LE MONDE DES LIVRES | 05.01.2017 à 09h34 | Par Antoine Flandrin
Olivier Wieviorka signe une convaincante histoire des forces partisanes opposées au nazisme à l’ouest du continent.
A l’été 1940, la croix gammée flottait de Paris à Copenhague, d’Oslo à Prague. Hormis le Royaume-Uni, tous les pays européens avaient déposé les armes. En exil à Londres, le Français Charles de Gaulle, le Belge Hubert Pierlot et le Tchèque Edouard Bénès lancèrent des appels à la résistance. Dans l’ombre, des milliers de volontaires prirent les armes, annonçant le temps des insurrections. Avec le concours des Britanniques et des Américains, les forces résistantes parvinrent à partir de 1944 à libérer leur pays.
Ce récit mythique écrit dans l’enthousiasme des lendemains de la Libération fait l’objet d’un examen critique depuis une trentaine d’années. Mais, jusqu’ici, les historiens s’efforçaient de réévaluer le rôle des résistances dans un cadre national. Olivier Wieviorka, dont les travaux ont profondément contribué à renouveler la connaissance de la résistance française, a voulu élargir les perspectives en s’émancipant des frontières pour construire une histoire européenne des armées de l’ombre. D’emblée, on regrette qu’il ne traite que des forces clandestines en Europe occidentale – Norvège, Danemark, Pays-Bas, Belgique, France et Italie. L’historien justifie son approche : à la différence des forces résistantes d’Europe de l’Est ou des Balkans, celles des pays d’Europe occidentale relevaient de la zone d’intervention anglo-américaine, et non de l’Armée rouge.
Sa démonstration n’en demeure pas moins convaincante. S’appuyant sur une vaste bibliographie, il montre que les Britanniques, privés d’alliés, ont d’abord misé sur une guerre subversive qui s’appuyait alors sur le renseignement, le sabotage et la propagande. Ce pari reposait sur des référents historiques : pendant la guerre d’Espagne (1936-1939) comme lors de la bataille qui, en Chine, opposait depuis 1937 nationalistes et communistes aux forces nipponnes, des soldats sans uniforme avaient damé le pion à des armées régulières. L’éclairage comparatif permet de comprendre dans quelle mesure les suspicions réciproques ont parasité les relations que Londres entretenait avec les différents gouvernements en exil. Si ensemble ils poursuivaient un but commun, la défaite de l’Axe, chacun défendait des objectifs de guerre particuliers.
L’intérêt du livre tient à la réévaluation globale du rôle des forces résistantes dans la libération des pays d’Europe occidentale. Olivier Wieviorka démontre qu’elles n’auraient jamais pu croître sans le soutien de Londres, d’abord, de Washington, ensuite. L’auteur va plus loin, affirmant que, même épaulée par les services secrets britanniques (SOE) et américains (OSS), « l’armée de l’ombre ne parvint pas à affecter dans des proportions significatives la production destinée à la machine de guerre allemande ».
Statistiques à l’appui, il en conclut que la résistance ne pouvait intervenir qu’à la marge en Europe occidentale, dès lors que la guerre moderne reposait sur la puissance de feu et la mobilité. S’il n’occulte pas l’« apport inestimable » fourni par les partisans en termes de renseignements, il pointe la faiblesse de leur armement, leur manque d’entraînement dans un conflit dominé par les blindés et l’artillerie. On peut s’étonner que l’auteur pousse son raisonnement jusqu’à affirmer que, résistance ou non, l’Europe occidentale aurait été libérée par les forces anglo-américaines. Au total, pourtant, il faut souligner la grande clarté de cette synthèse, convaincante de bout en bout
Frédéric Mounier | La Croix 16.02.2017
CRITIQUE DE LIVRE. Olivier Wieviorka propose une analyse innovante des liens entre les Alliés et cinq Résistances européennes.
Le travail de l’historien consiste à écrire l’Histoire. Bien souvent, il s’agit de réécriture, tant la version dite originale fut l’objet d’une mythification, médiatique ou étatique. Auteur d’une Histoire de la résistance remarquée, Olivier Wieviorka propose ici un zoom arrière très bienvenu sur les Résistances en Europe. Loin d’être réduites à des phénomènes nationaux, elles méritent une analyse européenne.
L’ouvrage montre combien la part des Anglo-Américains fut décisive.Financement, formation, matériel, planification… Les apports d’abord britanniques puis américains furent aussi massifs que divers pour la naissance, puis la croissance des Résistances norvégienne, danoise, néerlandaise, belge et française. Le mérite d’Olivier Wieviorka est de nous ouvrir à la diversité des parcours de résistance, de nous aider à resituer les tensions entre les Alliés et les pouvoirs installés à Londres.
Il constate : « L’ensemble des forces clandestines affrontèrent des problèmes somme toute identiques. » Qu’il détaille, au fil d’une chronologie fouillée, parcourue d’un constat qui peut étonner, tant sont fortes nos imprégnations patriotiques : « L’Europe occidentale aurait, Résistance ou non, été libérée par les forces anglo-américaines. Mais elle n’aurait pas été libérée dans les mêmes termes, une nuance de taille. »
L’ouvrage fourmille de précisions éclairantes. Par exemple, l’analyse statistique des largages aériens opérés durant ces quatre années montre la pénurie de moyens logistiques disponibles, coupant ainsi court aux procès d’intention des résistants, notamment Français, pour qui « en se montrant parcimonieux, Britanniques, Américains, voire gaullistes, auraient délibérément torpillé les mouvements pour de basses raisons politiques. »
Il n’en reste pas moins vrai que « les Alliés craignaient que l’envoi d’armes ne conduise à des embrasements prématurés. » Chiffres en mains, Wieviorka affirme : « Les autorités britanniques, avant 1944, ne jugèrent pas utile d’armer les résistances intérieures. » Elles considéraient que « la Résistance ne jouerait un rôle significatif qu’en synchronie avec un débarquement. » À l’inverse, les moyens consacrés à la propagande, par radio ou sur papier, furent considérables.
Sur le plan politique, les luttes de pouvoir, les fièvres politiques, le poids des représentations modelèrent la guerre de l’ombre. Les rancunes d’avant-guerre, voire les clichés racistes, alimentèrent les dissensions entre alliés et résistants. Le livre fourmille d’anecdotes méconnues, qui viennent étayer de solides démonstrations. On voit comment, en France, au Danemark et en Italie, les alliés ont politiquement « veillé au grain », intervenant sans retenue dans les affaires intérieures.
Au-delà de ces descriptions, le lecteur s’interrogera, à bon droit, sur la nature et l’évolution des relations contemporaines entre les résistances irakiennes, afghanes, libyennes, syriennes et leurs puissances tutélaires. Même au risque de l’anachronisme.
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