Bonjour à tous,
En réponse à une demande par MP, je vous propose quelques infos plus détaillées sur les réseaux d'évasion, venant compléter mon post essentiellement photographique, dans la rubrique "Sites et Musées", sur la Plage Bonaparte, accessible ici: < viewtopic.php?f=90&t=24793 >. Il s'agit principalement d'extraits de "La Seconde Guerre Mondiale", par Russell Miller, paru aux Eds Time-Life, 1979, 1981, tome xx: La Résistance, chap. 4: Routes Secrètes vers Londres. Je cite librement cet ouvrage, en espérant par cette référence respecter le droit à la propriété intellectuelle.
La nécessité d'organiser des filières d'évasion s'était imposée dés septembre 1939, et avait été confiée au bureau M.I. 9, faisant partie du service du renseignement Britannique. Pour l'accomplissement de sa mission spécifique, il était logistiquement (e.a. ressources et transport) dépendant de bureaux plus anciens, dont le Special Operations Executive (S.O.E.) et le renseignement étranger (M.I. 6). Ultra-secrête et initialement pourvue de moyens rudimentaires, elle comptait toutefois plusieurs personnages très expérimentés, dont un certain James Langley, lui même évadé de France en 1940, de même que Airey Neave (ultérieurement membre de l'équipe d'accusation britannique au tribunal de Nuremberg), qui avait été capturé à Calais, et d'autres anciens évadés.
Une 1ère filière mise sur pied par cette équipe devait par la suite être connue sous le nom de "Pat O'Leary Line", du nom de guerre d'un certain Albert-Marie Guérisse. Officier de l'armée belge, celui-çi s'était enfui en Angleterre dés la capitulation, pour se porter volontaire au SOE. Lors d'une mission sur le littoral méditerranéen, il y avait été abandonné par mégarde, et avait alors rejoint la filière. Celle-çi avait son centre névralgique à Marseille, où un ancien agent de change local, Louis Nouveau, en fit la plaque tournante des informations et instructions. Initialement, elle drainait en particulier mais non exclusivement les prisonniers évadés, aviateurs descendus, et résistants recherchés, depuis le Nord de la France, la Belgique et la Hollande. Elle se schématisait donc par: le Nord au sens large, Paris, Marseille, les Pyrénées, l'Espagne et enfin Gibraltar, dernière étape avant le retour en Angleterre par bateau. Plusieurs agents clandestins en Espagne, non occupée et soi-disant neutre mais ouvertement favorable à l'Axe, participaient à ces opérations, qui bénéficiaient aussi de l'appui d'un membre, officiel lui, de l'ambassade britannique à Madrid, responsable du segment espagnol du trajet. Sous l'impulsion de Nouveau, cette filière connut 1 développement considérable, employant jusqu'à 250 personnes, et couvrant progressivement toute la France. Deux faits en particulier devaient accroître son éfficacité: le retour volontaire en zône (encore) libre d'un des 1ers évadés à avoir été ramené en Angleterre, et qui en mai 1942 se proposa comme comme opérateur-radio clandestin à Marseille. D'autrepart, et grâce à son concours, la traversée terrestre des Pyrénées, périlleuse dans tous les sens du terme, pu être remplacée par un transfert maritime vers Gibraltar, à partir de plages méditerranéennes isolées, en particulier à proximité de Perpignan. Cette voie a permis l'évacuation collective de 8 groupes d'évadés, qui ont pu regagner l'Angleterre. Indépendemment du côté moral, ce succes a eu une conséquence militaire importante, puisqu'elle a fait prendre conscience aux autorités de la RAF, en proie à des pertes importantes, de tout le bénéfice d'une récupération massive d'aviateurs decendus, plutôt que les abandonner comme prisonniers, ce qui a contribué à la mobilisation au profit des filières d'évasion, de moyens matériels plus importants.
Simultanément, d'autres filières étaient apparues. L'une, éphémère mais héroique, était animée par une Mary Lindell, infirmière de la Croix-Rouge anglaise, qui dés 1940, permit par son accompagement personnel à plusieurs militaires anglais de traverser clandestinement la ligne de démarcation, avant d'être arrétée par la Gestapo. Non contente de s'évader après 18 mois d'incarcération et de regagner l'Angleterre, elle s'est alors engagée au MI9 et est revenue en France en octobre 1942, pour organiser une filière basée à Lyon, où elle agissait sans guère d'appui britannique, assurant a elle seule la récupération d'1 quinzaine de militaires. Une nouvelle arrestation en 1943 finit par l'envoyer à Ravensbrück.
