Je suis tombé sur un article paru dans le monde sur une exposition qui a lieu à New-York sur la littérature française sous l'occupation. C'est assez étrange de voir avec quelle facilité on a passé l'éponge sur cette discipline artistique, comme on a pu le faire pour plein d'autres domaines artistiques (cinéma, musique...Etc)
Voici cet article :
Un regard américain sur la France des années 1940
LE MONDE | 09.05.09 | 14h18
Auteur de La France de Vichy (Seuil, 1973) et spécialiste de la seconde guerre mondiale, l'historien américain Robert O. Paxton, né en 1932, a été professeur à l'université Columbia à New York, de 1969 à 1997. Il dirige l'exposition "Entre collaboration et résistance", sur la vie littéraire française sous l'Occupation, présentée à la New York Public Library jusqu'au 25 juillet. Il revient sur l'esprit de cette exposition.
Quelle idée forte avez-vous voulu mettre en avant dans cette exposition ?
Avant tout, je l'ai voulue didactique. D'abord parce que nombre de jeunes gens n'ont guère de connaissances historiques, mais aussi parce que les chercheurs ont fait beaucoup de progrès sur des questions comme la défaite militaire de 1940, par exemple.
Dans son ouvrage Le Mythe de la guerre-éclair (Belin, 1995), l'historien allemand Karl-Heinz Frieser montre que celle-ci, loin d'être jouée d'avance, a été la conséquence d'un calcul erroné de l'état-major français, qui avait jugé bon de poster ses meilleures unités loin au nord en Belgique et en Hollande. Or, tout a été fait par Vichy pour rejeter sur la société française "décadente" toute la responsabilité de cette débâcle.
J'ai voulu faire ressortir des continuités avec les années 1930 - et notamment à partir de l'affaire Stavisky, qui marque le début d'une intense mobilisation politique -, où nombre d'écrivains sont déjà orientés vers ce qui deviendra la collaboration, c'est-à-dire la tentation fasciste ou, pour reprendre l'expression de Drieu la Rochelle, "le rêve d'une France spartiate".
Comment voyez-vous le monde littéraire français sous l'Occupation ?
Ce qui me frappe, c'est de voir à quel point il est divisé, polarisé. Pourtant, c'est complexe. Un vrai résistant comme Jean Paulhan maintient des relations avec tous. Paulhan protège ainsi son amitié avec Marcel Jouhandeau et continue de correspondre avec Drieu la Rochelle qui l'a remplacé en 1940 à la tête de la Nouvelle Revue française>. Autrement dit, il y a simultanément des divisions et des réseaux d'amitié personnelle et de loyauté envers les institutions.
Quel regard portez-vous sur l'attitude des Français en 1945 envers les écrivains collaborationnistes ?
Les Français ont en quelque sorte établi une hiérarchie. Il y a d'un côté les vrais collaborationnistes, ceux qui figurent par exemple sur cette fameuse photo où, à côté d'officiers allemands, on voit des auteurs français revenant du congrès des écrivains européens organisé à Weimar, en 1941, par Josef Goebbels, alors ministre de la propagande. Il y a là Drieu la Rochelle, Robert Brasillach, André Fraigneau... (Ne figurent pas Jacques Chardonne, Ramon Fernandez ou Marcel Jouhandeau. Ni Marcel Arland, Paul Morand et Jean Giono qui avaient décliné l'invitation à la dernière minute.)
Il y a donc ceux-là d'une part et, d'autre part, des écrivains comme Montherlant qui, bien qu'éprouvant de la sympathie pour la "révolution nationale" de Vichy, écrit quand même à Karl Epting, le directeur de l'institut culturel allemand à Paris, pour qu'il agisse en faveur de Benjamin Crémieux - une lettre par ailleurs assez tiède à mes yeux, et qui n'empêchera pas Crémieux de mourir à Buchenwald en 1944.
Enfin, il y a les auteurs comme Colette, qui a certes publié dans La Gerbe, d'Alphonse de Châteaubriant, mais un texte non engagé. Ceux-là, il était possible de leur pardonner. Colette sera d'ailleurs la première femme à rejoindre le jury Goncourt en 1945.
Et les éditeurs ?
Ça, c'est plus étonnant. Les éditeurs sortent de la guerre quasi indemnes. Il y a certes eu quelques punitions pour les plus compromis. Grasset a perdu sa maison. Denoël allait faire face à un procès lorsqu'il a été assassiné. Le cas de Gallimard est un peu différent, et la maison s'en est tirée à moindres frais.
Comment faut-il interpréter cette quasi-absence d'épuration dans l'édition ? Je ne sais pas. Sans doute est-il possible de faire un parallèle avec le monde des affaires. En 1945, la France avait grand besoin de faire repartir son appareil de production, on a donc tiré le rideau sur la collaboration industrielle. De la même façon, il était nécessaire de restaurer la vie intellectuelle, ce qui nécessitait des maisons prestigieuses comme Gallimard. C'est en tout cas mon hypothèse.
Quels sont dans cette exposition les documents qui vous frappent le plus ?
Deux lettres. La première est datée du 5 novembre 1940. Gaston Gallimard écrit à Jacques Schiffrin, le fondateur de la Bibliothèque de la Pléiade, une courte lettre un peu brusque pour le limoger. La deuxième est une lettre de Jérôme Carcopino, le 19 novembre 1940, plus sinueuse et empêtrée, mais dont le résultat est de priver Jean Wahl de son enseignement de philo à Normale-Sup. Ces deux courriers montrent à quel point une partie du monde universitaire et éditorial a fait appliquer le "Statut des juifs", sans grande pression de la part du gouvernement.
Publier ou ne pas publier, quelle est à cette époque la bonne attitude pour un écrivain ?
Beaucoup de résistants publient - Sartre, Camus, Elsa Triolet, Aragon... Très peu se taisent complètement, à l'instar de René Char qui écrit pendant toute la guerre mais ne publiera qu'après 1945. C'est un dilemme terrible. Ne pas publier, c'est laisser la France sans voix, et la vie littéraire aux mains des collaborationnistes et des Allemands. Publier légalement, c'est-à-dire en acceptant la censure, c'est faire le jeu de l'occupant, qui cherche à créer une impression de normalité, l'idée factice que tout va bien.
Propos recueillis par Florence Noiville
Organisée par l'Institut Mémoire de l'édition contemporaine (IMEC) et la New York Public Library avec le Mémorial de Caen - où a été présenté, fin 2008, un travail de moindre envergure -, l'exposition "Between Collaboration and Resistance.
French Literary Life Under Nazi Occupation" rassemble plus de trois cents documents - livres, lettres, photographies, journaux intimes... - présentés par l'historien américain Robert O. Paxton et les deux commissaires français Olivier Corpet et Claire Paulhan.
Augmenté de trois cents reproductions d'archives supplémentaires, le catalogue en anglais (Five Ties) sera disponible le 27 mai en français aux éditions Tallandier (446 p., 45 €.). Il s'ouvre avec le texte d'une conférence de Jean-Paul Sartre sur la résistance en littérature, prononcée à Montréal en 1946 et restée inédite jusqu'à ce jour.
New York Public Library, Stephen A. Schwarzman Building, Ve Avenue, 42nd Street. Jusqu'au 25 juillet. Entrée libre.