Guy de Carmoy, né en 1907, est un inspecteur des Finances synarque (présent sur la « liste de [364] membres » de ou postérieure à août 1943, comptant 364 synarques, liste large des synarques importants, F7 15343, Synarchie, Archives nationales) Le nom de Guy de Carmoy (avec son adresse) figure dans ce document entre ceux de deux autres synarques avérés :
1° «Carmille René, contrôleur général de l’Armée, directeur général du service national des statistiques » (lié à Alfred Sauvy). Carmille, titulaire de la francisque n° 970 («Demande acceptée au Conseil du 15.1.42 », Lyon, 31 janvier 1942, F7 15387, AN, et parrain d’une série de cagoulards récompensés, notamment la promotion de mars 1942, F7 15387-15388, AN), dont Edwin Black, très mal informé sur ce point (sur la base des mémoires hagiographiques du fils Carmille), en fait une sorte de Zorro, héros patriotique sauvant les juifs de la déportation ou aidant à mettre l’armée de De Gaulle sur pied («IBM et l’holocauste, L’alliance stratégique entre l’Allemagne nazie et la plus puissante multinationale américaine », Paris, Robert Laffont, 2001, index Carmille René).
2° «Dr Carrel Alexis, régent de la FFEPH (sic) », plus notoire et synarque idéologique important (un des pivots des «comités Coutrot »).
Guy de Carmoy fut un des inspecteurs des Finances qui assurèrent pendant l’Occupation l’exécution de «l’accord général » avec les partenaires allemands dont l’immédiat avant-guerre avait fixé les termes généraux. Pour lui, ce fut comme «chef du service du Cinéma à la vice-présidence du Conseil » : auprès de Jean-Louis Tixier-Vignancourt, promu par Vichy secrétaire général à l’Information – ce fasciste avéré d’avant-guerre était un orateur apprécié de l’Alliance démocratique, parti considéré par l’historiographie dominante comme relevant de la « droite républicaine », le jeune inspecteur des Finances de Carmoy fut de 1940 au printemps de 1941 un interlocuteur privilégié des Allemands en quête d’aryanisation du cinéma français. Les sources consultées ne me permettent pas d’avérer le rôle de protecteur du cinéma français contre le Reich que lui prête Jean Pierre Bertin-Maghit, (Le cinéma sous l’Occupation, Paris, Olivier Orban, 1989) : volens, nolens, Guy de Carmoy se prêta aux négociations qui aboutirent à la germanisation-aryanisation du cinéma sous l'Occupation. Mais assurément, ce lieutenant (en tout cas officiellement) de Tixier-Vignancourt était vichyste bon teint [1]. Le cagoulard Pierre Nicolle relève dans son «journal » à la date du 6 novembre 1940 que Guy de Carmoy lui «a demandé certains renseignements pour mettre en œuvre le cinéma de la Propagande par un projet de film sur le reclassement des ouvriers par le retour à la terre » («journal » de Pierre Nicolle, PJ 39, archives de la Préfecture de police, plus loin APP).
Nous ignorons la date de la conversion de Guy de Carmoy à la Pax Americana, phénomène universel au sein du patronat et de la haute fonction publique collaborationnistes, et étiré de 1941 à 1944 (voir sur ce point Richard Vinen, « The politics of French business 1936-1945 », Cambridge, Cambridge University Press, 1991, et les épilogues du Choix de la défaite et de De Munich à Vichy). Mais cette conversion fut spectaculaire et complète. «Trésorier de l’Association Atlantique, fondée en 1946 », il entama après-guerre une carrière américanophile et «européenne » adjectifs organiquement liés qui fit de lui le «directeur de l’OECE en 1951 » (fiche RG 28 octobre 1954, GA (Renseignements généraux), C 23, Jacques Chastenet de Castaing, APP).