Une 2ième filière importante s'est développée à partir d'août 1941, à l'initiative d'une infirmière belge de 24 ans, nommée Andrée de Jongh, dite Dédée. Mue par un désintéressement extraordinaire, et autant d'audace, elle refusait toute assistance y compris matérielle et même de contact radio, hormis le remboursement de billets de train achetés pour les évadés. Son trajet passait entièrement en zône occupée, gagnant Paris puis Bayonne avant la traversée pédestre de la montagne. On connaît a son actif personnel 32 voyages, avec plus de 100 clandestins, dont l'entiereté d'un équipage de bombardier, passé en 1 semaine. C'est cet exploit qui donna à son réseau le nom de "Comet". La volonté de Dédée était de rester l'animatrice solitaire d'une filière belge, mais elle ne pouvait pas empêcher l'extension de son organisation qui finit par englober la Hollande et le Luxembourg, et qui a permis le rapatriement de 1000 aviateurs et évadés.
Malgré ces succès, ou plutôt à cause d'eux, le réseau Comet et la O'Leary Line allaient connaître des difficultés grandissantes. En premier lieu l'intensification des bombardements Alliés en France multipliait les candidats à l'évasion, et en même temps détruisait l'infrastructure ferroviaire, déjà mise à mal par les sabotages. Or, le train était vital pour que les évadés gagnent la Méditerranée ou les Pyrénées. D'autrepart, la lutte sans merci que leur menait l'occupant, Wehrmacht et surtout Gestapo, était loin d'être inefficace. C'est d'ailleurs par infiltration et trahison que les 2 filières finirent par être décapitées: en janvier 1943, Dédée fut arrétée au pied des Pyrénées et envoyée à Ravensbrück; en mars, c'était au tour de Pat O'Leary, déporté à Dachau. Tous 2 survécurent. L'activité de leurs réseaux ne cessa pas pour autant, et de nombreuses autres petites organisations virent le jour, et poursuivirent les évacuations clandestines jusqu'à la Libération.
Néanmoins, à l'approche de 1944, avec les préparatifs et l'imminence du débarquement, de plus en plus de résistants, d'agents secrets, et surtout d'aviateurs, britanniques et américains, se trouvaient coincés dans le NO de la France, cachés et en attente d'évacuation, alors que celle-çi, par les réseaux terrestres existants, devenait de plus en plus aléatoire. C'est ainsi qu'une 3ième filière importante fut crée par MI9, utilisant une voie aéro-maritime. Cette filière, baptisée Shelburne, était basée à Plouha, dans les Côtes d'Armor, dont la population, patriotique et comportant nombre de pêcheurs, pouvait apporter une aide capitale. Ce réseau fut mis sur pied par un certain Lucien Dumais, militaire Canadien rescapé (par le reseau O'Leary) du raid de Dieppe, devenu membre du MI9, et revenu en France avec un opérateur-radio en octobre 1943 . La 1ère évasion eu lieu le 29 janvier 1944, et permit l'évacuation de 19 hommes. Ils avaient été amenés sur une plage isolée près de Plouha, ensérrée entre 2 caps, où l'amplitude des marées découvrait une large étendue propice à l'atterrisage de petits avions venus d'Angleterre, et qui y repartaient aussitôt. Le réseau Shelburne organisa de la sorte 5 évacuations, qui ont permis le retour en GB de 118 aviateurs, et qui furent les dernières opérations avant le débarquement. C'est ce site, resté (hors saison touristique) désert et mélancolique, que j'ai photographié, avec ses quelques plaques commémoratives.
Au total, ce sont une douzaine de filières d'évasion vers l'Angleterre, dont O'Leary, Comet et Shelburne ne sont que les mieux connues, qui ont fonctionné, et qui ont permis de "récuperer" 3000 aviateurs et bien plus de soldats, ainsi que de nombreux résistants menacés. La contrepartie: 500 civils répertoriés y ont perdu la vie, et de très nombreux autres ont disparu sans laisser de traces. Et parmis eux, il faut citer tout particulièrement l'héroisme de ces courageux anonymes, habitants de France occupée et d'ailleurs, sans lesquels les évasion n'auraient pu avoir lieu, et dont beaucoup ont payé bien plus qu'avec leur vie: là où les militaires évadés pouvaient en cas de capture réclamer le statut de prisonnier de guerre, et la protection de la Convention de Genève, leurs complices civils devaient se préparer à un sort bien moins confortable: pas de camps de KG pour eux, mais les geoles de la Gestapo, puis l'enfer de la déportation. Autant que les Justes Parmis les Nations, ils méritent une reconnaissance et un hommage sans limite.
Bien amicalement,
Alain.