des rumeurs les plus alarmantes. Contrôler les allées et venues des citoyens soviétiques s'avérait d'autant indispensable que le régime comptait sur les visites organisées de dirigeants étrangers, tels que le radical français Edouard Herriot, pour afficher le bonheur soviétique et faciliter la politique de détente stalinienne avec l'Occident, afin de parer aux visées germano-nippones.
La récolte de 1933, due à une terrible reprise en main des fermes collectives par le Parti et surtout à de bonnes conditions climatiques, fut bien meilleure. Lorsqu'Edouard Herriot visita des districts soigneusement sélectionnés et pourvus en travailleurs bien mieux nourris que la moyenne soviétique, il pouvait d'autant moins s'apercevoir du désastre que, cette fois, les moissons permettraient de répondre à la demande.
3. La perception diplomatique de la catastrophe
Alors que l'U.R.S.S., par souci de prestige extérieur, niait en bloc la famine, utilisant à profit divers politiciens et journalistes occidentaux, cette dernière fut certes instrumentalisée... par les Allemands et les Polonais, pour discréditer le régime communiste. Mais cette dénonciation, politiquement intéressée, n'en reposait pas moins, comme pour le massacre de Katyn dix ans plus tard, sur une réalité établie par des témoins, notamment le Dr. Otto Schiller, expert économique à l'ambassade allemande de Moscou. La négationnistes stalinienne Annie Lacroix-Riz conclut imprudemment à une falsification orchestrée par Berlin, Varsovie, Rome et le Vatican pour affaiblir l'U.R.S.S. et prévenir tout rapprochement de cette dernière avec la France et d'autres puissances occidentales (Annie Lacroix-Riz, Sur la "famine génocidaire stalinienne" en Ukraine en 1933 : une campagne allemande, polonaise et vaticane, Internet). Mais elle n'établit pas en quoi les informations allemandes étaient erronées, voire mensongères. Au contraire : l'Allemagne, bénéficiant de l'embellie des relations germano-soviétiques sous l'ère weimarienne, avait maintenu un réseau de consulats en U.R.S.S., à la différence de la France. Par ailleurs, les attachés allemands avaient signalé une crise du ravitaillement dès le second semestre 1932, soit bien avant la venue au pouvoir de Hitler - détail chronologique qui a visiblement échappé à cette pseudo-historienne.
Cette dernière, ne tient d'ailleurs nullement compte des démêlés germano-polonais autour des organisations indépendantistes ukrainiennes en 1933. Varsovie devait affronter la plus violente d'entre elles, l'O.U.N., l'Organisation des Nationalistes ukrainiens, qui organisait des attentats en Pologne et réussit même à assassiner un ministre polonais en 1934. Tout au long de l'année 1933, la presse polonaise se répandit en dénigrements et injures à l'encontre des Ukrainiens, accusant l'O.U.N. d'être une officine allemande (voir W. Kosyk, L'Allemagne nationale-socialiste et l'Ukraine, Publications de l'Est européen, 1986, p. 22-39). Rien de commun avec une alliance germano-polonaise autour d'une intoxication anticommuniste, s'il faut croire Annie Lacroix-Riz.
Mussolini lui-même avait été tenu informé, notamment par un rapport circonstancié du 31 mai 1933 émanant de son consul à Kharkov, Sergio Gradenigo (reproduit ici), des sanglants progrès de la faim en Ukraine. Mais il n'émit aucune protestation, car il tenait absolument à courtiser l'U.R.S.S. pour accroître l'indépendance diplomatique italienne - il ne s'opposa d'ailleurs pas à l'adhésion de la Russie communiste à la S.D.N. l'année suivante. Ce simple rappel suffit à torpiller les assertions d'Annie Lacroix-Riz selon laquelle l'Italie aurait participé à une campagne d'intoxication avec l'Allemagne, la Pologne et le Vatican (Annie Lacroix-Riz, op. cit., p. 27). On se demande bien pourquoi le Duce aurait prié ses consuls en Ukraine de lui communiquer des rapports frauduleux pour mieux les enterrer aux archives...
Quant à l'Eglise, elle crut bon d'intervenir, à la fois par souci humanitaire, et par volonté de nuire à la bonne image, déjà érodée, de l'U.R.S.S. Annie Lacroix-Riz y voit la preuve d'un complot, mais n'en démontre nullement l'intention frauduleuse.
Autre point. A la différence de l'Allemagne et de l'Italie, la France n'avait pas établi de consulats en U.R.S.S., et était tributaire des informations glanées par les légations italiennes, allemandes et britanniques - également très bien informées pour leur part (voir Marco Carynnyk, Lubomyr Y. Luciuk, Bohdan S. Kordan, The Foreign Office and the Famine: British Documents on Ukraine and the Great Famine of 1932-1933, Limestone, 1988). Annie Lacroix-Riz en tire argument pour montrer que les sources françaises, loin d'établir la réalité de la famine, prouvent au contraire, en s'inspirant de sources étrangères, voire en les dénonçant (timidement) par endroits, la falsification fasciste. Mais c'est oublier que les sources de l'ambassade étaient également communistes (Sophie Coeuré, La grande lueur à l'Est. Les Français et l'Union soviétique 1917-1939, Seuil, 1999, p. 224), et c'est négliger le contexte, à savoir une tentative de rapprochement français avec Moscou, tandis que les Soviétiques s'efforçaient d'endormir la méfiance française en accueillant en fanfare Edouard Herriot.
