Page 1 sur 1

MetaMaus par Art Spiegelman

Nouveau messagePosté: 06 Mai 2012, 14:36
de fbonnus
Il y a un quart de siècle, l'artiste New-Yorkais Art Spiegelman publiait un inoubliable roman graphique sur la Shoah. Aujourd'hui, il en donne les clés ... Passionnant !

Mais pourquoi les souris ? Depuis 25 ans qu'à paru "Maus", immédiatement hissé au rang de chef d'oeuvre artistique et de monument mémoriel, au même titre que "La destruction des juifs d’Europe" de Raul Hilberg, Art Spiegelman n'en finit pas de répondre aux mêmes questions, tout en redoutant d'être "l'Elie Wiesel de la BD". Au nom du droit de l'artiste à n'être pas éternellement associé à l'oeuvre qui l'a rendu célèbre, il revient aujourd'hui sur "Maus" dans un entretien qu'il espère définitif.

Il aura fallu quatre ans à Hillary Chute, professeur à l'université de Chicago, pour mener à terme ce stupéfiant travail de 300 pages : "Ce fut dur pour moi de revisiter le livre qui à la fois m'a "fait" et n'a, depuis lors, cessé de me hanter" écrit Spiegelmann en exergue. "Dur de revisiter les fantômes de ma famille, l'odeur de mort de l'histoire de mon propre passé".
Lui qui pensait que son récit resterait confidentiel ou serait découvert à titre posthume écrit "J'ai passé les vingt années suivantes à me tortiller pour échapper au poids de ma propre réussite". il arrache enfin le masque de souris, cigarette au museau, dont il s'affuble depuis des années.

Aussi choquant que bouleversant, ce roman graphique, prix Pulitzer spécial en 1992, aura depuis occulté le travail de Spiegelman, de ses illustrations pour le "New Yorker" - dont la fameuse couverture noire, avec les Twin Towers mates sur fond brillant - à son travail d'éditeur (il a publié Robert Crumb, José Muñoz, Joost Swarte ou tardi) dans la revue avant-gardiste new-yorkaise "Raw", fondée avec sa femme, Françoise Mouly. Son "éditrice de toujours" qui l'incita à se lancer dans l'aventure de "Maus", d'abord publié en feuilleton dans "Raw" de 1980 à 1991.

Art Spiegelman aura mis treize ans à construire le coeur de l'enfer de l'histoire, qui mêle au témoignage de son père Valdek, rescapé d'Auschwitz, sa propre enfance crépusculaire auprès de cet homme peu aimant, dont il fallait oser dire : on peut avoir survécu à la Shoah et être un salopard et un raciste. Le suicide de sa mère, Anja, en 1968, marque une rupture : Art ne reparlera à son géniteur qu'en 1972 pour commencer à enregistrer son témoignage sur les camps. Spiegelman passe ensuite quatre ans à San Francisco, et publie de courtes BD sur la ségrégation, om déjà les animaux remplacent les humains : "C'est mon moi hippie qui m'a d'abord guidé vers l'histoire du droit et des Noirs, puis ensuite, par défaut, vers celle des nazis et des juifs"
Nulle visée pédagogique om thérapeutique dans cette oeuvre compulsive qu'est "Maus" mais une recherche formelle et une "tentative de découvrir quelquechose de trop vulgaire pour être montré", dit-il, taclant au passage le Spielberg de 'La Liste de Schindler" ou le dession animé "Flevel et le nouveau Monde".

"MetaMaus" est un livre-thèse sur ce travail conceptuel, émaillé d'esquisses, de photos personnelles, augmenté d'un riche DVD, entre ressassement exhaustif de son théâtre intime et archives : films, entretiens, dessins de prisonniers, affiches antisémites, courriers inédits et intégrale de "Maus".
Spiegelman l'a dit mille fois : à ses yeux, les souris représentaient la déshumanisation inhérente au projet d'extermination, même s'il avait bien conscience de prendre le risque d'être accusé de relayer l'infâme propagande nazie qui représentait les juifs en rats. En face, le chat s'imposait pour incarner les bourreaux, le paradoxe résidant dans l'affection spontanée que tout matou suscite habituellement. Au lecteur de réinterpréter ces signes qui semblent être en porte-à-faux avec l'histoire racontée.

Tout le bestiaire de "Maus" est passé en revue : les Anglais sont des poissons (allusion au "fish and chips"), les GI de braves chiens fidèles, et les Polonais des cochons, ce qui lui a valu de voir la traduction de son livre maintes fois reportée du côté de Varsovie.
Dans l'esprit de Spiegelman, ce choix ambigu reflète le double statut des Polonais, à la fois victimes de l'occupation allemande et pour une bonne part féroces antisémites. Ce fumeur compulsif qui a passé tant d'années sur ce livre se voit désormais "juché sur 'Maus' comme mon personnage avec son masque est juché sur tous ces corps".
Et de à-haut, que voit-il maintenant ?

MetaMaus - Art Spiegelman, traduit par nicolas Richard - avec un DVD - Flammarion - 300 pages - 30 euros

Re: MetaMaus par Art Spiegelman

Nouveau messagePosté: 06 Mai 2012, 23:01
de frontovik 14
Merci pour ce commentaire de l'étude d'un ouvrage essentiel.
Au sujet des Polonais, leur statut est en effet très ambigu: à la fois peuple victime (de la politique nazie), témoin de la Shoah et plus ou moins acteur.