Hilarion écrit : « Je suis en train de lire un magnifique article dans 39-45 sur la haute savoie , on parle beaucoup des liens avec la frontière suisse et il apparait que la frontière gardée au départ par les douaniers Italiens s'est révélée assez perméable. Ces derniers ont soit disant créés des zones de regroupement de juifs afin qu'ils échappent à la déportation. En 1943 l'armée allemande prend possession des frontières la traversée de la frontière va s'avérer nettemetn plus dur.
Ma question va s'orienter vers le spécialsite qu'est tom et porte sur les différents échanges commerciaux entre la france et la suisse qui n'auraient jamais cessé.Par ailleurs Quid des frontaliers,ont ils du arrêter de travailler en suisse? »
Cher Hilarion,
Puisque tu fais explicitement appel à moi, je te réponds immédiatement en attendant un développement plus détaillé sur cette vaste question de la frontière suisse durant la SGM.
Effectivement, à cette époque, la circulation des personnes et des biens entre le département français de Haute-Savoie et le canton de Genève (mais aussi celui du Valais) de la Suisse voisine restée neutre était soumise au contrôle du gouvernement de Vichy, puis, à partir de décembre 1942, des Italiens, et enfin, à partir de septembre 1943, des Allemands. Comme je l’indique sur ma page
http://alain.cerri.free.fr/index14.html, il y avait en Haute-Savoie, au printemps 1944, après le départ des troupes de la 157e division de réserve de la Wehrmacht ayant assailli le plateau des Glières, près de trois mille Allemands :
- au moins deux mille hospitalisés venus de tous les fronts (blessés et malades, des poumons notamment, dont sept cents à Annecy) ;
- une quarantaine d'agents en civil de la police de sécurité (Sicherheitspolizei ou Sipo) dans le cadre d'un commissariat de police frontalier (Grenzpolizeikommissariat ou Greko) installé à Annecy ;
- environ quatre cents agents du service des douanes (Zollgrenzdienst) et de la garde-frontière (Zollgrenzschütz) répartis le long de la frontière suisse ;
- quelque trois cent cinquante agents en uniforme de la police d'ordre (Ordnungspolizei ou Orpo), soit trois compagnies d'une centaine d'hommes du III./SS-Polizei-Regiment Todt : une à Annecy (P.C.), une à Cluses et une autre à Annemasse (donc près de la frontière genevoise) ;
- une soixantaine de Feldgendarmen à la disposition d'un état-major de liaison auprès de la préfecture d'Annecy (Verbindungsstab, V.S. 988) dépendant de l'administration militaire de la zone sud (Heeresgebiet Südfrankreich, H.G.S.F.).
Dans sa
Chronique des années brunes à la frontière genevoise (Genève, 1984), Jean-François Pierrier, lui-même « soldat de l’ombre », raconte les actions héroïques des gens ordinaires de la zone frontalière, qui ont permis à de nombreuses personnes de franchir clandestinement la frontière : hommes et femmes poursuivis par la police de Vichy ou des puissances occupantes qui cherchaient refuge en Suisse, agents de renseignements et résistants qui allaient et venaient, personnalités diverses qui allaient dans un sens ou dans l’autre. Par exemple, alors que Guillain de Bénouville, du mouvement de résistance Combat dirigé par Henri Frenay, a accompli l’exploit de traverser secrètement soixante-quatre fois la frontière, le colonel Groussard a établi la performance de quatre-vingt-dix-huit traversées dans des missions de renseignements.
En ce qui concerne le phénomène des travailleurs frontaliers, il faut savoir que, jusqu’à la Première Guerre mondiale, même si de nombreux travailleurs savoyards venaient à Genève, c’était soit pour s’y établir, soit pour y occuper un emploi saisonnier. En effet, le va-et-vient quotidien de main d’œuvre de part et d’autre de la frontière était peu pratiqué, essentiellement à cause de l’état des moyens de communication de l’époque. Après la guerre, la crise économique persistante dans les années vingt, puis la grande récession des années trente ont diminué considérablement le rôle de Genève comme place de travail, d’autant plus que la Haute-Savoie connaissait, dans le même temps, un certain essor industriel. En fait, l’entre-deux-guerres (a fortiori la SGM) a constitué une période de stagnation des échanges entre Genève et son arrière-pays savoyard traditionnel (province savoyarde du Genevois).
Ce n’est qu’avec le grand boom des années cinquante et surtout des années soixante qu’a pris forme ce phénomène nouveau des travailleurs frontaliers, lequel ne commence à être vraiment significatif qu’à partir de 1960 où environ 2000 frontaliers gagnent leur vie à Genève.
Ainsi, la fermeture de la frontière imposée surtout par les Allemands n’a-t-elle pu - pour répondre à ta question, Hilarion - interrompre un phénomène qui n’existait pas encore !