Voici ce qu'en dit Historia sur l'épuration en France durant la période 1944-1945.
"L'épuration sauvage se développe essentiellement en 1944 et 1945, dans le contexte insurrectionnel qui accompagne la Libération, tout à la fois nourrie des souffrances de la guerre et de la volonté d'infliger aux complices de l'occupant et aux agents du régime de Vichy des châtiments exemplaires. Mais derrière ces motivations en apparaissent d'autres, qui vont de la vengeance de clocher - de quartier - à l'élimination d'un concurrent politique, de l'humiliation publique d'une femme compromise dans la "collaboration horizontale" à la "liquidation" d'une personnalité de la France profonde, noble ou propriétaire terrien, vestige d'une forme moderne de féodalité.
"La France émerge de ces quatre années de guerre dans un état d'affaiblissement humain et d'effondrement économique dont quelques chiffres donnent le vertige... (je dirais pour ma part, le frisson). On évalue à plus de 400 000 le nombre de civils tués : déportés politiques et raciaux, prisonniers, travailleurs requis, 60 000 personnes sont mortes sous les bombardements. Près de la moitié des lignes de chemins de fer sont détruites. Il n'y a plus qu'une loccomotive sur six, un wagon de voyageurs sur deux et un wagon de marchandises sur trois en état de rouler.
"Le quart du capital immobilier est anéanti. Un million de personnes sont sans abri. Tout aussi graves ont été les restrictions alimentaires dans les centres urbains, en dépit de la débrouillardise et d'un marché parallèle, voire du "marché noir". En 1945, la ration quotidienne par personne est de 15 grammes pour les matières grasses, 75 grammes pour la viande.
"Ce contexte économique catastrophique, propice aux mouvements d'exaspération de la population, se greffe sur une réalité politique qui rendait les excès de l'épuration en partie inévitables. Il n'est guère surprenant que le milicien engagé dans la répression d'un maquis - comme en mars 1944 celui du plateau des Glières, en Haute-Savoie -, et qui n'a pu s'intégrer dans le flot d'exode vers l'Allemagne, subisse, avant que ne se mette en place une justice régulière et légale, un sort que lui avait d'ailleurs annoncé la radio de Londres. Mais que le seul fait d'une inscription à la Milice - et plus encore un soupçon d'appartenance - expose à une exécution, ajoute au caractère exceptionnel de cette forme de justice.
"On voit, dans certaines régions sous l'ère de la suspicion, des journaux qui s'affirment comme héritiers de la Résistance, désigner à la justice populaire et - c'est un moindre mal -, aux cours de justice qui viennent d'être mises en place par l'ordonnance du 26 juin 1944, des profiteurs du marché noir, des femmes d'un commerce facile ayant vendu leurs charmes aux Allemands, des petits dignitaires du régime de Vichy et des "collabos" de moindre calibre.
"Cette justice de proximité frappe donc plus ou moins au hasard, tantôt par le fait d'individus isolés, tantôt à l'initiative de mouvements organisés issus de la Résistance, ou qui lui sont étrangers - résistants de la dernière heure qui se multiplient à l'infini, groupes autonomes aux frontières d'un banditisme que favorise l'absence provisoire d'autorité.
"La France rurale, encore largement majoritaire, paie logiquement le tribut le plus important à l'épuration sauvage sous son double aspect politique et de revanche sociale. Car on ne peut réduire l'épuration violente à une succession de règlements de comptes ou à quelques bavures isolées dans l'intention à peine voilée d'en dédouaner la Résistance, dont il n'est nullement question d'instruire le procès.
"Le caractère révolutionnaire de l'épuration violente s'impose à l'examen des fonctions, professions et opinions des victimes effectives ou désignées à la vindicte, non seulement pendant l'Occupation, mais aussi durant les cinq ans de l'avant-guerre : de 1934, année du spectaculaire développement des ligues de la droite nationaliste jusqu'au début du conflit.
"Avoir été maire désigné par Vichy expose à des représailles, même lorsque, dans l'exercice de ce mandat, l'édile, par ailleurs confronté aux dures réalités de sa gestion, s'est contenté de manifester des marques de respect, voire de louanges excessives, à l'égard du maréchal Pétain. Mais avoir appartenu à quelques mouvements d'extrême droite - Action française, Parti social française, etc - constitue une circonstance aggravante qui peut exposer à de sérieux embarras. L'injure suprême pour tel quotidien de province issu de la Libération est "cagoulard", et on ne donne pas cher de la liberté de celui qui, à la tête d'une entreprise, s'est fait remarquer par son hostilité au Front populaire, par le verbe ou par les actes.
"1936, année unique pour les conquêtes ouvrières, laisse pourtant, dans certains milieux de l'extrême gauche, le souvenir d'une "révolution manquée", ou en tout cas inachevée, que la Libération offre l'opportunité de parachever. Ce n'est pas le fait du hasard si les départements qui ont recensé le plus de voix en faveur du parti communiste sont les plus touchés par l'épuration violente.
"Plus, en 1944, l'épuration sauvage devient, dans certaines régions de France, l'un des instruments dans la perspective de la prise du pouvoir" (Philippe Bourdrel, Historia, septembre 2004).
25 pages sont consacrés à ce que furent les années de l'épuration d'après-guerre.
Voici le topic qu'Hilarion m'a demandé de faire sur ce forum. J'ai préféré l'intégrer dans "la Libération".
Que ceux qui ont des témoignages sur ce sujet peuvent en débattre.