Post Numéro: 2 de LENEVETTE Roger 25 Fév 2007, 13:26
La grande guerre (1914-1918) et la démobilisation
Charles Tillon était Breton. Métallurgiste, comme Benoît Frachon, mais de quatre ans plus jeune, d'une famille sans doute un peu plus aisée que celles de ses futurs camarades, on ne lui connaît pas d'engagement politique précis dans sa prime jeunesse. Mobilisé en 1916, une stratégie pour échapper à l'enfer de Verdun le pousse à s'engager pour cinq ans dans la marine. C'est à bord du croiseur "Guichen", au sein d'un petit groupe d'une demi-douzaine de marins mécaniciens, que va s'éveiller la conscience politique de Charles. A défaut de baptême du feu, il y fera ses premières armes de syndicaliste en obtenant la participation de délégués de l'équipage à l'achat de vivres.
A bord du Guichen, en Méditerranée, la petite équipe de machinistes politisés avait souscrit un abonnement collectif à l'Humanité, le journal de la SFIO. Six mois après l'armistice, salué par des débordements de joie, le Guichen croisait toujours au large de la Grèce, et l'atmosphère était explosive à bord, où les marins supportaient de plus en plus mal l'éloignement de leurs foyers. Pour les mêmes raisons, des mutineries avaient éclaté en mer Noire où croisaient des bâtiments français, intervenant contre la jeune révolution russe. Les marins du Guichen crurent qu'ils allaient appareiller vers la mer Noire, et Charles, qui n'avait pas 22 ans, prit la tête d'une mutinerie, rapidement matée.
Le congrès de Tours et les débuts du PCF
A Rennes,Charles était en contact avec une militante du parti communiste, LouiseBodin, qui luiapprend que le Congrès de Tours a décidé d'inscrire d'office tous les anciens dela mer Noire. Auparavant, il avait dû endurer pendant un an les terriblesconditions du bagne militaire et failli laisser sa peau à Dar Bel Hamri au Maroc.
Il lui faudra près d'un an de convalescence avant de pouvoir travailler.C'est sans doute de ce séjour au bagne qu'il tirera toute la hargne de sa vie demilitant. Agitateur patenté dans toutes les usines où il peut se faire embaucheret d'où il se fait vite licencier, il est élu secrétaire de l'uniondépartementale CGTU et devient permanent syndical en 1924.
Par comparaison avec Duclos et Frachon, les responsabilités que Charles Tillon exerce au Parti sont plus modestes; en 1929, il accédera au rang de secrétaire régional. Mais l'essentiel de son activité reste sur le terrain syndical, avec des conflits sociaux souvent très durs, comme la grève des ouvriers des conserveries, les "Pen-sardines", à Douarnenez, en 1924. Il aura droit, lui aussi, à un certain nombre de condamnations qui frappaient immanquablement les meneurs de grèves. Jusqu'en 1930, Charles reste en Bretagne, toujours responsable syndicaliste dans les milieux de la pêche et de la marine marchande; on lui confiera ensuite le secrétariat de la Fédération CGTU de la céramique et de la chimie.
Les années 30 et le front populaire.
En 1931, Charles Tillon, membre du bureau confédéral de la CGTU, effectue son premier et d'ailleurs unique voyage à Moscou. Il y sera reçu par les dirigeants de l'Internationale, Manouïlsky et Piatnisky. Interrogé avec ses camarades sur la situation au sein du PCF, Tillon fut impressionné par la qualité d'écoute de ces vieux bolcheviques.
Le travail syndical quotidien de la Fédération de la Chimie et de la céramique conduisit Tillon à Limoges où il rencontra Colette, une ouvrière dont il eut un fils Claude. Colette suit Charles à Paris, mais le bébé reste en nourrice à Limoges, car les conditions de vie d'un militant ne laissent guère de temps pour l'éducation d'un enfant.
Les chassés croisés entre la direction du parti et la CGTU sont fréquents: Frachon, responsable des questions syndicales à la direction du Parti est reversé au secrétariat de la CGTU, et Tillon prend un peu de galon au Parti. Il est intégré au Bureau Politique comme suppléant.
Thorez lui fait comprendre qu'il aurait été préférable d'être passé par les écoles de cadres du parti, mais la ligne du moment consiste à faire grimper des militants considérés comme "proches de la base." Tillon reste en effet un militant toujours combatif, encore gratifié, en 1934, de 15 jours d'internement avec sursis pour "outrage et rébellion à agents de la force publique." On lui confie le secteur des chômeurs, de plus en plus nombreux en France, puis, la réorganisation du syndicat des dockers. Dans la Chambre du Front Populaire, Tillon est député d'Aubervilliers. Il est toujours membre du Comité Central, mais il n'est plus suppléant au Bureau Politique. C'est un tournant dans sa vie, car ses mandats politiques lui interdisent de garder des responsabilités à la CGT.
