Jadis, j'ai notamment lu
Etre et temps et je possède
Les chemins qui ne mènent nulle part, mais Heidegger n'a jamais été mon "idole", il est, entre autres, trop antimoderne à mon goût...
En tout cas, voici, pour éclairer notre lanterne, quelques points importants tirés de l'article susmentionné de
Wikipedia :
1) Les écrits de Heidegger semblent interdire tout engagement politique direct. Ils ont engendré de multiples pensées novatrices très éloignées de l'idéologie nazie.
2) Cependant, Heidegger est considéré comme ayant appartenu à la mouvance de la "révolution conservatrice" allemande proche du nazisme.
3) Surtout, Heidegger a été un adhérent du parti nazi.
4) Heidegger a également accepté le poste de recteur de l'université de Fribourg au début du IIIe Reich et a voulu rencontrer Hitler. En fait, il pensait, d'une part, contribuer à rénover l'université allemande et, d'autre part, infléchir le nazisme en le "spiritualisant" (voir l'étude de Jacques Derrida sur Heidegger). Il entendait notamment développer une conception de la science dégagée de l'emprise positiviste. Se rendant compte de sa méprise, il s’est retiré de toute vie politique au bout de quelques mois seulement.
5) Le parti nazi ne considérait pas Heidegger comme un militant fiable. Il suspectait son œuvre et ses cours qu’il ne comprenait pas.
6) Heidegger n’a jamais manifesté le moindre antisémitisme dans ses écrits et ses actes. Hannah Arendt, philosophe américaine d’origine juive, avec laquelle il a eu une liaison alors qu’elle était son élève, lui a toujours témoigné de l'admiration et de l'affection.
7) Heidegger a affirmé que le nazisme était "un principe barbare", qu'il avait commis la plus grave erreur de sa vie en s'inscrivant au parti nazi.
Heidegger a défendu et aidé ses propres étudiants juifs (voir les témoignages du philosophe Jaspers) qui lui demandaient de l'aide pour quitter l'Allemagne, ainsi que des collègues juifs, dont il a pris la défense lorsqu'ils ont été menacés de licenciement. En outre, il a interdit aux étudiants nazis d'apposer, sur les murs de l'université, l'affiche antisémite "Contre l'esprit antiallemand".
9) S'il n'a pas interdit l'autodafé des livres juifs et marxistes hors les murs de son université, c'était qu'il n'en avait pas le pouvoir.
10) Alors que le doyen de la faculté de droit nommé par Heidegger, Erik Wolf, était mis en cause par le ministère, Heidegger a démissionné et s'est désormais consacré à l'enseignement. Ses cours étaient surveillés, ses œuvres ont été retirées du commerce, sauf
Etre et temps.
11) Les rapports nazis [retrouvés dans les archives du ministère des Affaires étrangères] montrent que les autorités nazies éprouvaient de la défiance à l'égard de Heidegger et que les élites nazies le méprisaient ou le considéraient comme un illuminé. En effet, non seulement la plupart des nazis ne voyaient aucune utilité pratique à sa philosophie abstruse, mais encore certains accusaient celle-ci d'être marquée par le judaïsme et l'"obscurité talmudique" (voir le rapport de Krieck en 1934) !
12) Voici, en outre, les témoignages de deux de ses étudiants sous le IIIe Reich :
- "Pour la première fois, il me fut donné d’entendre de la bouche d’un professeur d’université une violente critique contre le régime qu’il qualifiait de criminel."
- "Il n’y a pas un cours, un séminaire où j’ai entendu une critique aussi claire du nazisme. Heidegger était d’ailleurs le seul professeur qui ne commençât pas son cours par le
Heil Hitler réglementaire. À plus forte raison, dans les conversations privées, il faisait une si dure critique des nazis que je me rendais compte à quel point il était lucide sur son erreur de 1933."
13) Le philophe Lévinas écrit entre autres à propos d'Heidegger : "Qu'y avait-il dans le nazisme de si fort, de si entraînant, pour faire croire, même à un admirateur des Grecs, qu'il y avait de ce côté quelque solution à la crise gravissime qui affectait le monde à ce moment ?
