Bonjour,
Pour complêter l'article paru dans l'Histomag, "une histoire française", j'ai trouvé ce témoignage "vu de l'autre côté du pont":
Mouleydier village martyre par Louis Foxonet
Copie de l’article paru dans Nestor du 5 avril 1948.
Résistants, maquisards, chers lecteurs de " Nestor ", ce récit vous est fait par un combattant qui a vécu cette tragédie, de la première balle tirée, à la destruction complète de Mouleydier et au massacre de la majeure partie de ses défenseurs.
Ces souvenirs sont si pénibles que ce n’est qu’à la demande de quelques-uns des nôtres que je me résous à les publier.
Dix Neuf juin 1944, cinq heures du matin (date à jamais gravée dans ma mémoire). L’aube se lève, le silence le plus complet règne et, seuls les rossignols déchirent de leurs chants matinaux cette douce quiétude.
Le village est encore endormi, un épais brouillard couvre la Dordogne qui coule à nos pieds. Nous sommes en position depuis la veille dix sept heures, heure à laquelle nous avons relevé une compagnie FTP. Deux compagnies sont placées sur les hauteurs qui dominent Mouleydier, la troisième, la nôtre, est en renfort dans le parc. Le P.C. est au centre du village. Quelques sentinelles placées aux avant- postes veillent, l’oreille tendue. Après un tour de ronde, rien d’anormal n’est à signaler.
Mais ce silence n’est que passager. Alerte …On entend au loin le grincement des chenilles des chars ennemis qui s’approchent. " Ce sont des chars ennemis qui se dirigent sur Beaumont " me dit mon commandant de compagnie. " Le secteur est bien gardé nous n’avons rien à craindre ".
Soudain, quelques coups de feu tirés par les avant-postes nous sortent de cette certitude : " Tenez votre section prête, je vais demander du renfort ", me répète mon commandant de compagnie, le lieutenant Vaunac.
Nous faisons face à l’ennemi qui avance sur nous chassant les premiers P.A. Le pont traversant le fleuve est solidement tenu par deux fusils-mitrailleurs. Tout est prêt, l’ennemi ne passera pas. Le calme relatif revient pendant trente minutes, nous attendons palpitants et anxieux, toujours à l’affût de quelques infiltrations ennemies. Ce laps de temps écoulé, nos armes se mettent à tirer, les brutes sont sur l’autre berge et essayent de s’engager sur le pont. Leur tentative échoue, ils battent en retraite. Puis, plus rien, le calme règne à nouveau.
Que préparent-ils ? Nous ne resterons que quelques minutes dans l’attente angoissante. Soudain, par un haut-parleur placé dans une ferme sur l’autre rive, une voix caverneuse se fait entendre. Elle nous donne dix minutes pour nous rendre et exécuter ses ordres :
" Rendez-vous, vous êtes vendus par vos chefs terroristes qui vous trompent. Ceux qui se rendront seront pris sous notre protection, ceux qui seront pris les armes à la main seront considérés comme francs-tireurs et abattus comme tels ".
Comptant les minutes, elle reprenait :
" Plus que neuf, plus que huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux " et à la fin du compte à rebours, nous recevons une pluie de projectiles, un déluge d’artillerie : mortiers de 81mm, chars 35 tonnes, automitrailleuses, toutes ces armes tirent sur nous. Autour de nous, les murs des maisons volent en éclat.
Cela n’atteint pas notre moral et dans une réplique ultime, toutes nos armes se mettent à tirer.
Petit à petit, à court de munitions, elles se taisent. Les quatre hommes aux fusils mitrailleurs qui défendent le pont sont tués à leur poste de combat. Deux automitrailleuses nous contournent par le sud et entrent dans le village ; tout contact est perdu entre nous, c’est la fin, nous attendons la mort.
Une partie de la section est fauchée en franchissant la route, l’autre partie prisonnière, le lieutenant Vaunac massacré dans son P.C. Seuls deux hommes sortiront de cet enfer, Malgaches et moi, grâce à des buissons suspendus dans la Dordogne dans lesquels nous nous sommes dissimulés. De là, nous assistons impuissants à la destruction de Mouleydier et au massacre des blessés et des prisonniers sur lesquels les brutes nazies s’acharnent à coups de crosse et de talon. (Par miracle, un de ces prisonniers a pu s’échapper du peloton d’exécution).
Les râles de nos camarades d’armes parviennent jusqu’à nous sans que nous puissions leur apporter une dernière consolation. Le craquement des poutres incendiées et le fracas des tuiles tombant lourdement sur le sol se mêlent à leurs plaintes. Scènes horribles et insupportables.
Pauvres Vaunac, Villarmet, Dondart, Hurteneau, Francès, Labasque, Miconet, Labeur et tant d’autres, tous héros de la Résistance, morts dans la gloire pour que vive la France dans la Liberté. Comment ne vous ai-je pas suivi dans la nuit éternelle ? Pourquoi vous et pourquoi pas moi ? Je me le demande encore.
Ces brutes sanguinaires fouillent et ratissent tous les recoins, leurs bottes foulent le sol au dessus de ma tête, faisant tomber la terre friable sur mon épaule gauche. Le canon de mon pistolet sur la tempe, je suis prêt à tout pour ne pas tomber entre leurs mains. A mon grand soulagement, ils s’éloignent. Certains camarades, moins chanceux que moi, sont débusqués. Les jambes brisées par des rafales de mitraillettes, ils sont ensuite achevés à coup de crosse. Alors que je me crois sauvé, une barque surgit dans mon dos : une patrouille ! Heureusement pour moi, il s’agit d’une barque dérivant au fil de l’eau. Ce n’est pas mon heure.
Après plusieurs tentatives, je quitte définitivement cet enfer le soir à dix sept heures. Lors de la première tentative alors que je tente de franchir la route Mouleydier / Bergerac, une femme maintenue prisonnière auprès d’un fusil mitrailleur allemand (sortie ouest), attire mon attention et me sauve la vie. Revenu alors au bord du fleuve, je reprends la direction de Bergerac par un sentier encaissé mais épuisé par ces dernières vingt quatre heures, je m’évanouis.
Lorsque je reprends mes esprits, le soleil décline à l’horizon. Seconde tentative, j’essaye de rejoindre une ferme en bordure de la route Mouleydier/Bergerac. Le passage m’est refusé par le fermier craignant la destruction de sa maison :
" Ne passez pas chez moi, ; si les Allemands vous trouvent, ils incendieront ma ferme. Voyez ce qu’ils ont fait à Mouleydier ! "
" Je sais, j’en viens ! "
La troisième tentative enfin ! Je peux gagner le bois de Saint-Sauveur où gisent des cadavres épars et abandonnés serrant encore leurs armes de leurs doigts raidis. Là, je suis recueilli par une famille d’Italiens qui me propose de passer la nuit dans une de leur chambre. Je décline leur invitation pour ne pas les mettre en danger, accepte leur bol de lait et je passe la nuit au fond du bois. Le lendemain, de bonne heure, nanti du petit déjeuner qu’ils m’ont offert de bon cœur et d’informations précieuses sur la localisation d’un groupe proche de résistants, je prends congé. Le groupe rejoint, j’attends trois heures l’arrivée d’un agent de liaison motocycliste, et avec lui, je peux atteindre l’Etat-major du Bugue dans la soirée. Là je reprends contact avec quelques survivants notamment mes camarades Fèvre et Marty qui me croyaient morts dans les ruines de Mouleydier. Le bilan de cette sinistre bataille est terrible : 58 tués.