Broché: 408 pages
Editeur : Fayard (16 janvier 2013)
Collection : Divers Histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2213668930
ISBN-13: 978-2213668932
Prix : 22,80 €
Dans Conversations Hitler-Mussolini, 1934-1944, le spécialiste de l'Italie Pierre Milza décortique une relation complexe entre les deux dictateurs. Le diplomate et historien italien Maurizio Serra livre son commentaire.
En dix ans, de 1934 à 1944, Mussolini et Hitler se sont rencontrés 18 fois, parfois pendant plusieurs jours d'affilée, et ils sont passés par tous les stades, de la méfiance à l'alliance. L'historien Pierre Milza, spécialiste de l'histoire italienne, vient de retracer dans un livre passionnant le parcours de cette association criminelle qui n'allait pas de soi. Et pour cause. Alors que Hitler manifestera une admiration maladive - et perverse - pour son aîné politique jusque dans ses ultimes délires du bunker de Berlin, Mussolini opposera, avec autant de constance, une répugnance à l'égard de ce "détraqué sexuel", ce "voyou hystérique" et du national-socialisme : vulgaire et "barbare" déformation du fascisme romain, tout juste bonne "pour une engeance qui ne connaissait pas l'écriture, quand nous avions César, Virgile et Auguste"...
Malgré tout, le Duce, dictateur dénué de scrupules, ne croit qu'à la force et le Führer est, ou semble, fort, tandis que la machine militaire allemande est impressionnante. Le Romagnol envie d'ailleurs jusqu'à la jalousie, mêlée de haine et de crainte, le pouvoir absolu de Hitler (et de Staline), alors que, même au faîte du succès, lui doit louvoyer en permanence avec la monarchie et l'Eglise.
Avant de plonger dans cette union fatale, Mussolini hésitera longtemps. La première entrevue entre les deux hommes, à Stra, près de Venise, en juin 1934, est un désastre. L'année suivante, Mussolini se rapproche des démocraties en convoquant la conférence de Stresa, au contenu nettement anti-allemand. Mais plusieurs facteurs contribuent à torpiller cette détente fugace : la reconnaissance par l'Angleterre de la parité navale avec l'Allemagne, la passivité franco-anglaise face au bluff réussi de la remilitarisation de la Rhénanie, les sanctions décrétées contre l'Italie fasciste lors de la conquête de l'Ethiopie, les remous idéologiques de la guerre d'Espagne. Tout cela finit par pousser le Duce à proclamer l'"axe Rome-Berlin" (1er novembre 1936), qui avait, malgré tout, observe Pierre Milza, "une signification assez floue pour laisser la voie ouverte à d'autres combinaisons". Il fallut, en effet, encore près de trois ans pour accoucher d'une alliance militaire, le pacte d'Acier du 22 mai 1939, malgré les mises en garde de son gendre, le ministre des Affaires Etrangères Ciano, contre la duplicité nazie.
Mussolini parlait un allemand correct - en plus d'un excellent français et d'un anglais passable. Mais sa maîtrise de la langue n'était pas suffisante pour tenir tête aux monologues du Führer, longs parfois d'une ou deux heures, truffés de détails techniques et de tirades hallucinées sur l'avenir du monde à croix gammée. Pis, Mussolini se montra incapable d'empêcher les bévues stratégiques de son allié, qu'il s'agisse du report de la prise de Malte et de la périlleuse offensive des troupes italo-allemandes de Rommel jusqu'à El Alamein.
Après sa déposition par le Grand Conseil fasciste, le 25 juillet 1943, le premier acte de Mussolini fut de reconnaître l'autorité du nouveau chef du gouvernement, le maréchal Badoglio. Sans doute était-ce une façon de prévenir le risque d'une éventuelle justice expéditive, mais aussi - peut-être - de renoncer à la carrière politique. La pire des hypothèses, pour lui, était celle qui devint réalité: la conduite d'un Etat fantoche soutenu par les baïonnettes allemandes. Il suffit de voir ses yeux énormes de bête traquée sous un grand feutre mou, lorsqu'il est "libéré" par les parachutistes de l'officier SS Skorzeny au Gran Sasso dans les Abruzzes. Comme s'il pressentait le sort qui l'attend vingt mois plus tard.
Texte d'analyse du Livre de Maurizio Serra (L'Express)