Comment le nazisme a-t-il pu, à ses débuts, engendrer de l'espoir, se présenter comme crédible - à ceux du moins qui se sont ralliés un temps, à distinguer des nazis actifs.
Comment le nazisme a-t-il pu avoir prise sur ceux qui ont connu comme un éblouissement, ou qui ont subi une fascination, intellectuellement surprenants tant ils furent erronés ? Ils n'étaient pas dotés d'une idée politique qui les en eût préservés, telle l'idée communiste, non plus qu'ils n'appartenaient à un groupe persécuté qui ne pouvait être entraîné, par définition.
En effet, s'il n'y a rien à voir entre un véritable penseur tel Heidegger et de simples idéologues tels Baümler ou Rosenberg, qui servirent docilement le système et mirent leur plume au service du régime dans un esprit policier, comment comprendre que pareil mouvement ait pu tromper de si grands penseurs ?
Cette question indique que la connaissance de ce que fut le nazisme est encore devant nous, comme une tâche susceptible d'éclairer le présent portant toujours la marque de ce qui est advenu avec le nazisme.
Autrement dit, tant qu'on n'aura pas éclairé cette question qui reste encore obscure concernant la nature profonde du nazisme, et compris ce qu'il révèle de notre époque pour qu'elle ait pu y être engouffrée dans le même aveuglement où se trouva toute l'Europe qui consentit à laisser faire Hitler, il est inutile de se donner la facilité narcissique de condamner les hommes qui, unanimement ou presque, c'est-à-dire comme un seul homme ou presque, suivirent Hitler, comme le fait remarquer avec acuité Jacob Taubes.
Car ils virent en lui, dans un premier temps, un sauveur de l'Allemagne après la crise de 1929. Tous, sauf ceux que Hitler avaient désignés comme ses ennemis, bien sûr, c'est-à-dire les Juifs et les communistes.
Car dans les premières années du régime, de 1933 aux années précédant la guerre, il ne faut pas oublier que Hitler redressa l'Allemagne économiquement, et politiquement la sortit du
diktat de Versailles, reconstitua l'unité du pays, etc.
Ne pas oublier non plus qu'il eut l'aval, à ses débuts, non seulement du Parlement allemand (République de Weimar) qui lui remit le pouvoir à une écrasante majorité, mais de la plupart des puissances et chefs politiques d'Europe jusqu'à l'Église catholique comprise à qui il fit bonne impression, dans sa lutte contre le communisme.
Mais encore, vu la place qu'occupe Heidegger dans l'histoire de la philosophie, soit l'importance qui lui a été accordée par certains, son engagement nazi exige qu'on aille voir dans sa philosophie même ce qui permet pareil accord avec celui-ci : quelle philosophie, quelles idées et positions cherche à récuser Heidegger quand il engage sa propre philosophie au service de ce mouvement destructeur et barbare dans lequel il voit la renaissance de la civilisation ?
Jacob Taubes rappelle que, dans leur engagement politique, Heidegger comme Schmitt, issus de la catholicité, étaient animés par un ressentiment les portant à vouloir briser ce qu'ils considéraient comme "le consensus libéral judeo-protestant", soit la culture libérale comprise comme le fruit des traditions protestante et juive. Il est faux par conséquent d'incriminer "la bassesse ou la saloperie" précise Taubes.
En clair, il y avait en Allemagne des luttes, y compris entre des idées, recouvrant des courants aux ancrages idéologiques qui allaient s'opposer, et qu'il serait stupide d'ignorer. Le rationalisme classique, représenté par les néo-kantiens et Cassirer, sa figure la plus brillante, était assailli par l'ontologie heideggerienne, mettant en cause la raison et ses catégories, dans un renversement présenté comme radical. Mais les conflits d'influence étaient également de teneur théologique et politique. La "révolution conservatrice" contre la culture libérale, en somme."
En conclusion, Marlène Zarader pense qu'il est plus intéressant de travailler à débusquer l'impensé de Heidegger, ses lacunes, ses oublis, ce qu'il n'a pas aperçu, et donc son appartenance à une des traditions, et ce malgré lui et malgré ce qu'il croit avoir récusé (la métaphysique), que de condamner l'homme pour un engagement à l'évidence condamnable sans discussion et ainsi croire pouvoir se débarrasser de sa philosophie et de ses questions.