BRH a écrit:En tout cas, si le gouvernement canadien est intervenu pour que les enfants ne soient pas séparés des parents, à l'été 42, c'est que ledit gouvernement ignorait le sort final des déportés.
C'était le gouvernement américain, il me semble. Et l'objet de sa protestation était différent.
Rappelons en effet que la décision de Laval de livrer les enfants juifs aux
S.S. date de
la première semaine de juillet 1942, comme l'atteste formellement le rapport du
S.S.-Haupturmführer Dannecker, responsable de l'action antijuive de la Sécurité d'Etat nazie en France, en date du 6 juillet 1942, et que j'ai reproduit ici:
http://www.livresdeguerre.net/forum/con ... ndex=45428Pourquoi livrer les enfants? Vichy s'était engagé à livrer, début juillet 1942, près de 10.000 Juifs de la zone "libre" et 20.000 Juifs parisiens. Dannecker réclamait deux mille Juifs de plus. Laval a obtempéré, en ajoutant - ce à quoi les nazis ne s'attendaient pas - les enfants des Juifs qui seraient déportés. Il s'agissait d'aider les Allemands à atteindre leurs quotas.
Pour accroître les stocks de Juifs à livrer, Vichy a été jusqu'à réduire la limite d’âge des personnes à arrêter de 5 à 2 ans. En zone "libre", les parents déportés ont perdu la possibilité d'y laisser leurs enfants alors que les enfants non accompagnés (leurs parents étant déjà internés ou déportés) devaient également faire partie des convois pour la zone occupée.
En pratique, la décision de Laval se traduira par le fait que parents et enfants juifs seront parqués dans des camps d'internement, les parents étant déportés les premiers, les enfants étant laissés à l'abandon en attendant d'être déportés à leur tour:
http://www.livresdeguerre.net/forum/con ... =45394&v=4http://www.livresdeguerre.net/forum/con ... ndex=45807Ainsi, parents et enfants ont été déportés séparément et successivement, en attendant que les nazis, qui n'avaient initialement organisé leurs convois que pour les parents, organisent de nouveaux convois pour les enfants.
C'est dans ce contexte très particulier, alors que les parents étaient déportés en Pologne et que leurs enfants restaient bloqués dans les camps d'internement de Vichy, qu'est intervenu M. Tuck, le chargé d'affaires américain à Vichy, auprès de Laval. Plus exactement le 25 août 1942.
Il se trouve que Tuck a émis un rapport, adressé le lendemain au Département d'Etat, et reproduit intégralement dans
Foreign Relations of the United States, vol. 1942. Europe, tome 1, p.710-711.
Que lit-on dans ce rapport? Qu'effectivement Tuck est vivement préoccupé par le sort de 4.000 enfants juifs âgés de 2 à 15 ans et parqués dans des camps de Vichy en zone occupée. Mais il est bien évident, à lire son rapport, que ce dernier n'a jamais réclamé à Laval que les enfants devaient accompagner leurs parents, bien au contraire.
Ce qui scandalise Tuck, c'est précisément
le fait que les parents aient été déportés et, pour ce faire, séparés de leurs enfants, totalement laissés à l'abandon, sachant
"qu'il a été prétendu que les documents permettant leur identification ont été détruits à dessein, de sorte qu'ils ne seraient jamais en mesure de retrouver leurs parents en exil". Le diplomate américain va jusqu'à s'inquiéter du sort des parents déportés, précisant que ceux-ci ont été expédiés en Lorraine, en Pologne et en Ukraine dans
"des wagons à bestiaux", ce
"dans des conditions bestiales", en compagnie de personnes âgées.
Wagons à bestiaux, conditions inhumaines, parents déportés, enfants laissés seuls dans des camps et de telle sorte qu'à supposer qu'ils soient expédiés à l'Est ils ne puissent pas retrouver leurs parents: Tuck devine l'horrible réalité qui se cache derrière ce processus de déportation.
Ce d'autant que la réaction de Laval aux protestations de Tuck est "intéressante". Laval nie tout d'abord que les parents et les enfants aient été séparés, ce qui est un mensonge de sa part. Ensuite, il va plus loin, comme le fait remarquer l'Américain (p. 710):
Tuck a écrit:Il était évident, d'après l'attitude de Laval, que ce dernier ne ressentait le moindre intérêt ni la moindre compassion pour le sort des Juifs, à propos desquels il a cyniquement fait remarquer qu'ils étaient déjà trop nombreux en France.
C'est d'ailleurs pour sauver ces enfants que Tuck tentera d'obtenir l'accord de Laval de les faire émigrer aux Etats-Unis - un comportement qui dément totalement l'idée que les Etats-Unis aient cherché à ce que les enfants rejoignent leurs parents. Mais le régime de Vichy va torpiller cette manoeuvre, et les enfants seront livrés aux nazis, conformément à la promesse faite à l'occupant - voir ces articles de Francis Deleu:
http://www.livresdeguerre.net/forum/con ... ndex=44882http://www.livresdeguerre.net/forum/con ... ndex=45793Bref : lorsque M. Tuck a protesté devant la séparation des parents et des enfants, c'était pour mieux dénoncer la déportation... des parents. Il tenait à ce que personne ne soit déporté.
Pour revenir au sujet, voici une autre pièce à verser au dossier.
Elle consiste en une vantardise de Pétain de 1944, enregistrée pour la postérité par Maurice Martin du Gard dans
La chronique de Vichy, Flammarion, 1948, p. 501 - reproduit dans Général Hering & Commandant Le Roc'h,
Révision, Les Îles d'Or, 1949, p. 156 :
"Les Juifs! Si j'étais parti, les S.S. les auraient tous massacrés, tous, vous m'entendez! Comme en Pologne!"Ainsi, Pétain venait d'avouer, en 1944, qu'il connaissait le sort des déportés.