Je reconnais que la question est aussi vaste que la définition du fascisme, lequel, comme dirait Max Weber, ne peut être qu'un concept « idéal-type »... Mais ne peut-on pas lancer un débat fructueux ?
Je commence à brûle-pourpoint. La question « Vichy, fasciste ? » en entraîne immédiatement une autre : « Qu’est-ce que le fascisme ? », qui a connu des réponses aussi nombreuses que variées. A la base, le terme désigne forcément la doctrine et le régime politique établis en Italie par Mussolini en 1922, lequel se caractérise par un système nationaliste, autoritaire, surtout totalitaire, corporatiste et expansionniste qui développe des valeurs de foi, de force et de combat dans le culte du chef-guide…
A partir de là, le terme est devenu générique et a pris un sens de plus en plus large, étendu par les contemporains à l’Allemagne nazie, parfois à toutes les dictatures européennes de l’entre-deux-guerres, puis attribué par l’extrême gauche à tous les régimes, organisations ou individus qu’elle voyait sur sa droite : par exemple, au début des années trente, les communistes qualifiaient la gauche socialiste de « social-fascisme », ce qui, entre parenthèses, a considérablement aidé le national-socialisme en rejetant dans son camp tout ce qui n’était pas communiste ou presque… En 1934, cependant, les communistes ont renoncé à traiter de fasciste tout ce qui n’était pas eux à condition que les démocrates rejettent l’anticommunisme et s’allient à eux dans la lutte antifasciste…
Cela dit, malgré les grandes différences (racisme exterminateur…), il y a d’indéniables parentés entre fascisme et nazisme dans les idéologies, les stratégies, les structures… Et, comme le précise Philippe Burrin dans
Fascisme, nazisme et autoritarisme (Seuil, Points-Histoire, 2000),
pour qui fait porter l’enquête sur le cas français, l’antisémitisme et le racisme du nazisme offrent un pôle de comparaison et de réflexion plus approprié que le fascisme italien.
Quid de Vichy ? En fait, c’est avant tout un régime autoritaire traditionnel (avec des tendances modernistes d'ordre technocratique) et
il faut attendre 1944 pour qu’une composante « fasciste », sous la forme de la Milice de Darnand, occupe une place dans le régime avec l’appui de l’occupant, sans parvenir à faire basculer en sa faveur le rapport des forces (Philippe Burrin).
Pour moi, même si la définition du fascisme reste floue et élastique, Vichy n'était sûrement pas fasciste, mais comprenait sans aucun doute des composantes fascistes minoritaires, dont certaines sont venues sur le devant de la scène en 1944, notamment avec la nomination de chefs miliciens à des postes importants...