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Le 25 août 2008, soixante-quatre ans jour pour jour après la libération
de Paris, le président
de la République Nicolas Sarkozy rendait hommage dans un discours au 124 victimes du village
de Maillé (Indre-et-Loire). Les Français prenaient soudainement conscience que la Libération
de la France, en 1944, s’était accompagnée
de nombreux massacres. Le
massacre d'Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944, avait-il donc tout écrasé?
Le matin du 25 août 1944, tandis que Paris est sur le point d’être libéré, des soldats allemands encerclent le petit village
de Maillé. Pendant un peu plus
de deux heures, la soldatesque se déchaîne. Sur les 500 habitants, 124 seront tués, par balles, à la baïonnette ou par le feu.
A midi, tout est fini, mais des sentinelles bloquent les accès et empêchent d’éventuels secours d’arriver. Une pièce d’artillerie
de 88mm est déployée sur une hauteur et pilonne le village. Dans la nuit, des coups
de feu sont tirés contre le village par des convois militaires allemands qui circulent à proximité.
Entre les incendies et le bombardement, cinquante-deux des soixante maisons que compte le village sont détruites ou gravement endommagées. Les âges des victimes vont
de trois mois à 89 ans. Les soldats allemands ont tué tout ce qui passait à leur portée: hommes, femmes, enfants, animaux domestiques.
Comment expliquer
Maillé?
Qui est responsable? La justice allemande, par le biais du procureur
de Dortmund Ulrich Maass, a ouvert une enquête en 2004, car en Allemagne, les crimes du IIIe Reich ont été déclarés imprescriptibles. S’il ne fait aujourd’hui plus guère
de doute que parmi les assassins, on comptait des éléments
de la 17e division
de panzergrenadiers SS Götz von Berlichingen, si un certain Gustav Schlüter (l’orthographe
de son nom varie) semble avoir joué un grand rôle dans cette triste affaire, la vérité sur les circonstances du
massacre de Maillé seront-elles jamais connues?
Ce que l’on en sait avec précision se résume aux témoignages bouleversants des rescapés qui décrivent un calvaire, des soldats déchaînés tuant
de sang-froid. L’historien Sébastien Chevereau, responsable
de la Maison du souvenir
de Maillé, le déclarait devant les caméras d’Arte:
«Tous les enfants
de Maillé ont été tués à bout portant. Il n’y a pas eu
de fusillés à
Maillé, ce qui rajoute encore à l’horreur. Toutes les personnes, à
Maillé, ont été tuées les yeux dans les yeux.»
Mais quelle «justification» à ce
massacre? Comment l’expliquer?
Maillé est loin d’être un petit village tranquille. Sur le territoire
de la commune passe en effet une ligne
de chemin
de fer stratégique pour les armées du Reich en pleine déconfiture: la ligne Bordeaux-Paris, dont les Allemands ont besoin pour évacuer leurs troupes menacées par la percée des Alliés au nord et par le débarquement
de Provence. A plusieurs reprises, la Résistance a fait sauter des voies près
de Maillé, peut-être un peu trop près du village, comme s’en accusera bien des années plus tard un ancien Résistant auprès du maire: simple exécutant alors, il lui dira qu’il se sent responsable des représailles allemandes.
Mais ces plasticages répétés sont-ils la cause
de la réaction des occupants? On rapporte aussi que, la veille du
massacre, deux voitures allemandes en patrouille sur le territoire
de la commune ont été prises pour cible par des résistants. Deux soldats SS ont été touchés. Tués? Grièvement blessés? Là aussi, c’est le mystère. Cette attaque a-t-elle déclenché le
massacre? Les soldats n’étaient ils pas plutôt en repérage pour le
massacre du lendemain?
Encore aujourd’hui, on ignore les raisons précises
de ce drame, ce qui ajoute encore à la souffrance. Ce qui est certain, c’est que 124 des 500 habitants
de Maillé ont été tués un beau matin d’août 1944.
Les terribles «exploits»
de la Das Reich
Au mois
de juin, les soldats
de la 2e division Panzer SS «Das Reich» s'étaient déjà tristement distingués. Le 9 juin, à Tulle, après la prise d’une partie
de la ville par des résistants, les soldats —appuyés par des hommes
de la Milice— prennent des otages et font bientôt savoir qu’ils vont en pendre 120, soit trois pour chaque soldat allemand tué lors
de l’assaut
de la ville la veille. Une pratique courante sur le front
de l’Est.
