Post Numéro: 25 de Nicolas Bernard 02 Aoû 2007, 22:13
Plusieurs précisions sur les "Malgré Nous" (rédigées sur fond de musique du film Casino Royale, pub gratuite...).
Premièrement, la situation de l'Alsace-Moselle au sein du Reich. Selon la convention d'armistice, cette région restait terre française, mais Hitler saura procéder par étapes pour opérer une annexion de fait, une sorte d'Anschluss lent. Pour commencer, le régime législatif applicable est allemand, l'administration mise en place est allemande, car dès le mois d'août 1940, l'Alsace est soumise à un Chef der Zivilverwaltung - chef d'une administration civile - qui n'est autre que le Gauleiter Robert Wagner, patron du Gau du pays de Bade. Bade et Alsace seront ensuite unifiées au sein d'un unique Gau, le Gau Oberrhein, tandis que la Moselle sera intégrée au Gau Westmark incluant la Sarre et le Palatinat, et dirigée par le Gauleiter Bürckel, qui s'était déjà fait la main au cours de l'unification de l'Autriche et de l'Allemagne en 1938.
Le 9 septembre 1940, la seule organisation de jeunesse autorisée est allemande - la Hitlerjugend. Le travail obligatoire est instauré le 8 mai 1941. Les camps de Schirmeck et de Struthof ouvrent leurs portes, le second le 21 mai 1941.
Toutefois, Hitler ne peut se permettre d'aller plus loin pour le moment dans l'annexion. Celle-ci doit s'effectuer par étapes. A Wagner, il a déclaré qu'il avait dix ans pour transformer l'Elsass. Sans doute compte-t-il ne pas négliger cette monnaie d'échange dans de futures négociations avec le régime de Vichy, s'agissant d'une éventuelle coopération militaire, et d'une inévitable et nécessaire collaboration policière. C'est pourquoi résiste-t-il aux suppliques de Wagner et Bürckel, qui proposent d'instaurer le service militaire obligatoire pour les populations de ces territoires. La Wehrmacht, pour le moment, n'a aucun besoin de ces minorités à la fidélité douteuse.
Mais 1942 bouleverse la donne. Les pertes du Front de l'Est ont été sévères. La nazification a progressé, mais a révélé ses limites, car le volontariat militaire n'a abouti qu'à 2.300 recrutements, dont certains dans la Waffen S.S. - l'un des protagonistes du massacre d'Oradour, Georg Boss, se portera volontaire chez les S.S. en avril 1941... Toutefois, Hitler ne cherche pas à froisser plus avant Vichy. Au premier semestre 1942, son ange de la mort, Reinhard Heydrich, négocie avec la police française un accord sur la "question juive" et la Résistance censé faciliter l'arrestation, la déportation et l'annihilation des Juifs de France. Ce n'est qu'une fois l'accord conclu, et plusieurs rafles effectuées (dont celle du Vel d'Hiv') que le Führer autorise enfin Wagner à procéder à l'instauration de la levée en masse le 25 août 1942. La conscription avait jusqu'à présent été autorisée, mais pour certaines catégories de populations, politiquement et racialement fiables. Il fallait attendre les résultats de la collaboration économique et policière. Or, la police française a joué son rôle avec plus ou moins d'efficacité, et Laval a proclamé le 22 juin qu'il souhaitait la victoire de l'Allemagne. Enfin, le Front de l'Est aspire plus que jamais les réserves de l'Ostheer.
La décision de Hitler est pour le moins perverse. Aux 1.800.000 otages français que sont les prisonniers de guerre, il y ajoute 130.000 Alsaciens-Mosellans - et accroît sa pression sur Vichy. Dans le même temps, il accentue le détachement de l'Alsace-Moselle de la patrie française, en y prélevant sa jeunesse et en l'intégrant à la machine de guerre nazie. Impossible, par la suite, de procéder à une rétrocession de l'Alsace-Moselle à la France : le sang versé par les "Malgré Nous" empoisonnera définitivement toute idée de rapprochement avec le pays tricolore. Et vu le souk que la question déclenche encore sur Internet, force est de constater qu'il a au moins partiellement atteint ses objectifs.
En ce qui concerne les Waffen S.S., le recrutement était en principe volontaire, c'est à dire que les Alsaciens-Mosellans ayant rejoint ces unités l'ont fait en leur âme et conscience. Toutefois, dès 1943, la Waffen S.S. allait faire face à des difficultés de recrutement croissantes, qui la pousseront à intégrer des conscrits allemands initialement réservés à la Wehrmacht, les premières unités S.S. à en bénéficier n'étant autres que les 9e et 10e divisions Frundsberg et Hohenstauffen. Le phénomène s'est diversifié à d'autres unités, particulièrement en 1944. Or, nombre d'Alsaciens impliqués dans la tragédie d'Oradour seront intégrés "de force" (mais au même titre que leurs "compatriotes" allemands) dans la division Das Reich cette année là. Là encore, le volontariat était le principe, mais était sévèrement atténué de jour en jour, pour être finalement réduit à presque rien en 1944 - sans compter la pression de l'entourage, souvent déterminante.
Bref, une partie des Waffen S.S. alsaciens-mosellans étaient des volontaires, engagés comme tels, tandis que les autres - l'écrasante majorité d'entre eux - étaient d'authentiques "Malgré Nous", qui auraient du être versés dans l'armée régulière et qui ont été finalement transférés à la S.S. parce que répondant aux critères physiques et génétiques édictés par les "experts" du IIIe Reich.
« Choisir la victime, préparer soigneusement le coup, assouvir une vengeance implacable, puis aller dormir… Il n'y a rien de plus doux au monde » (Staline).