Post Numéro: 151 de juin1944 27 Aoû 2010, 06:50
L'hypothèse de Roger est tout à fait recevable, la CED est la pierre angulaire de la nouvelle politique de défense Européenne, poursuivie jusqu'à l'effondrement final de l'URSS en 1989. L'ennemi avait changé, les nazis étaient morts et leur régime avec, alors que l'URSS était bien vivante et constituait une menace réelle pour l'occident. Petit à petit,les choses se sont clarifiées entre la France et l'Allemagne. Dans les années 80, un fait resté assez méconnu se produit : la création de la Brigade Franco Allemande, composée de militaires des deux pays généralement bilingues. Imaginez un tel concept au début des années 50 ! les militaires Français acceptant cela auraient été traités de collabos (Roger, arrête moi si je me trompe). A la fin des années 80, j'étais justement à Berlin en qualité de Sous/off d'active d'un régiment renfort du 11ème Chasseurs (Régiment blindé installé à Frohnau au quartier Napoléon), nos chars étaient des "panzers" dans le jargon interne et nombre de mes camarades nourrissaient une certaine admiration pour des types comme Mickael Wittman, c'était dans les moeurs. Cet état d'esprit était d'ailleurs assez répandu dans les unités blindées (d'ailleurs, pour info, la plupart de nos chants étaient des chants allemands francisés, ce qui ne choquait absolument personne , en particulier la fameuse Panzer Lied rebaptisée "La Rue") . Pour tous, l'ennemi était le soviétique, ou le "rouge" comme nous les appelions communément. Il m'est arrivé plusieurs fois de passer le Checkpoint Charlie en uniforme pour des missions de surveillance , car il existait des conventions permettant aux alliés et aux Russes de s'observer (et oui, n'oublions pas qu'en 46, la menace s'était déplacée) et à chaque fois, lors du contrôle soviétique, nous disions tous en les regardant : "si jamais ils nous rentrent dedans, on est mal, on jouera un remake des derniers jours de Berlin !"... Tout cela pour expliquer qu'à partir des années 50, la menace soviétique est bien réelle et surtout qu'un changement des mentalités s'opère progressivement, à tel point qu'on oublie les criminels de guerre nazis ou au moins qu'un choix d'urgence s'opère, au détriment des crimes de guerre passés.
Lorsque la guerre d'Indochine éclate, devinez qui se retrouve souvent en première ligne dans les unités Francaises de la Légion ? d'anciens SS allemands ou soldats de la WH, des survivants de la LVF, de la Charlemagne entre autres. Roger, encore une fois, arrête moi si je me trompe.
Voici peut être d'ailleurs un début de réponse à ce que Tyanne se demandait : Imaginons qu'un avion de tourisme s'écrase accidentellement dans le centre de Manhattan avec un bilan de 32 morts. Au même moment, au sud du Portugal, un car de touristes tombe dans un ravin avec un bilan absolument identique. Question : pensez vous que ces deux drames seront relayés de la même façon par les médias ? Absolument pas. Pourquoi donc ? Parce ce que l'un suggère dans la perception mémorielle le drame du Word Trade Center sans pourtant le moindre point commun ni le moindre lien, alors que le second est perçu par l'oeil neutre comme un drame purement local. Et pourtant, il s'agit bel et bien de deux accidents avec le même nombre de victimes. Et pourtant, l'un sera relayé à l'échelle planétaire et probablement pas l'autre.
En France, le problème est perçu différemment (Tiens à ce sujet, je m'étais fait la même remarque lors de la chute du mur , le 16 novembre 1989, à savoir la perception différente des évènements suivant l'endroit ou on se trouve : si vous êtes sages, il faudra que je vous raconte comment nous l'avons vécue, à l'époque, de l'intérieur, c'est très différent de ce que les médias montraient) et il faut différencier l'intérêt national et l'intérêt régional si l'on met en perspective Oradour, le CED et la menace soviétique.
La coupure du journal parlementaire de juillet 62 (il y a alors quelque mois que la guerre d'Algérie s'est achevée et la France est divisée entre le MLN, l'OAS, les Gaullistes) que j'ai insérée est sans équivoque : il apparait clairement que le Limousin se questionne toujours et s'émeut, ce qui se comprend ô combien. Cette émotion est elle la même à l'échelon national concernant la non extradition de Lammerding ? Comment l'appareil étatique analyse t'il cela ? on sait que rien n'a bougé et Paris n'a manifestement pas relancé Bonn. Il existe donc deux niveaux de perception : l'un à Paris et l'autre à Limoges, tous deux répondant à des critères différents à savoir l'intérêt national et la mémoire des victimes. Je crois que le premier critère , sans prévaloir sur le second fut un sacré facteur de modération. Pour comprendre les incohérences et manquements de l'après Oradour, c'est dans la configuration géopolitique d'après guerre qu'il faut chercher et ce jusqu'à la chute de l'ex URSS.
Entre 1945 et 1962, bien des choses se sont passées : la guerre d'Indochine, la menace Soviétique qui pèse alors qu'en France, les communistes sont puissants et l'on ne sait plus très bien si l'on doit maintenant s'en méfier ou se souvenirss de leurs sacrifices de résistants, l'empire colonial qui s'écroule avec la perte du Maroc de l'Algérie et de la Tunisie. Où est la place d'Oradour dans tout cela ? La France en fait elle l'une de ses priorités hormis le Limousin ? Manifestement, non, il y a plus urgent. Aujourd'hui, on souhaite savoir, tout savoir parce ce que le contexte géopolitique est bien plus serein. Mais l'eau a coulé sous les ponts et les modestes chercheurs que nous sommes se heurtent soit à l'oubli, à l'absence d'archives et à la mort des témoins. Je n'ai pas cherché à faire de démonstration magistrale, mais à jeter un pont entre la guerre et l'après guerre pour comprendre les absences coupables de justice pour Oradour et ses martyrs.