C’est une journée d’horreur. Les malheureux sont séparés en groupes
de dix et pendus aux balcons
de la ville, tandis que l’organisateur des massacres assiste aux pendaisons depuis la terrasse d’un café en trinquant avec ses subordonnés. Au final, 99 habitants
de Tulle seront pendus.
De nombreux autres seront déportés.
Le lendemain, la même division commet le terrible
massacre d’Oradour-sur-Glane. La justification? La Résistance aurait enlevé un officier du régiment «Der Führer». Les Waffen-SS auraient décidé
de faire un exemple.
Mais il semble que tout ceci ne soit qu’un prétexte, si tant est que l’enlèvement a vraiment eu lieu. Car la Das Reich est une unité d’un genre particulier, qui a servi sur le front
de l’Est, y a été presque décimée à l’été 1943 et a été déplacée début 1944 dans la région
de Montauban pour y être entièrement reconstituée.
En juin 1944, elle manque encore cruellement
de blindés et est donc déployée dans le Limousin pour lutter contre les partisans. Elle a commencé à le faire avant même le Débarquement. Une partie des soldats qui la composent a été habituée, en Russie, à ne pas faire dans le détail.
A Oradour, elle tue 642 personnes. Les hommes sont fusillés et achevés sommairement. Les femmes et les enfants meurent dans l’église du village que les soldats ont tenté
de faire sauter mais qui s’embrase. Le village est ensuite incendié.
Inconscient collectif
Comment expliquer que ce
massacre d’Oradour-sur-Glane a écrasé, dans l’inconscient collectif, le
massacre de Tulle et celui
de Maillé? Ils ont pourtant bien des points communs: effectués par des unités
de la Waffen-SS, le bras armé du régime nazi, ils ont un caractère méthodique, systématique et manifestement valeur d’exemple. L’objectif est moins
de tuer des résistants que
de provoquer un choc pour terroriser les populations civiles afin qu’elles se tiennent tranquilles.
La première différence est naturellement, hélas, celle du nombre: aucun
massacre effectué par l’armée allemande n’a eu une telle ampleur sur le sol français.
La seconde est le choix qui a été fait
de conserver «intactes», si l’on peut dire, les ruines d’Oradour-sur-Glane. A Tulle, les pendus ont été décrochés et ont reçu une sépulture, mais le souvenir
de la tragédie y est resté vivace. A
Maillé, le village a été reconstruit et sans oublier, les habitants ont voulu que la vie continue. Près
de soixante-dix ans après, Oradour-sur-Glane a la même apparence que celle que le village avait le 10 juin au soir, après le
massacre. A l’entrée du site, des panneaux invitent les visiteurs au silence. Il n’en est guère besoin: l’atmosphère est si pesante qu’il se fait tout seul.
La troisième est que le
massacre est bien documenté. On connaît les noms des responsables, les circonstances. On les connaît d’autant mieux qu’un retentissant procès s’est tenu en 1953 à Bordeaux, qui a vu une petite vingtaine
de prévenus répondre des accusations portées contre eux, dont une quinzaine
de «Malgré-Nous», ces Français d’Alsace-Moselle enrôlés
de force dans la Wehrmacht (et parfois la Waffen-SS). Tous ces Alsaciens seront condamnés, le 12 février 1953, à des peines diverses (mort pour le seul engagé volontaire, peines
de travaux forcés ou
de prison pour les autres), provoquant une vague
de protestation immense.
En Alsace, on s’estime montrés du doigt, mis au ban
de la communauté nationale et l’émotion est vive, relayée par les députés et maires. Dans le Limousin, on est indigné car on estime que tous les accusés auraient dû être condamnés à mort, une indignation qui sera renforcée par l’amnistie votée le 19 février 1953, libérant
de fait les Alsaciens condamnés. Les Allemands, eux, seront bientôt libérés, le rapprochement franco-allemand paraissant à ce prix. Près
de soixante-dix ans plus tard, la pilule ne passe toujours pas en Haute-Vienne.
Une litanie
de massacres
Si, avec l’allocution qu’y prononça Nicolas Sarkozy, le 25 août 2008, les médias se sont emparés du sort
de Maillé, ils ont fort peu insisté sur le fait que si
Maillé était un autre Oradour, il y avait aussi d’autres
Maillé.