Annie Lacroix-Riz reproduit ainsi sans sourciller la dépêche de l'ambassadeur français à Moscou, Charles Alphand, en date du 13 septembre 1933, et rendant compte au Quai d'Orsay de la visite ukrainienne d'Herriot (Annie Lacroix-Riz, op. cit., p. 8-10). Alphand, tout à son souci d'améliorer les rapports franco-soviétiques, donnait de l'U.R.S.S. une image idyllique, celle d'un pays en plein développement industriel et social. Il relatait la visite de kolkhozes et d'un sovkhoze, "et nous revenons avec l'impression très nette de la fausseté des nouvelles répandues dans la presse". Mais il est prouvé qu'Herriot comme Alphand furent victimes d'une mise en scène télécommandée par le Kremlin (Sophie Coeuré, op. cit., p. 171-183). Le correspondant du Temps, Georges Luciani, qui accompagnait Herriot et Alphand au cours de leur gentil périple, demeura sur place et put rendre compte du désastre (Sophie Coeuré, op. cit., p. 181 et 224). De surcroît, rien d'étonnant à ce qu'Alphand mentionnât "l'étendue de ces champs qui viennent de donner une récolte que tous s'accordent à trouver exceptionnelle" : il s'agissait de la récolte, excellente, de 1933, non celle de 1932, laquelle avait été sévèrement ponctionnée par le gouvernement stalinien, ce qui avait déclenché la famine. Bref, Alphand avait cruellement manqué de discernement. A dessein ?
En d'autres termes, le "travail" d'Annie Lacroix-Riz sur cette question relève de l'ineptie et devra être rejeté. Elle limite curieusement son champ de recherche aux sources diplomatiques françaises, d'ailleurs mal utilisées et extraites de leur contexte, sans tenir compte des archives soviétiques, et en faisant preuve de la très facile rhétorique antifasciste, comme l'avaient fait les communistes vis-à-vis du massacre stalinien de Katyn. Fin de la parenthèse entourant cette "chercheuse", qu'il faudra bien, un jour ou l'autre, expulser de l'Université si elle persiste dans ses falsifications de l'Histoire.
Conclusions
La famine de 1932-1933 n'était pas préméditée, mais les plans de collecte des grains, mis au service des exportations céréalières censées permettre le financement et l'équipement du premier plan quinquennal, ne tenaient pas compte des réalités désastreuses laissées par la collectivisation et la dékoulakisation. Staline, malgré les oppositions émanant des paysans et des cadres communistes ukrainiens, n'en maintint pas moins sa politique de saisie. Le Kazakhstan, ravagé par une sédentarisation forcée, fut fortement touché par la famine, la malnutrition, les épidémies - 1.800.000 morts. L'Ukraine fut pareillement frappée dès l'été 1932, et les communistes locaux protestèrent devant l'irréalisme du programme stalinien. Le Vojd crut, comme souvent, à une mauvaise volonté paysanne, et à une incapacité du Parti communiste ukrainien à faire régner l'ordre. Surtout, il crut avoir affaire à une contestation dominée par l'esprit national ukrainien, manipulée par l'étranger (polonais essentiellement), et résolut d'en finir avec lui. Comme il lui était impossible de réduire le plan des collectes, il le mena jusqu'à son terme, et écrasa les élites locales. En ce sens, la famine servait son dessein d'affaiblir la paysannerie et le nationalisme ukrainien. Mais il ne recherchait pas une extermination totale. L'Ukraine devait être remise au pas, la production réorganisée en attendant les moissons de 1933.
Une étude serrée de la chronologie permet d'aboutir à cette conclusion. Comme le note Nicolas Werth, jusqu'à l'été 1932 la famine ukrainienne ne diffère pas des autres qui touchent les régions céréalières de l'Union soviétique : elle résulte d'une politique économiquement inepte, humainement dangereuse, élaborée au Kremlin au nom d'une volonté de puissance matérialisée par le premier plan quinquennal. A partir de l'été, le phénomène évolue. Staline amplifie intentionnellement la famine pour l'intégrer dans un arsenal répressif spécifiquement tourné vers l'Ukraine.
En d'autres termes, et c'est là ma conclusion personnelle, l'on peut bel et bien parler d'une véritable fuite en avant ayant abouti à un génocide, mais l'on ne peut non plus négliger d'autres facteurs, tenant à la situation internationale de l'U.R.S.S. et à son contexte économique intérieur, outre un égoïsme inhumain profondément ancré chez un dictateur déséquilibré.
Oilà oilà, désolé d'avoir fait aussi long, mais un événement aussi cataclysmique ne peut se traiter en deux lignes, et j'espère avoir fourni suffisamment d'informations et de pistes de recherche, à défaut d'avoir été exhaustif.