La guerre d'Espagne
Charles Tillon sera également impliqué dans la guerre d'Espagne, non pas dans le cadre des brigades internationales, mais dans la phase finale de la guerre. En mars 39, il est désigné pour faire partie d'une délégation internationale chargée de récupérer des rescapés de l'armée républicaine.
Cette opération fut à vrai dire un fiasco. Acculé à Alicante avec des réfugiés, attendant en vain qu'un navire ami puisse forcer le blocus des phalangistes, finalement aux mains des franquistes, dans l'impossibilité de négocier quelque évacuation que ce soit, Tillon dut sa propre évacuation au nouvel ambassadeur de la France auprès de Franco, un maréchal de France, Philippe Pétain.
1939: Tillon envoyé à Bordeaux.
En raison de son age, Tillon n'est pas mobilisé en Septembre 1939. Après ladissolution du 26 Septembre,sauver le parti, voilà la tâche qui rassemble tous les dirigeants et tous les militants fidèles. "Personnellement, écrit Charles Tillon dans ses mémoires, aussi blessé que je fusse par la cuisine secrète de Staline et le sort qu'il nous infligeait, ignorant des marchandages du pacte, je jugeais que pour préserver l'avenir, il fallait sauver l'appareil clandestin afin que le PC survive...
Le devoir, c'était d'abord de sauver pour un autre avenir le legs de ces vingt dernières années de combats, faites de succès, de défaites, de folies parfois, mais de foi et d'esprit de sacrifice par en bas toujours." Fin septembre, Tillon a perdu le contact à la fois avec Duclos et Frachon. Il en profite pour régler ses histoires de famille. Avec une voiture et un chauffeur du parti, il descend à Limoges chercher Colette et son fils Claude. Il case le fils à Rennes, chez ses parents et remonte à Paris assumer comme il peut les responsabilités qui sont encore les siennes sur le Nord de l'agglomération parisienne.
Fin octobre, il retrouve le contact avec Frachon qui le fait passer en réserve, dans la clandestinité totale. Il se morfond de planque en planque, chambre de bonne dans le 8ème arrondissement, ou recoin dans l'appartement de la famille nombreuse d'un instituteur, fait semblant d'être utile en dépouillant la presse et rédigeant des notes économiques. Colette est restée à Aubervilliers, traînant dans ses déplacements des policiers attachés à ses basques.
Elle arrive à les décrocher pour apporter à son Charles sa boite de peinture. Et puis, un jour, vers le mois de décembre, Georgette Cadras vient le chercher pour l'emmener à Frachon.
Les deux hommes se connaissent bien, s'estiment, mais leur rencontre reste lugubre, nulle lueur ne vient éclairer le ciel de leurs espoirs "Pourvu, disait Benoît, que 'l'oncle Joseph' se renforce sur son sixième de globe."
Le sixième de globe était une périphrase très en vogue chez les communistes pour désigner l'URSS. A l'issue de cet entretien, Tillon partira à Bordeaux, responsable d'un secteur d'une douzaine de départements tombés encore plus bas que la région parisienne.
1940, Responsable de la région de Bordeaux :
Charles Tillon retrouve Colette à la gare de Bordeaux. En Gironde, il ne reste plus qu'un seul responsable en poste, tous les fils sont à renouer. Charles s'établit dans un pavillon à Arcachon, se faisant passer pour un peintre parisien qui a peur des alertes. Il se rend à Bordeaux deux fois par semaine. Germaine Beyer , sa belle soeur, le rejoint à Bordeaux et devient son agent de liaison.
Avec une demi-douzaine d'autres jeunes militantes, elle renoue le contact avec tous les départements du secteur. Une imprimerie est créée pour la diffusion de l'Humanité clandestine. C'est à cette époque que Charles s'attache le service des Covelet . Pas question pour Victor, 58 ans, 107 Kilos, ouvrier tourneur, communiste depuis le congrès de Tours, de révéler à ses camarades ses nouvelles fonctions. Il doit au contraire annoncer qu'il est trop vieux, qu'il raccroche, qu'il doit penser à sa famille.
Les Tillon et les Covelet louent une maison ensemble, près de Bordeaux, au Bouscat. Marguerite Covelet veille sur la sécurité. De dix-huit ans plus jeune que son mari, mais déjà grisonnante, vive et fine, raconte Tillon, femme de tête. On fabrique donc à Bordeaux une édition régionale de l'Humanité. Tillon raconte qu'il censure, les Bordelais ne sauront rien des textes de l'IC qui exaltent "l'amitié des peuples d'Allemagne et de l'URSS cimentée par le sang..."