Qui sait que le 11 juin 1944, alors que les Alliés viennent
de débarquer dans le village
de Graignes, en Normandie, occupé par des parachutistes américains, des soldats
de la 17e Panzergrenadier SS, après avoir repris la commune, massacrent 32 Américains et 31 civils accusés
de leur avoir prêté main-forte?
Qui a entendu parler du
massacre d’Argenton-sur-Creuse, où 53 habitants et maquisards furent fusillés, encore une fois par les tueurs
de la 2e Panzer-SS «Das Reich», le 9 juin 1944, le jour même du
massacre de Tulle?
Qui se souvient que la ville
de Bagnères-
de-Bigorre fit l’objet d’une opération punitive des Allemands, qui tuèrent 32 habitants
de la ville en représailles à des actes «terroristes», le 11 juin 1944?
Qui a tendu parler du
massacre de Dun-les-Places, où 27 civils furent tués et le village partiellement détruit, le 27 juin 1944?
Qui sait que le 11 juin 1944, à Mussidan, dans le département
de la Dordogne, les Allemands fusillèrent 52 personnes en représailles à un sabotage sur la voie ferrée voisine?
Qui connaît le
massacre de Saint-Sixte, dans le Lot-et-Garonne, où quatorze tziganes, dont six mineurs, furent fusillés par une unité
de SS qui pendit 11 personnes le même jour dans le village
de Dunes?
Qui se souvient
de Vassieux-en-Vercors ou, à la fin du mois
de juillet 1944, des Allemands débarqués par planeurs, appuyés par des Miliciens qui verrouillaient les accès, encerclèrent le village où se tiennent retranchés des Résistants et en tuèrent 101, ainsi que 73 civils, dont certains furent torturés avant d’être assassinés?
Qui a entendu parler du
massacre d’Ascq, dans le département du Nord, où, dans la nuit du 1er au 2 avril 1944, deux mois avant le Débarquement, des éléments
de la 12e division
de panzer SS Hitlerjugend, furieux que leur convoi ait été victime d’un attentat sur la voie ferrée près
de la petite ville d’Ascq, pillèrent, brutalisèrent les populations et massacrèrent en tout 86 habitants du village, et en auraient sans doute massacré davantage si des autorités supérieures n’étaient pas intervenues pour mettre fin à la tuerie? Le
massacre provoquera une grève immense (60.000 grévistes à Lille et ses environs), la plus importante qu’ait connu la France occupée.
Un passé qui ne passe toujours pas
La liste est longue et, pour ne parler que du printemps et
de l’été 1944, le nombre des civils massacrés par des soldats allemands se chiffre en milliers. Mais comme en témoigne le
massacre d’Ascq, l’armée allemande n’a pas attendu d’être en déroute pour s’adonner à des massacres sur le sol français (elle en commit d’ailleurs quelques autres en mai-juin 1940, au moment
de la débâcle française).
Les procès ont été rares, le gouvernement français ne s’étant guère montré empressé
de trouver les coupables
de ces massacres. Le fameux Gustav Schlüter, considéré longtemps comme responsable du
massacre de Maillé, fut retrouvé et brièvement interrogé par des policiers français en 1950, à Hambourg. Il disparut ensuite
de la circulation et se réfugia en RDA. Un procès se tint à huis-clos en 1952 et Schlüter fut condamné à mort par contumace. Les habitants
de Maillé ne furent informés
de la tenue
de ce procès que des années plus tard.
La procédure enclenchée en Allemagne il y a plus
de cinq ans piétine. Si environ 300 soldats qui auraient pu participer au
massacre ont pu être identifiés, le fameux Schlüter est mort depuis longtemps et son supérieur hiérarchique aussi.
A
Maillé, on espère qu’un jour un responsable ou un participant voudra soulager sa conscience avant
de disparaître. Cela n’en prend guère le chemin. L’un des responsables
de l’amicale des anciens
de la 17e PzGr SS n’a récemment pas hésité, devant les caméras
de la télévision française, à attribuer les 124 morts à un bombardement des Alliés. Alors à
Maillé, comme à Ascq, à Graignes, à Dun-les-Places ou à Argenton-sur-Creuse, chaque été, même si les rangs des survivants se clairsèment, on serre toujours les poings. Parce qu’il est impossible
de pardonner à ceux qui ne demandent pas pardon.
Antoine Bourguilleau
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