D'après l’édition de 1998 du Who’s who [2], il fut nommé directeur de l’OECE dès 1948 après avoir été, depuis 1946, administrateur suppléant à la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, un des organismes créés par les accords de Bretton-Woods de 1944. La BIRD est une création purement américaine, de même que l’OECE (Organisation européenne de coopération économique), officiellement fondée le 16 avril 1948, organisme essentiel du Plan Marshall théoriquement destiné à répartir les crédits américains aux «Seize » pays signataires des accords bilatéraux Marshall; les États-Unis, qui contrôlaient l’organisation « européenne » à tous les stades, avaient choisi pour le présider Paul-Henri Spaak, auxiliaire pur et simple de Washington de l’avis de tous ses collègues «européens ».
Champion de l’Europe américaine, Guy de Carmoy, professeur à l’Institut d'études politiques de Paris, enseignait dans les années 1950 l’économie politique à l’École nationale d'administration. Il put renouer publiquement avec ses sympathies d’avant-guerre et d’Occupation, comme ses pairs, en s’enthousiasmant pour l’Europe non seulement américaine mais germano-américaine [3]. Témoigne de cette reconversion sa présence active au «comité pour la Défense des Intérêts français en politique étrangère » constitué au début de 1954 « par un certain nombre de personnalités militaires et politiques “en vue d’alerter l’opinion publique, indépendamment de toute option pour tel ou tel parti, des dangers que courait la France si le traité de Communauté européenne de Défense n’était pas ratifié”. »
Installé 26 rue Chalgrin et doté d’un hebdomadaire dirigé par l’ex-surréaliste et transfuge communiste André Thirion, ce comité était un club de synarcho-cagoulards, largement représenté dans les promotions de la francisque et (ou) du conseil national de Vichy (on reconstituera le club en confrontant les noms ci-après aux index du Choix de la défaite et de De Munich à Vichy cites en sources). Guy de Carmoy était son vice-président, aux côtés d’un écrivain qu’on peut considérer sans risquer la contradiction (vu la concordance des sources originales) comme le plus hitlérien des écrivains français depuis 1934-1935 au moins, son président : Louis Farigoule, dit Jules Romains.
Auprès de ces deux personnalités intervenaient maints champions de l’Europe allemande qui s’étaient illustrés par leur opposition publique au pacte franco-soviétique de mai 1935 et par leur ralliement, aussi sonore, au compromis avec le Reich, tels l’Amiral Lacaze et Jacques Chastenet. Le comité organisait les «Conférences de Royaumont » depuis le 16 juin 1954, avec notamment le comte de Paris et le cardinal Saliège. Ses membres avaient signé une déclaration en faveur de la CED à laquelle s’étaient associés entre autres André Siegfried et Thierry Maulnier (fiche RG 28 octobre 1954, GA (Renseignements généraux), C 23, Jacques Chastenet de Castaing, APP). Guy de Carmoy fut également administrateur de la «Banque des Intérêts français », dirigée par Edmond Giscard d'Estaing, synarque et titulaire de la francisque, comme son frère René (francisques respectives n° 918 et 250, F7 15387, AN), et père de Valéry Giscard d'Estaing (GA G 10, Giscard d'Estaing Edmond, APP).
Et certains s’étonnent que, dans ces conditions, Charles de Gaulle hésitait franchement devant l’idée de l’Europe ! Sans parler des peuples qui, récemment, ont rejeté le projet de «Constitution Européenne »
Notes :
[1] http://www.lexception.org/article159.html
[2] http://www.whoswho.fr/biographie-CARMOY ... 48173.html
[3] http://cediasbibli.org/opac/index.php?l ... 746569038f
Sources :
Annie Lacroix-Rix, «Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930 », Paris, Armand Colin, 2006, réédition, 2007.
Annie Lacroix-Riz, «De Munich à Vichy, l’assassinat de la 3e République, 1938-1940 », Paris, Armand Colin, à paraître en août 2008.
Annie Lacroiz-Riz, «Industriels et banquiers français sous l’Occupation : la collaboration économique avec le Reich et Vichy», Paris, Armand Colin, 1999, réédition 2007
Voir, tant sur l’OECE que sur Spaak, «L’intégration européenne de la France. La tutelle de l’Allemagne et des États-Unis », Annie Lacroix-Riz, Pantin, Le temps des cerises, 2007, et diverses autres références citées dans sa bibliographie.