Au moment de la débacle, Tillon, qui, comme tous les responsables régionaux, avait perdu le contact avec la direction de Paris (Frachon) reçoit la visite de Mounette Dutilleul qui avait fait la jonction à Bordeaux avec Danielle Casanova (vers le 18 Juin). Les deux femmes qui viennent de quitter Frachon remettent à Tillon la somme de 80000F et le testament de "l'oncle" Frachon: en cas de pépin, il devrait assumer la direction du Parti.
L'occupation :
Le 15 juin, le jour où les Allemands entraient dans Paris, Bordeaux avait été l'ultime refuge du gouvernement de Paul Reynaud . Le lendemain, Paul Reynaud cédait la place à Pétain. le 17 juin au matin, alors que les Allemands foncent sur la ville, De Gaulle, secrétaire d'état à la guerre dans le cabinet de Paul Reynaud, parvient à quitter Bordeaux et à s'envoler pour Londres .
Ce même 17 juin, à 12H30 Charles Tillon, dans un ancien moulin de Gradignan, une planque qu'il occupait depuis une dizaine de jours, écoute le message radio-diffusé du nouveau chef d'état "C'est le coeur serré que je vous dit aujourd'hui qu'il faut cesser le combat". Charles remonte à l'étage pour rédiger un tract intitulé "Peuple de France" et dont la diffusion, nous dit-il, commence le soir même.
Ils avaient livré à Hitler et à Mussolini l'Espagne, l'Autriche, l'Albanie et la Tchécoslovaquie. Et maintenant, ils livrent la France, ils ont tout trahi.
Après avoir livré les armées du Nord et de l'est, après avoir livré Paris, ses usines, ses ouvriers, ils jugent pouvoir, avec le concours de Hitler , livrer le pays tout entier au fascisme.
Mais le peuple Français ne veut pas de l'esclavage, de la misère et du fascisme, pas plus qu'il n'a voulu la guerre des capitalistes. Il est le nombre, uni, il sera la force.
- Pour l'arrestation immédiate des traîtres;
- Pour un gouvernement populaire, libérant les travailleurs, rétablissant la légalité du Parti communiste, luttant contre le fascisme hitlérien et les 200 familles, s'entendant avec l'URSS pour une paix équitable, luttant pour l'indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes.
''Peuple des usines, des champs, des magasins et des bureaux, commerçants, artisans et intellectuels, soldats, marins et aviateurs encore sous les armes, unissez-vous dans l'action."
Le premier contact entre Tillon et un envoyé de Tréand eut lieu au début du mois de septembre dans les vignes de Saint-Emilion. Beyer , le beau-frère, est également présent à la rencontre. Roques, un ancien mineur, vint demander qu'on lui remette la liste des principaux dirigeants de la région et des planques utilisées pour le matériel.
L'irascible Charles se fâcha tout rouge et refusa de communiquer les informations demandées. Il avait déjà mis en œuvre dans sa région des mesures de cloisonnement dont la nécessité s'imposera ultérieurement au Parti clandestin.
Octobre 40: De retour à Paris :
L'incartade ne fit pas obstacle à l'avancement de Tillon. En octobre, convoqué à Paris par Frachon, il se vit proposer une entrée au secrétariat. Au même moment, la police de Vichy rentrait en guerre ouverte contre les communistes en arrêtant tous les militants qui s'étaient découverts en suivant les consignes de leur direction.
La politique de légalisation avait viré au fiasco le plus total. La promotion de Tillon résultait à la fois d'un parcours sans faute et de la confiance de "l'Oncle" Frachon qui l'ayant bien connu à la CGTU, voyait en lui l'homme des coups durs et des situations difficiles.
Dans un article que Frachon écrivit pour l'Humanité en 1970, il affirme qu'il avait fait remonter Tillon de Bordeaux pour s'occuper de la lutte armée "C'est vers octobre-novembre 1940 qu'en secrétariat de parti, nous décidâmes d'entreprendre l'organisation systématique de la lutte armée...
Notre choix se porta sur Charles Tillon qui, dès les premiers temps, avait été désigné pour diriger une région importante, celle de Bordeaux. Il venait d'ailleurs, dans cette même région, de créer des groupes d'action. Nous avions baptisé ces groupes "O.S.", ils devaient par la suite devenir les FTPF..."
A la fin de 1940 ou même au début de 1941, il n'est nullement question au sein de la direction de lutte armée contre l'occupant. Les groupes d'O.S. qui ont été créés dans la région de Bordeaux ou ailleurs sont essentiellement un service d'ordre adapté à la clandestinité, donc armé, quand il y avait des armes, destiné à protéger les militants et à châtier les traîtres.
Charles Tillon avait remis la responsabilité de la région de Bordeaux à son beau-frère Beyer et dès la fin décembre, il attendait à Paris qu'on voulut bien lui confier ses nouvelles fonctions. En fait, il ne sera vraiment intégré à la direction qu'au mois de mai suivant et restera même totalement inactif jusqu'à l'entretien qu'il parviendra enfin à avoir avec Duclos au mois de mars.