Roger Lenevette écrit :
Ce dialogue, je connais. Cela fait plus de soixante ans qu'on nous le sert. Sans chercher à dire que les attentistes n'ont rien fait; jusqu'à la Libération, ils ont surtout répondu aux consignes reçues de Londres.
Les consignes étaient d'attendre, alors ils ont attendu, d'où le terme "Attentistes".
En fait, les partisans de l'"action immédiate", qui rassemblaient non seulement les communistes, mais aussi certains éléments des mouvements non communistes, finirent par l'emporter au sein de la Résistance intérieure fin 43/début 44 (voir, entre autres, la déclaration du Comité d'action en France citée ci-dessus).
La plupart des historiens universitaires (cf. François Marcot pour l'un des plus récents) sont désormais unanimes :
le but était plus politique que militaire. Il s'agissait surtout, pour les communistes et les non communistes qui ne voulaient pas être débordés par eux, de mobiliser les Français en vue de l'insurrection nationale, d'ailleurs aussi approuvée par de Gaulle ("La libération nationale ne peut être séparée de l'insurrection nationale" - "Le fossé de sang est nécessaire pour noyer la collaboration...").
En effet, comme je l'ai déjà dit, sur le plan "militaire", en raison du manque d'armes et d'explosifs jusqu'au printemps 44, seuls de petits groupes furent véritablement actifs et
efficaces, tant du côté des FTP et FTP-MOI (étrangers) que du côté de l'AS (groupes francs, d'action ouvrière, Fer, etc.)...
Cependant, il est vrai que la stratégie, dite "attentiste" par ses détracteurs, était, au premier chef, celle des Alliés, Anglais et Américains, qui, en général, ne croyaient pas à l'efficacité d'une guérilla sans soutien extérieur immédiat et, en particulier, ne voulaient pas d'une résistance trop active afin de ne pas fixer trop de troupes allemandes en France et de rendre le débarquement plus difficile.
Au contraire, les communistes souhaitaient attirer le plus possible de soldats allemands en France afin de soulager l'armée Rouge sur le front de l'Est.
Néanmoins, les Alliés, notamment les Anglais, ne préconisaient pas l'inaction en France, mais une action militaire décidée à Londres et encadrée par le BCRA et le SOE.
En outre, à côté de la stratégie des Alliés et celle de l'"action immédiate", on peut en distinguer une troisième occupant une position intermédiaire et qui n'a pas conduit à l'"attentisme" comme voudraient le faire croire certains.
En effet, si elle n'appelait pas à l'insurrection nationale, elle ne prônait pas pour autant l'inactivité. Excluant les actions directes contre les Allemands génératrices de représailles sanglantes contre la population, elle entendait mettre en oeuvre, dès avant le débarquement, des sabotages ferroviaires et industriels, des attentats contre les collabos patentés et des maquis bien instruits en vue d'une guérilla menée sur les arrières des Allemands attaqués par les Alliés débarqués.
Cette stratégie, minoritaire au niveau national, mais majoritaire au niveau local (par pragmatisme de nombreux chefs), était surtout celle de l'AS, mais on en retrouvait des partisans dans presque tous les mouvements non communistes...
Roger Lenevette écrit :
Pour avoir vécu la Libération, je puis répondre, que sur une dizaine de communes autour de celles où j'habitais en Ille et Vilaine, en dehors du groupe de neuf FTP auquel j'appartenais, je n'ai vu aucun des attentistes dont on parle? Et je ne veux pas dire pour cela qu'il n'en n'existait pas.
Je ne les ai pas vu le 2 août, jour de la Libération, ni les jours suivants. Depuis par contre, il s'en est découvert aussi bien dans la commune où j'habitais que dans les communes aux alentour. Tout cela parce que les FTP étaient communistes ou à tendance communiste. Je dirais pour les avoir bien connus, que c'était surtout des idéalistes, c'est à dire quelque chose qui ne semble plus être de mode aujourd'hui.
Les actions FTP critiquées parce qu'elles entraînaient le risque d'otages ? Elles avaient pourtant le mérite d'être plus précises que les bombardements qui se traduisaient par des victimes encore plus nombreuses et une destruction bien plus importante. Cela, tous les Alliés l'ont reconnu. Il n'y a que les Français à refuser de l'admettre.
Respectant au plus haut point votre témoignage en tant que combattant de la Résistance, je me permets tout de même de préciser qu'il n'aurait pas fallu dire à mon père Roger qu'il était "attentiste" parce qu'il appartenait à l'AS !
En effet, maquisard du 1er mars 1943 en Haute-Savoie, mon père fut d'abord membre d'un maquis AS très actif attaqué par les Italiens le 20 août 1943, risqua de nombreuses fois sa vie dans des coups de main au sein du corps franc de Thônes avant de combattre les miliciens et les Allemands dans la section Saint-Hubert sur le plateau des Glières le 26 mars 1944.
Ensuite, Roger prit part aux combats de la Libération (compagnie Monnet, P.C. F.F.I., brigade volante des frontières, 1er bataillon de la Haute-Savoie) au cours desquels les hommes de l'AS harcelèrent les troupes allemandes. Fin août 1944, il se porta volontaire pour la durée de la guerre dans la 7e demi-brigade de chasseurs alpins (4e compagnie du 6e B.C.A., le bataillon du Vercors) et combattit sur les crêtes alpines en haute Maurienne contre les chasseurs de montagne allemands et les parachutistes italiens fascistes, notamment à la sanglante bataille du mont Froid début avril 1945. Voir la page que je lui ai consacrée :
http://alain.cerri.free.fr/index3.html
P.-S. Au sujet de l'idéalisme des FTP communistes dont vous parlez, je dirai simplement que la noble attitude idéaliste n'excuse pas les réalisations sur lesquelles débouche l'idéal en question, d'autant que, comme le dit Hölderlin : "Quand l'homme veut créer le ciel sur la terre, il crée le véritable enfer."
Je sais bien que beaucoup de FTP étaient plus patriotes que communistes au sens strict, mais "ce qui caractérise le communisme n'est pas l'idéal d'harmonie finale, mais la voie choisie pour l'atteindre : soumission au Parti, dictature, élimination des classes ennemies, abolition des libertés" (Tzvetan Todorov)...